mardi 16 avril 2019
La Vérité
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -
Les films ]
Il existe un très grand cinéma français, et c’est celui des années 1930-1950. Au milieu de ça, un génie : Henri-Georges Clouzot. L’homme du Corbeau, de Quai des Orfèvres, du Salaire de la Peur, des Diaboliques, de L’Enfer et de La Vérité.
La Vérité prend d’abord la forme d’une critique sociale très en avance sur son temps. Tourné en 1959, le film annonce la paupérisation étudiante qui va donner naissance, dix ans plus tard, à mai 1968. Cette génération des baby-boomers qui n’a pas d’argent, que la société gaulliste déprime avec ses valeurs surannées d’avant-guerre, et qui manque de perspectives exaltantes*. Clouzot, pourtant beaucoup plus âgé, filme cette jeunesse avec empathie, mais sans complaisance. Il est l’un des premiers en France à montrer le rock’n’roll, et cette jeunesse de Saint-Germain-des-Prés situationniste, qui engendrera le mouvement estudiantin. C’est traduit, sans fard, dans les dialogues véristes : « Ta gueule » « putain » ; on n’entend pas beaucoup ça dans le cinéma de cette période.
Comme dans un miroir, La Vérité est une critique féroce du camp d’en face, cette France vieillotte, ses valeurs bourgeoises coincées, son refus de la sexualité, et son respect, confinant à l’idiotie, des valeurs familiales.
Tout cela incarné par Bardot, qui, dans le meilleur rôle de sa carrière, représente évidemment la jeunesse. Sa famille, (en particulier Marie-José Nat, qui joue sa sœur) représente la France Gaulliste. Ces deux camps s’affrontent violemment dans la recherche de la vérité. Car Bardot a tué son amant bien-pensant (Sami Frey). L’a-t-elle fait avec préméditation, ou est-ce un crime passionnel totalement irraisonné ?
C’est là le troisième niveau passionnant du film : où est le vrai, justement ? C’est l’objet du procès, et du film. Il prend appui sur la formule ultra usée du procès et du flash-back, mais qui va participer au final à l’établissement de la vérité, comme on dit au tribunal.
Clouzot nous passionne en alternant réquisitoire et plaidoirie, en présentant d’abord une Bardot sans excuses, feignante, irrespectueuse, volage, jouant avec les hommes de son corps parfait. Puis, il donne la parole à son avocat (Charles Vanel), qui la défend. Que serait le sex-appeal des femmes sans les désirs des hommes ? Chaque témoin est ainsi renvoyé à ses contradictions, qui sont celles de l’époque.
Le film en profite pour décrire en même temps le cynisme des hommes de cour, qui gagnent cette semaine et perdront la semaine prochaine, et pour qui, tout cela au final, n’est qu’un jeu. Tant pis pour les victimes collatérales.
Le final, en forme de pirouette, accentuera encore plus cette morale noire du film. La vérité ? Mais quelle vérité ?
* Deux personnages parlent en permanence de se suicider…
lundi 15 avril 2019
The Civil War
posté par Professor Ludovico dans [ Documentaire ]
Il est rare de revoir un documentaire, a fortiori un documentaire de neuf épisodes et 11 heures… Mais il ne s’agit pas de n’importe quel documentaire, c’est The Civil War, la Guerre de Sécession vu par l’immense Ken Burns (The War, Prohibition, etc.).
Certes, cette guerre parait lointaine aux européens, qui n’en ont vu que quelques westerns, lu quelques BD, et qui n’en gardent le plus souvent qu’une idée fausse (les gentils démocrates contre les méchants républicains esclavagistes).
Au contraire, il s’agit d’un pays qui se déchire entre ceux qui veulent rester dans l’Union (plutôt le Nord, plutôt les républicains) autour de Lincoln, et ceux qui ont décidé de quitter cette union, (plutôt le Sud, plutôt les démocrates), et qui défendent le droit souverain des états contre une union centralisatrice. En ces temps de Brexit, ça devrait nous rappeler quelque chose…
L’esclavage – qui n’est que l’un des sujets – va être pourtant l’élément déclencheur : quand on rajoute un nouvel état (Le Kansas, par exemple), doit-il être esclavagiste ou non esclavagiste ? Cette question va achever de couper le pays en deux.
