samedi 17 février 2018


La roue tourne (Wonder Wheel)
posté par Professor Ludovico dans [ Hollywood Gossip -Le Professor a toujours quelque chose à dire... -Les gens -Pour en finir avec ... ]

Depuis cinquante ans, la critique française est emplie d’admiration pour Woody Allen. Chaque année, on salue le dernier chef-d’œuvre du maître.

Certes, depuis quelques années, avec le renouvellement de la critique, on s’est progressivement mis à questionner la Grande Œuvre. Et on découvre que tous les Woody Allen n’étaient pas bons. Normal que le réalisateur de 54 films n’ait pas fait des grands films… Dans le même temps, des faits dans la vie privée ont commencé à écorner la statue, notamment quant fut révélé sa relation avec Soon-Yi, la fille de Mia Farrow.

Mais voilà l’affaire Weinstein et forcément, le retour des vieilles polémiques. Le gratin de Hollywood, jamais à l’abri d’une hypocrisie*, le lâchent tout aussi brutalement qu’ils se ruaient auparavant pour être dans « le dernier chef d’œuvre de Woody Allen », en renonçant à leur cachet. Babylone vit depuis toujours de ce mouvement de va-et-vient, le scandale et la pudibonderie, l’un relançant l’autre sur la balançoire du business.

Libération, pas le dernier à avoir encensé le new-yorkais, se lâche dans sa chronique de Wonder Wheel*. Mais c’est une phrase en particulier qui a attiré l’attention du CineFaster « son cinéma semble se resynchroniser à sa manière étrange avec le présent ». Etrange. CineFast a toujours considéré que c’était l’âme du réalisateur (Woody Allen ou Michael Bay) qui s’imprimait sur la pellicule. Mais c’est comme si, tout à coup, la critique qui a supporté le cinéaste new-yorkais avait décidé d’oublier son âme (et donc son œuvre) pour le lâcher en rase campagne. Soudainement, Woody Allen est devenu infréquentable.

Pourtant les rumeurs sur lui sont connues depuis longtemps. Et il suffit de voir ses films pour comprendre que c’est un obsédé sexuel, comme bien d’autres.

Mais voilà, les gens sont ce qu’ils sont, « ingrats, changeants, simulateurs et dissimulateurs, fuyards devant les périls et avides de gains. Tant que tu fais leur bien, ils sont tout à toi, ils t’offrent leur sang, leur vie, leurs enfants […,] mais dès que le besoin s’approche, ils se détournent… »

Citation de Machiavel, critique cinéma des Médicis.

* Notamment notre chouchoute décevante Greta Gerwig, affirmant : « Si j’avais su ce que je sais maintenant, je n’aurais pas joué dans le film. Je n’ai plus travaillé pour lui depuis et je ne travaillerai plus pour lui ». Ma chérie, il faut lire autre chose que Variety…
** « Il y a longtemps que le cinéma de Woody Allen assume son propre déphasage : excepté lors d’escapades en des destinations européennes de carte postale (Match Point, Vicky Cristina Barcelona ou Midnight in Paris), plus propices à la revitalisation de ses obsessions, le cinéaste n’a guère dévié, au fil des décennies, de son système ronronnant. Et peu importe que rien n’y varie ou ne s’y actualise depuis une éternité des situations qu’il dépeint, des personnages qu’il y fait s’agiter ou de la vivacité oratoire qu’il leur prête, perlée de gags mécaniques et de références aux livres de chevet de l’intello new-yorkais des Trente Glorieuses, puisque cette petite musique jouée avec l’expressivité d’un piano mécanique continue de bercer un public fervent, quand bien même plus grand-chose n’y ferait signe au monde qui la réceptionne. Etrangement, c’est alors même que le faisceau d’ambiguïtés et de controverses dont il fait l’objet depuis plus de vingt-cinq ans le rattrape que son cinéma semble se resynchroniser à sa manière étrange avec le présent. »




samedi 17 février 2018


Eve
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -Les films ]

All about Eve fait partie des chefs d’œuvre de Mankiewicz, non sans raison. La fin, avec ses dénouements imbriqués (le film n’est qu’un immense flash-back de deux heures), le scénario machiavélique qui y mène, le tout est une merveille d’horlogerie cinématographique.

Oui, à la fin, on saura tout d’Eve, qui est-elle, d’où vient-t-elle quelle réelles motivations la poussent… Mais surtout, All About Eve aura offert une étude glaciale des caractères humains, de la comédie qui s’y déroule, sur scène et hors scène, puisqu’on est au théâtre et que, bien sûr, there is no business like showbusiness…

Et on se dit que cette Eve doit avoir inspiré bien des cinéastes. Tiens, au hasard, Asghar Farhadi. On a beau être dans les années 50 à New York, les similitudes sont nombreuses. Les personnages d’Elly ou ceux d’Eve sont enfermés dans les carcans de leur système de valeurs, coincés dans leurs petites magouilles, obsédés par les mêmes choses, et tout aussi incapables de s’en sortir, malgré le désastre qui point.

Eve Harrigton (Anne Baxter) va recevoir un prix pour son interprétation théâtrale. On sait donc déjà comment cette histoire se termine, mais qui est cette Ève ? D’où vient-elle ? Le flashback commence, dans une ruelle de Broadway, près de la sortie des artistes : la gamine, passionnée de théâtre, qui vient tous les jours voir la même pièce jouée par la grande dame du théâtre Margo Channing (Bette Davis, qui semble se jouer elle-même) va-t-elle pouvoir enfin rencontrer son idole ?

