samedi 28 septembre 2019


Bohemian Rhapsody
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]

Le biopic de Queen, à l’immense succès surprise, ne faillit pas à la règle du biopic rock… Il suit la fiche de mission éternelle, avec les points de passage obligés : le sexe, la cocaïne, les répétitions où on s’engueule, les scènes d’inspiration au coin d’une table, et la rédemption finale. Le schéma directeur, en gros, de Walk The Line à Ray en passant par Les Runaways ou Les Doors

Rien de tout ça n’est vrai, bien sûr, on n’écrit pas une chanson sur un coin de table en se disant « Ah tiens, ça c’est bon ». Se battre en studio n’inspire pas la ligne de basse d’Another One Bites the Dust ; et on ne négocie pas un contrat en deux engueulades chez un producteur obèse.

Le pire, évidemment, c’est cette histoire de rédemption, totalement ridicule dans le rock, et en particulier avec Freddie Mercury ! Le rock, c’est justement l’un des rares endroits où l’on peut vivre pendant cinquante ans une vie de débauche, de coups tordus, et de saloperies en tout genre. Presley, les Stones, Tupac ont fait absolument ce qu’ils voulaient, ont vécu la vie qu’ils souhaitaient vivre, et n’ont jamais cherché une quelconque forme de rédemption. Au contraire, le modèle économique du showbiz encourage tous les débordements, tous les excès pour mieux tenir les stars à coup d’à-valoirs ; Johnny était le plus criant exemple français.

Mais la rédemption, c’est le viatique du feelgood movie, le doudou régressif du public : Freddy Mercury était un peu méchant, un peu mal dans sa peau (il est gay et ne l’assume pas !) ; un bon coup de SIDA et le voilà réconcilié avec tout le monde : son groupe, son ex, et même son père rigoriste. Le partouzeur finit même en couple…

Tout est faux, évidemment**. Seule source de satisfaction, l’incroyable musique de Queen est là : the show must go on.

* à part Johnny Cash, peut-être, revenu à la religion par sa femme.
** en particulier la chronologie bidonnée du Live Aid, qui fait monter la dramaturgie, mais ne correspond en rien à la réalité




mardi 17 septembre 2019


Retour vers le passé
posté par Professor Ludovico dans [ Le Professor a toujours quelque chose à dire... ]

Avant de voir Apollo 11 – chef-d’œuvre de documentaire sur la conquête spatiale – au Pathé La villette, on doit subir une poignée génériques IMAX, sur le thème « préparez-vous au grand spectacle », avec vibration du siège, musique assourdissante, etc.

Cela évoque immédiatement Le Royaume de leurs Rêves. Dans la somme de Neal Gabler sur les premiers pas de l’industrie, l’auteur raconte comment cette attraction de foire devient, au début du vingtième siècle, un passe-temps mondial et bientôt un art. A l’époque, on ne diffuse que quelques images à grand spectacle (la Tour Eiffel ou les Chutes du Niagara) ; la foule donne ses 5 cents, s’esbaudit et repart cinq minutes plus tard vers l’attraction suivante, la Femme à Barbe ou le stand de pommes d’amour.

C’est peut-être ce qu’est en train de (re)devenir le cinéma, en tout cas le cinéma américain, qui propose de plus en plus des films spectaculaires peu regardables (dans tous les sens du terme) en dehors d’une salle de cinéma équipé d’écrans géants et de son surround.

C’est exactement ce qui s’est passé dans les années 50, quand la télé s’est généralisée aux Etats-Unis. Le phénomène a obligé l’industrie à un certain nombre de révolutions technologiques : la généralisation de la couleur, la création d’un format non adapté au téléviseur (le Cinémascope), mais l’a aussi amené à revoir ses contenus. A la place des drames intimes, des polars glauques, les genres à grand spectacle se sont développés : le western et le péplum*.

Aujourd’hui, ce sont les films de superhéros qui tiennent le haut de l’affiche, et le péplum a été remplacé par la Fantasy. Un autre genre suit une croissance exponentielle : le film d’horreur. Là aussi, un genre de films qui ne fonctionne pas devant sa télé**, mais où l’expérience de la salle, où l’on est prisonnier de son siège, produit l’effet maximum…

* Même s’ils préexistaient déjà (Intolérance, Tom Mix, etc.)
**ou alors en mode second degré, avec pop-corn et pizza.




vendredi 13 septembre 2019


Apocalypse Now Final Cut
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]

Saïgon. Merde. Le Professore est toujours à Saïgon. À chaque fois, je crois que je vais me réveiller dans la jungle. Mais non, je suis dans une salle de cinéma, à revoir, pour la treizième fois, Apocalypse Now, le chef d’œuvre des chefs d’œuvres. Cette fois-ci, c’est pour la quatrième version de l’opéra Coppolien, imprudemment baptisée Final Cut.

