On a revu Battlestar Galactica, juste pour vérifier que c’était aussi bien que la première fois. Et ça l’est, indubitablement. Le même bordel innommable, et, en même temps, le même génie.
Car si BSG énerve par son amateurisme, ses acteurs, qui, pour être gentil, vont du très bon (Katee Sackhoff, Edward James Olmos) au très mauvais (Mary McDonnell), ses arcs narratifs incompréhensibles (le Plan Cylon ?), ses épisodes bâclés, et cette décoration misérabiliste, BSG fascine tout autant par sa capacité à s’attaquer à des thèmes fondamentaux (la démocratie en temps de guerre, la justice, la collaboration) qu’à son ambition – immense – à les traiter.
Mais plus que tout autre, et c’est bien ce qui est le plus important dans l’art, il y a, caché sous des tonnes de ferraille du Battlestar Galactica piloté par l’amiral Moore, un immense cœur qui bat.
Et ça, ça n’a pas de prix.
« On ne sort de l’ambiguïté qu’à ses dépens », disait François Mitterrand (à moins que ce ne soit le Cardinal de Retz). C’est exactement ce qui arrive à Bodyguard.
Très ambiguë, extrêmement intéressant pendant quatre épisodes, la série sombre dans la pire mièvrerie dans les deux derniers. Pourquoi ? Parce que la série se voit obligée d’expliquer tout ce qu’elle a caché depuis le début. Et quand on relie les fils, évidemment ça pique un peu les yeux.
Cette maladie commune au thriller, comment l’expliquer ? D’abord par la surenchère. En voulant exciter les spectateurs, on y arrive : après 200 mn d’enjeux bombardés ici et là, nous voilà évidemment tout émoustillés. Mais quand il faut résoudre ces enjeux, on n’a pas forcément ce que Bodyguard semblait promettre.
Le deuxième problème, c’est ce qu’on pourrait appeler la physique du film. Dès les premières scènes, on installe un climat, un niveau de réalisme, que la série est censé tenir dans la durée. Soit on est dans James Bond, soit on est dans 24, soit on est dans La Taupe. Ici, on penche plutôt sur la Taupe, intrigues sordides entre services, coups fourrés, vengeances politiques, etc. Mais quand le final se dirige plutôt sur 24, on lâche l’affaire.
Enfin, Bodyguard court deux lièvres à la fois ; l’intrigue de thriller politique, et l’étude de caractères entre le Body (la ministre de l’intérieur esseulée (Keeley Hawes) et son guard (Richard Madden ). La love story potentielle rebondit très bien avec le thriller, Eros et Thanatos se bagarrant à chaque épisode. Cette partie est très réussie, car les personnages sont émouvants, et les acteurs, sexy. Mais quand une partie est résolue, le château de cartes patiemment construit s’écroule.
Et notre intérêt avec.
Comment transformer un potentiel chef-d’œuvre en nanar intersidéral ? Démonstration du Professore avec Ben is Back de Peter Hedges.
On peut spoiler Ben is Back car vous n’irez pas, évidemment, le voir. Holly Burns (Julia Roberts), mère de famille bourgeoise, amène ses enfants à l’ultime répétition de la chorale de Noël. Dans le même temps, un jeune en capuche semble vouloir s’introduire dans une belle maison. Evidemment, ces histoires vont se connecter. Rentrant de la chorale, Holly tombe sur le jeune homme, qui n’est autre que son fils Ben (Lucas Hedges). Si elle se jette dans ses bras, l’enthousiasme ne semble pas partagé par le reste de la famille, à commencer par Ivy, la petite sœur (Kathryn Newton). On comprend que Ben a fait quelque chose de terrible.
C’est le début, formidablement bien fait, de Ben is Back. L’ambiguïté, l’inquiétude que cette introduction engendre dans l’esprit du spectateur est passionnante. Drogue ? Viol ? Pédophilie ? Toutes les hypothèses enfièvrent le cerveau du spectateur. Mais c’est là que ça se gâte.
Car on pourrait faire plusieurs films sur cette base : un beau film indépendant sur la difficile réinsertion des héroïnomanes et, ou un thriller pur, sur le retour du méchant mouton noir. De très bons films s’y sont essayés Un Mauvais Fils, ou plus récemment Bloodline, qui commence pareil. Mais là, tout rate. Et pour d’évidentes raisons. Démonstration en 9 leçons.
1. Laisser Julia Roberts en roue libre
Il ne suffit pas de prendre une des plus grandes
comédiennes de sa génération, dans un rôle taillée pour elle. Il faut aussi la
diriger. Or, on a trop souvent l’impression qu’elle surjoue.
2. Changer de genre
Le film est à l’évidence une tragédie, mais l’abattage de la Roberts, les vannes pointues et la langue bien pendue qui ont fait le succès de l’actrice fait tourner parfois Ben is Back à la comédie. Mauvaise idée.
3. Adoucir l’antihéros
Ben fait peur. C’est le grand succès des dix premières
minutes. Il a fait beaucoup de mal à sa famille en volant, et à toute la communauté
en dealant et en initiant d’autres adolescents à la drogue. Pas la peine de lui
trouver une excuse (Ben a été rendu accro aux opioïdes par un médecin peu
précautionneux*).
4. Rater le protagoniste
Un méchant de comédie apparait au mitan du film, décrédibilisant encore plus Ben is Back : le dealer. Celui-ci, apprenant son retour en ville, l’oblige à livrer de la drogue en échange du chien de la famille, qu’il tuera en cas d’échec (sic). La drogue est une chose trop sérieuse pour raconter ce genre de bêtises qui ridiculisent le propos. On n’est pas dans Maman j’ai Raté l’Avion. (Voir point 2. Changer de genre)
5. Donner des seconds rôles insignifiants
En dehors de la star Julia Roberts, de très bons acteurs peuplent Ben is Back : Courtney B. Vance, Kathryn Newton. Ils ont fait leurs preuves dans OJ Simpson, ou Mad Men. Leur simple présence de beau-père, de sœur, permettrait un contrepoint indispensable pour la compréhension du sujet. Mais ils sont cantonnés à quelques mimiques ridicules de fond de tableau.
6. Spoiler la fin
Dès que la mère d’une ancienne junkie donne le kit de réanimation, un panneau indicateur s’affiche dans la tête du spectateur : « ça va servir plus tard !! »
7. Offrir une vision romantique du monde de la drogue
On a l’impression que rien n’a été filmé sur le sujet depuis L’Homme au Bras d’Or. Les junkies – à l’exception notable de Spider (David Zaldivar) – sont assez ridicules.
8. Donner un rôle trop évident à sa comédienne.
Julia Roberts a enchaîné les rôles de Mère-Courage-Mais-Autoritaire-Quand-Même-Avec-Toutefois-Un-Zeste-De-Drôlerie. De Potins de Femmes à Ma Meilleure Ennemie, en passant par Erin Brockovich, c’est sa marque de fabrique. Si on lui redonne ce rôle, il faut absolument lui faire faire quelque chose de différent. Or elle est tout à fait prévisible de bout en bout.
9. Créer une diversion inutile
Le couple Burns, normal et sans histoire, est mixte. C’est un couple recomposé, puisque le père de Burns a disparu. Pour autant, un couple interracial, ce n’est pas neutre aux États-Unis – ni ailleurs d’ailleurs. Il se crée dans l’esprit du spectateur une forme d’interrogation, avec la disparition du père de Ben, qui n’est jamais résolue. Or ce mystère parasite notre réflexion. Encore une idée qui ne sert à rien dans le film.
CQFD.
*Ce sujet, qui obsède en ce moment l’Amérique, est un film en soi.