Le génie de Ken Burns est de raconter tout cela au travers de petits personnages ; en suivant, plutôt que des généraux et des présidents, des petites gens, des simples soldats, Sam Watkins, Elisha Hunt Rhode, ou une bourgeoise confédérée qui voit son univers s’écrouler, Mary Chesnut. Le tout entrecoupé de quelques éclairages de spécialistes (Shelby Foote, Barbara J. Fields…)
La mise en scène est aussi austère que splendide ; des milliers de photographies noir et blanc, enluminées d’un simple effet de zoomage / dézoomage*, et le réalisateur nous amène à découvrir un détail ou, au contraire, à prendre de l’altitude. Dans tous les sens du terme.
Que vous vous intéressiez ou non au sujet, The Civil War est immanquable.
*Un effet devenu si célèbre qu’il apparait sur des outils de montage vidéo comme Final Cut Pro, sous le nom de Ken Burns effect)
dimanche 14 avril 2019
Three Billboards : Les Panneaux de la Vengeance
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -
Les films ]
Il arrive parfois que le Professore ait tort. Oui, tort. Parce que quand tout le monde lui dit, de Notre Agent au Kremlin au Prince d’Avalon qu’il faut aller voir Three Billboards et qu’il refuse d’y aller, c’est bien qu’il a tort.
Il y a toujours de bonnes raisons à avoir tort. Si tout le monde aime ce film, ce n’est pas bon signe, car, dans l’art , il n’y a rien de pire que le consensus. Si tout le monde aime ça, c’est que ça joue sur le plus petit commun dénominateur de nos passions. En l’occurrence, le film a l’air bien anti-américain, ou, en tout cas anti-plouc, ce qui est toujours facile. Et ce qui est facile est désagréable.
Mais maintenant le film passe sur Canal, et au fond de son lit, Ludovico est sur sa tablette. Signe de son immense mépris, lui qui refuse en général de voir les films ainsi, sauf sur grand écran, ou grand écran de télé.
L’histoire est de Three Billboards est connue : une femme décide d’afficher sa rage sur trois panneaux publicitaires, puisque, depuis un an, personne n’a retrouvé l’assassin de sa fille. Est-ce que tout le monde s’en fout ? Mildred Hayes (Frances McDormand), à vrai dire, n’a rien à perdre. Le film va raconter son combat contre le shérif (Woody Harrelson) son adjoint raciste (Sam Rockwell), mais avec l’aide d’un nain (Peter Dinklage) et de quelques amis.
Rapidement, le Professore se
rend à l’évidence. Le film est subtil, justement dans le traitement de ces péquenauds
du Missouri.
Three Billboards va en plus faire évoluer notre perception des personnages pendant le film. Un personnage a priori sympathique dévoilera son côté noir, tandis que le pire des salauds prouvera qu’il n’est pas exempt de rédemption. Tout cela est fait avec finesse et humour, mais c’est un très grand film.
Ça apprendra au Professore à ne pas écouter ses amis.
vendredi 12 avril 2019
The Disaster Artist
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -
Hollywood Gossip -
Les films -
Les gens ]
James Franco est un garçon sympathique (et plutôt beau gosse), mais sa carrière ne laisse d’étonner. Des performances étonnantes (le Bouffon Vert dans Spiderman, Alien dans Spring Breakers) et des performances moyennes (les jumeaux de The Deuce, 22.11.63), mais surtout, une grande dispersion : écrivain de nouvelles (Palo Alto), réalisateur de courts, de films, de docs… Beaucoup de petits rôles, pas beaucoup de rôles notables… Bref, un gars sympathique, mais compliqué à juger.
Dans The Disaster Artist, il y a évidemment l’idée de filmer les coulisses noires d’Hollywood, celles des losers, et cela a produit d’excellents films. L’artiste du désastre est à ce titre une mine ; Tommy Wiseau, richissime et étrange personnage décidé à faire du cinéma, n’importe où, avec n’importe qui, et n’importe comment. Ce qui, bizarrement, accouche de n’importe quoi : The Room, also kown as Le Pire Film De Tous Les Temps.
Les moyens de Wiseau sont certes illimités, mais il n’entraîne avec son discours WTF qu’une équipe de bras cassés prêts à faire du cinéma, et parmi eux un jeune homme, Greg Sestero, qui sera le narrateur de cette catastrophe dans un livre éponyme.