On est déjà, finalement, dans l’affaire Weinstein, pour la bonne raison qu’on y a toujours été : comment accède-t-on aux marches du pouvoir ? Comment grimpe-t-on en haut de l’affiche ? Comment y reste-t-on ? Le prix sexuel à payer, pour les femmes comme pour les hommes, est toujours le même. Bette Davis en cougar de quarante ans cherchant désespérément à garder son homme de trente ans, est incroyable dans cette partition-là. Mais tous les autres personnages le sont aussi ; ceux qui cherchent une compagne, ou veulent garder leur mari, ou leur situation, ou les deux…

Le propos de Mankiewicz est implacable, et il n’est pas atténué par le monde corseté de l’après-guerre. Malgré la bienséance très british de ce petit monde du théâtre, chacun usera de toutes les armes possibles ; acteurs, scénaristes, critiques, hommes et femmes, jeunes et vieux, personnes n’échappera au microscope Mankiewiczien

Chacun sombrera, même la plus gentille des femmes. Et tel Ouroboros, le serpent qui se mord la queue, l’histoire se préparera immédiatement à recommencer…




dimanche 11 février 2018


L’insulte
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]

L’intention est louable, mais les bonnes intentions ne font pas forcément les bons films. Ici, on veut démontrer – sous la forme d’une fable – qu’une petite insulte peut dégénérer en guerre civile, ou même, que la guerre civile qui ravagea le Liban explique le caractère irréconciliable de la situation des palestiniens, des juifs et des arabes dans ce pays. Il y a là toute la matière pour une tragédie ou une comédie.

Mais si L’insulte atteint bien ses objectifs-là, ce n’est pas un film. C’est un devoir pédagogique, qui fait irrémédiablement penser… à un film français*. Pas assez de personnages, trop de dialogue, pas assez de cinéma. C’est ultra pédagogique, mais peu subtil. Le film oscille parfois vers la comédie, avec des situations absurdes et irréalistes (le président libanais essayant de résoudre lui-même le conflit de voisinage) mais revient vers le tragique (les révélations sur le passé des protagonistes). Le réalisateur ne semble pas savoir vraiment le film qu’il veut faire ou le fait mal (l’accident du livreur, qui arrive trop rapidement).

Et comme les films français, on essaie de générer artificiellement de l’émotion via un personnage neutre : par exemple, l’entrepreneur arabe, la femme du garagiste ou la femme juge, qui vous disent régulièrement ce qu’il faut penser.

Dommage. Car le propos, lui, n’est pas commun…

*L’insulte est un film franco-libanais




dimanche 4 février 2018


El Bar
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -Les films ]

Le pitch d’El Bar est simple et rigolo : des gens que tout oppose se retrouvent enfermés dans un bar populaire de Madrid. Le hipster barbu et branché, et la pépète sexy qui va à un rancard, la vieille joueuse de loto, etc. Enfermés pourquoi ? On ne le dira pas, parce que le film tutoye plusieurs genres à la fois.

Mais à partir de cette situation de départ minuscule, Iglesia lance son train fantôme à toute berzingue. Rebondissements à la chaîne et répliques cultes s’entrechoquent. Mais deux choses viennent amoindrir ce beau programme : un manque de confiance dans le cinéma. Tout est dit, répété ; il y a beaucoup trop de dialogues. Iglesia est très habile de sa caméra*, et pourtant beaucoup plus pourrait être dit cinématographiquement. En fait l’ennui point, car on perd vite intérêt pour ce babillage, même brillamment écrit, même brillamment filmé.

Deuxièmement, si El Bar démarre très fort (par un très beau plan séquence d’exposition), une fois les personnages rassemblés, l’explication est vite connue. Or on est habitués, dans ce genre de films, à plusieurs rebondissements, à plusieurs twists. Donc on guette jusqu’à la fin une autre explication qui ne viendra pas.

Ce n’est pas très grave car El Bar est un joyeux divertissement, et c’est déjà pas mal…

* On comprend alors ce qui a plu au seigneur Ostarc, toujours avide d’images bien léchées et de film bien foutu, et qui nous avait fortement incité à voir El Bar. A moins que ce ne soit la passion de Bianca Suarez pour l’huile d’olive ?




samedi 3 février 2018


Auschwitz Project
posté par Professor Ludovico dans [ Documentaire ]

Comment démontrer qu’aucune image – même dans le documentaire – n’est objective ? Que le choix des angles de caméra, la profondeur de champ, la focale, tout cela est plus qu’un métier, mais bien un art, tout ce que justement nous défendons ici ?

Auschwitz Project, le documentaire d’Emil Weiss qui passe en ce moment sur Arte, le démontre.

S’attaquant à ce sujet ultra rebattu, Weiss veut le traiter journalistiquement sur un autre angle, et propose donc autre chose à voir. Filmé entièrement par drone, à haute altitude au-dessus des rocades de la ville d’Oświęcim, ou au raz du sol, dans les couloirs barbelés d’Auschwitz I, sa mise en scène tient parfaitement le propos.

Ce n’est pas un documentaire de plus sur l’Holocauste, mais comme son nom l’indique sur le « projet » Auschwitz. Un projet à la fois militaire, industriel et idéologique. Car Auschwitz n’est pas seulement la camp d’extermination de million de personnes, c’était aussi une caserne militaire, des fermes, des étangs piscicole, des laboratoires scientifiques, et un vaste complexe pétrochimique IG Farben (où travaillai Primo Levi). Ce point de vue, qu’on appelle God’s eye en cadrage est parfait pour comprendre à la fois l’ampleur géographique et l’ambition totalitaire du projet nazi.

Cette vue d’en haut, planante et silencieuse comme la mort, est tout aussi éducative que terrifiante.

Auschwitz Project, d’Emil Weiss
Sur Arte en replay