Récapitulons . Première version, dite « Cannes » : sans générique de fin, fondu au noir au final (la meilleure), version 2 ramboesque : générique avec bombardement final, exterminons-toute-cette-racaille (la plus connue) ; Version Redux : 3h22 dont une heure de bavardages (version honnie) ; et cette version, paraît-il finale (Redux raccourcie)…

Ludovico est un bon client mais il n’est pas dupe, il sait très bien que cette opération marketing cherche à renflouer les caisses des vignobles Coppola, que ce Final Cut n’a de final que le nom, et qu’il y aura un jour un nouveau montage final director’s cut Redux lorsque l’ogre du Parrain aura besoin d’une nouvelle Lamborghini. Peu importe. Quand on a l’occasion de voir la bête en salle, on ne s’en prive pas.

Evidemment, c’est raté. Final Cut est une sorte de Redux réduit de vingt minutes dont on aurait enlevé les plus grosses bêtises (l’interview de Brando obèse à l’extérieur du temple, les scènes avec les playmates…) Mais on a gardé le pire : la pénible et inutile scène de la plantation française avec une Aurore Clément qu’on a connu meilleure…* Et surtout la stupide extension de la scène de surf. Dans la version originale, la scène se termine sur une note dramatique : « Un jour, cette guerre sera terminée », dit le Colonel Kilgore, des trémolos dans la voix. Que faire ensuite, semble-t-il penser, dans une vie pacifique et ennuyeuse, alors que nous vivons aujourd’hui des moments si excitants. Ce message, c’est le cœur d’Apocalypse Now, le message que martèlera Coppola à sa conférence de presse à Cannes, tel un Genevoix ou un Jünger de la Guerre du Vietnam : « La guerre fait partie de l’homme. Il n’y aurait pas de guerre s’il n’y a avait pas d’hommes prêts à la faire ».

Mais c’est le même Coppola qui massacre ici son message en transformant cette scène en gag : Willard et l’équipage du bateau volent la planche de surf de Kilgore, et celui-ci, pathétique, les pourchasse pour la retrouver. La scène, clownesque, détonne dans l’ambiance générale du film, et transforme Willard en gars sympa et humain. Tout le contraire du tueur marmoréen et nietzschéen qui hante le film.

Pour le reste, Apocalypse Now reste ce chef-d’œuvre imputrescible, qui démontre à chaque visionnage le génie du cinéaste Coppola, la force et la richesse de son propos, à la fois charge antimilitariste et war-opera au LSD. Aujourd’hui, les scènes qui fascinaient il y a quarante ans (hélico, explosions, Chevauchée des walkyries et tutti quanti) sont plutôt pâles selon les standards actuels.  Mais ce sont les scènes intimistes qui éblouissent. En particulier  l’incroyable briefing initial, duel verbal opposant Willard (Martin Sheen) à ses supérieurs, le Colonel Lucas (Harrison Ford) et le général Corman** (G.D. Spradlin) qui ne lui demandent rien de moins que d’assassiner froidement un colonel américain. Tout est dit dans cette scène, sur le Vietnam, la guerre, la hiérarchie, et tout est dit par le cinéma. Show, don’t tell. Un plateau de crevettes que refuse de manger les blancs mais que mange Jerry, le seul métis de la pièce (Jerry Ziesmer). Le magnétophone japonais Sony qui tourne alors que les asiatiques sont pris de haut (« these natives »), le pacte démoniaque que l’on fait signer à Willard sous forme d’un euphémisme « terminer le colonel Kurtz », et qu’on habille de discours philosophiques « il y un conflit en chaque cœur humain » ou de considérations pratiques « votre mission est de remonter la Nung jusqu’à Nu Mung Ba »… Le tout filmé de manière très classique, champ/contrechamp, panoramiques majestueux, et gros plans d’insert sur la nourriture que viennent seulement interrompre – tabou absolu du cinéma – des regards caméra. Ils viendront hanter les spectateurs pendant tout le film. De Willard au Général Corman, du Chef Phillips au Colonel Kurtz, les personnages d’Apocalypse now interrogent le spectateur du regard : que regardes-tu ? Que vois-tu ?

L’horreur, tout simplement. L’horreur. L’horreur.

* « There are two of you, don’t you see? One that kills… and one that loves ».
** A l’époque Coppola était en froid avec George Lucas. Roger Corman avait été son mentor.  




mardi 10 septembre 2019


Apollo 11
posté par Professor Ludovico dans [ Documentaire ]

Apollo 11 en IMAX, ça avait tout l’air d’une escroquerie marketing ciblée sur le Professore Ludovico ou le Rupelien. Mais c’est en réalité un documentaire extraordinaire. Par un hasard incompréhensible, ces images ont été, oubliées à l’époque dans les archives de la NASA. Elles réapparaissent aujourd’hui comme par enchantement.