Depuis, évidemment, The Room est devenu culte et s’est mis à gagner de l’argent. Mais il faudrait quelqu’un d’autre que James Franco pour sublimer cette histoire filmée au ras du bouquin. On voit bien ce que Tim Burton aurait pu en faire (une tragédie à la Ed Wood) ou les frères Coen, une comédie des erreurs façon Burn after Reading, car il s’agit là aussi d’idiots qui ne doutent de rien.
Mais le film de Franco n’a pas vraiment de point de vue, et ne sait pas très bien s’il moque Tommy Wiseau, ou s’il y a une forme d’empathie. Quand à la tension homosexuelle Wiseau/Sestero, elle n’est qu’effleurée, alors que ce devrait être l’un des principaux angles d’attaque.
L’intérêt de The Disaster Artist reste donc proprement documentaire, ce qui ne suffit pas.
jeudi 11 avril 2019
The Revenant
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]
Parfois, la beauté esthétique peut suffire à emporter le spectateur. C’est le cas de 2001, dont le succès semble aujourd’hui invraisemblable, tant le propos est abscons, mais aussi des films de Malick, et souvent, des films de Alejandro González Iñárritu. Depuis Amours Chiennes il y a vingt ans, l’esthétisme de son cinéma se déploie à l’inverse de ses ambitions en termes de stotytelling, qui, elles, rétrécissent peu à peu. Amours Chiennes était un impressionnant mélimélo d’intrigues dans un Mexico découpé en classe sociales et relié par la gent canine ; The Revenant est un simple survival, sans autre ambition que de faire traverser 300km de Dakota enneigé à son personnage.
L’argument est faible, même s’il rappelle nos vieilles lectures (Jim Bridger*, le Roi des Mountain Men, de Georges Fronval), et ne suffirait pas à nous tenir éveillé 2h36. Car nous n’avons pas cette passion américaine pour le martyre et la torture (Silence, La Passion du Christ, 24 …)
Hugh Glass (Di Caprio), est le guide d’une bande de trappeurs qui, à l’orée du XIX° siècle, tente de rejoindre l’abri d’un fort dans le Dakota du Sud, l’hiver venant. Mais les voilà attaqués par des indiens, et Glass est abandonné par un autre trappeur (Tom Hardy). Laissé pour mort, il va pourtant faire 300 km en affrontant indien, grizzly, froid, faim et soif, chute et avalanche. Rien ne nous sera épargné de ce long supplice, mais pour autant, on reste fasciné (non par ce supplice ni par le quelconque intérêt qu’on porte à la vengeance potentielle de DiCaprio), mais par le magnétisme pur et dur du film. Nous sommes littéralement scotchés devant ce Revenant, qui semble incarner, de par la perfection de l’image, et par la suavité virtuelle des mouvements qui tiennent du jeu vidéo, le futur du cinéma, ou, en tout cas, à quelque chose qui s’en approche.
Tout cela est bien sûr l’œuvre d’un des plus grands chef’op du moment, Emmanuel Lubezki, qui a dans son cartables les chefs d’œuvres visuels de ces vingt dernières années (Rencontre avec Joe Black, Sleepy Hollow, Ali, Le Nouveau Monde, les Fils de l’homme, Burn After Reading, The Tree of Life, Gravity, Birdman…). Un gars qui a dans son carnet d’adresses Alejandro González Iñárritu, Terrence Malick, les frères Coen, Tim Burton et Alfonso Cuarón ne peut pas être tout à fait mauvais.
Et si la forme prime sur le
fond, pour la première fois, ce cinéma d’esbroufe fonctionne.
On avait refusé d’aller voir The Revenant en salle, et aujourd’hui, on s’en mord les doigts. C’est pour ce genre de spectacle bluffant qu’on va au cinéma.
*Un Jim Bridger jeune est un des personnages du film.
vendredi 5 avril 2019
Battle of the Sexes
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]
C’est la magie étrange du biopic. Quand on ne connaît rien à une histoire, on trouve ça bien. On est trop jeune (et pas assez américain) pour connaitre quelque chose à cette Bataille des sexes, ce match mixte où la jeune Billie Jean King l’emporta contre le vieux macho Bobby Riggs.
De sorte que le film est parfait, incarné avec beaucoup de subtilité du côté d’Emma Stone, et de grandiloquences comico-pathétique côté Steve Carell, tout en respectant l’ambiance encore un peu coincée des années 70.
Amusant et fin, on en redemande…