Apollo 11, C’est un film pour les passionnés, assez aride pour le non-initié. Pas de commentaire, pas de mise en contexte : juste les commentaires de 1969 et le jargon habituel (« VOL ? Go ! STR ? Go ! »).

Mais l’émotion est toujours là, IMAX ou pas IMAX : on tremble quand Saturn V fait décoller ses 3000 tonnes et on tremble encore, quand les 500 kg qui restent se posent enfin dans l’océan Pacifique après cette incroyable odyssée.

La corolle blanche et rouge, le bleu de l’océan pacifique ; et voilà que les souvenirs de l’enfance remontent, comme la capsule Apollo, à la surface….




dimanche 8 septembre 2019


Et Moi, et Moix, Emois…
posté par Professor Ludovico dans [ Le Professor a toujours quelque chose à dire... -Les gens ]

L’« affaire » Yann Moix est intéressante à plus d’un titre, en tout cas pour ce qui nous concerne ici. Le piège diabolique de l’autofiction, notre douteux rapport avec la « vérité », le consensus qui tue toute forme de pensée, le point Godwin, le fonctionnement de l’industrie show-business, oui, toute cette affaire est passionnante…

Car disons-le tout net : si Yann Moix avait écrit Orléans à la troisième personne, il n’y aurait pas d’affaire. Le roman serait un vrai roman, pas un simple disclaimer sur la couverture jaune de Grasset. Il raconterait l’enfance d’un petit garçon subissant les sévices de parents maltraitants (fessées à coups de fils électriques, assiette de caca à ingurgiter, abandon dans la forêt, etc.) ; une histoire que l’on serait libre de trouver exagérée ou tragique. Point final.

Si c’est un roman, tout est possible, même de s’inspirer de la vie de l’auteur. Mais si c’est la vérité, on est en droit de l’examiner.

C’est là que les mâchoires d’acier de l’autofiction, du Biopic, du Based on a True Story se referment sur le lecteur/spectateur. En écrivant ce récit à la première personne, et en exerçant lors de la promo le chantage de l’autofiction, Yann Moix oblige le lecteur à adhérer à son histoire et lui interdit de la trouver exagérée. C’est la vérité, c’est ma vie ! clame-t-il dans ses premiers interviews.

Mais patatras, une semaine après la sortie du livre, la famille conteste ces événements dans la presse. Voilà le lecteur pris entre sa vérité et celle de son frère, qui raconte une histoire contraire. Yann Moix serait le bourreau, Alexandre Moix, la victime. C’est lui aurait fini la tête dans les cabinets, etc., etc.

Pas de problème, la mécanique marketing de l’autofiction a tout prévu : en apposant la douteuse mention de « roman » sur la couverture, on gagne sur tous les tableaux… quand la famille de Yann Moix se manifeste, Grasset rappelle qu’avant tout, Orléans est « romancé » Et Moix d’ajouter, sibyllin : « C’est un roman, pas un récit, car j’ai enlevé mon frère ». Sic ! … *

Mais pourquoi avons-nous cru au début à l’histoire de Yann Moix? Au Masque et la Plume, émission favorite du Professore Ludovico, personne n’a trouvé à redire à Orléans. « Chef-d’œuvre de Yann Moix », « Son meilleur livre », « L’histoire tragique et vraie des enfants battus », … Un unanimisme rare : au Masque, il y toujours quelqu’un qui n’aime pas…**

Pourquoi un tel consensus ? D’abord parce que l’émission, enregistrée avant la contre-attaque de la famille, a été diffusée après. Ensuite (et surtout) parce que personne ne peut oser émettre le moindre doute sur un sujet aussi sensible, et risquer de mettre en brèche le consensus général sur la tragédie des enfants battus.*** C’est là le deuxième chantage : il est impossible d’émettre une critique, même littéraire ou stylistique, parce que le livre parle d’un sujet consensuel.

Mais voilà que la vérité de la semaine dernière est soudain devenue inaudible. Ce qui nous amène au deuxième point. Pourquoi est-elle devenue une inaudible ? Par le même mécanisme qu’elle était incontestable la semaine précédente.

Car voilà que surgit un autre sujet consensuel. Yann Moix est accusé d’avoir écrit des articles antisémites, lorsqu’il était en Ecole de Commerce. Taratata, point Godwin atteint ! La victime est soudain devenue bourreau. Il n’y a aucun rapport (un livre de victime d’une part, une connerie de jeunesse d’autre part). Rien n’indique que Moix soit toujours antisémite. On pourrait même dire le contraire. Mais on est passé d’un consensus national (les enfants battus) à un autre consensus (la lutte contre l’antisémitisme).

Les vannes s’ouvrent. On peut désormais, inexplicablement, parler du livre Orléans, et en questionner la véracité : s’il a caché sur son passé antisémite, il a peut-être menti sur son enfance meurtrie. De sorte que l’on assiste à ce spectacle ahurissant : voir ces questions traitées par… Touche pas à Mon Poste, dont on ne peut pas dire que ses chroniqueurs aient été jusque-là des spécialistes de la littérature française. Pourtant leurs questions, ce jour-là, ne sont ni stupides ni illégitimes.

Autre intérêt de cette affaire, voir affleurer le fonctionnement du showbusiness. Contrairement à ce que raconte en général le monde de l’art – l’artiste solitaire, Prométhée créant contre le monde de l’argent -, le secteur fonctionne comme un autre, l’automobile ou les assurances. Avec des grosses boites et des PME. Des clients et des fournisseurs. Des patrons et des employés. Tout un réseau de connexions. Après tout, rien d’étonnant si on regarde ça avec suffisamment de distance…

Mais là, soudain, le spectateur lambda peut voir ce fonctionnement, à nu. Au Masque, Frédéric Beigbeder aime le livre de Yann Moix ; c’est normal, c’est un ami. Ce n’est pas interdit, mais Beigbeder est aussi édité chez Grasset. Laurent Ruquier invite Yann Moix à s’expliquer dans On n’est Pas Couché. Pourquoi pas ? Mais Moix est son ancien chroniqueur, et personne ne lui apportera, durant cinquante minutes, la moindre contradiction (on aurait pu inviter les journalistes de L’Express qui ont sorti l’affaire…) Catherine Barma, qui produit l’émission de Ruquier, produit aussi Chez Moix, l’émission de l’écrivain sur Paris Première. Dans Touche Pas à mon Poste, qui prend la défense de Yann Moix ? Éric Naulleau, ancien chroniqueur d’On n’est Pas Couché. Qui prend aussi sa défense ? Bernard-Henri Lévy, injurié par le jeune Moix antisémite qui mais lui aussi est édité chez Grasset…

Oui décidément, cette affaire est passionnante…

* Un mode de défense que l’on a pu voir à l’œuvre pour sauver des films sous le feu de la critique : Hoover, Sully, Imitation Game, Mesrine

**Pendant toute l’émission, les chroniqueurs s’effarent de ce que subit le petit Moix, en s’étonnant que ce soit possible de nos jours. Peut-être que tout simplement, ça ne l’était pas …

***Imaginons un instant l’inverse. Yann Moix écrit à la première personne son expérience de père tortionnaire, en justifiant les châtiments corporels comme la meilleure forme d’éducation. La réaction du Masque aurait été évidemment toute autre. Déplaçons maintenant notre affaire en 1850, c’est encore l’inverse qui se serait produit : on défendrait Yann Moix, père autoritaire mais garant de l’éducation de ses enfants, et on rirait au contraire d’Orléans, sensiblerie ridicule d’un enfant devenu adulte.




jeudi 5 septembre 2019


Roubaix : Une Lumière
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]

Il est rare que le Professore Ludovico ne soit pas d’accord avec Notre Agent au Kremlin, mais ça arrive. Elle n’a pas aimé Roubaix : Une Lumière, on a adoré. Desplechin, qui avait faiblit un peu sur Les Fantômes d’Ismael, revient ici en force, pourtant à l’écart de son parcours habituel. Un polar sur Roubaix, ville fétiche, mais filmé comme un Whitechapel chti ; corons de briques rouge, misère et petits larcins, flics débordés.

Contrairement au regard condescendant des frères Dardenne, Desplechin filme ça à hauteur d’homme (ou plutôt de femme, les excellentes Léa Seydoux et Sara Forestier)…. et comme d’habitude, il mêle stars et acteurs amateurs, ce que le spectateur accepte sans barguigner.

L’histoire est un classique du polar : une ville, la nuit (de Noël), les petites affaires qui s’enchaînent : vol de voiture, braquage, incendie, et soudain, le drame. Qui dit la vérité ? Qui ment ? Les victimes et les voyous se mélangent, sous l’œil consterné du rookie (Antoine Reinartz, personnage totalement Desplechinesque, en flic catho lecteur de Levinas), et celui, madré, du commissaire Daoud, l’impressionnant Roschdy Zem…

Car c’est là le talent de l’araignée Desplechin : elle tisse très vite sa toile d’araignée psychologique, son commissaire algérien impassible, entouré de ses inspecteurs hystériques, sa fugueuse marrante, son voyou flamboyant et son duo de jeunes femmes paumées… En deux heures, il aura creusé au fond des êtres, comme dans un Simenon.

Desplechin : cinéaste lumière.