Il ne suffit pas de prendre un réalisateur provocant, une actrice bankable, et un sujet dans l’air du temps (femmes oppressées par la religion), pour faire un bon film.
Nous aimons beaucoup Paul Verhoeven ici, mais ça ne suffit pas non plus. Parce que le réalisateur hollandais s’est laissé emporter par sa charge anti-religieuse, ou tout simplement parce qu’il n’a pas beaucoup travaillé. Retour sur Benedetta en quatre échecs…
L’ignorance crasse du Moyen Âge
Dès les premières minutes, le connaisseur – et donc l’amoureux ! – du Moyen Âge n’est pas déçu de ce voyage en Toscane. Outre le fait que les décors, les costumes, les accessoires, font passer Les Rois Maudits* pour une reconstitution minutieuse à la Kubrick, on trouve dans Benedetta tous les clichés imaginables sur cet « âge des ténêbres ».
Au moyen Age, on était certes superstitieux, croyant, mais aussi cynique et utilitariste. Il y avait des homosexuels, et ils n’étaient pas tous condamnés à mort. Paul Verhoeven n’a aucune excuse pour ne pas le savoir puisqu’il utilise la musique d’Hildegarde de Bingen, une Moniale du XIe siècle, poète, médecin, herboriste et homosexuelle. Quant à l’utilisation opportuniste des miracles et autres reliques, c’est un fait connu qui aurait mérité d’être mieux traité que façon Borgia vu par Manara.**
Quant à la sexualité, le sujet n’est absolument pas traité, alors que l’on sait que c’est un des problèmes majeurs de l’église catholique. Il aurait fallu montrer que Benedetta n’était pas la seule avoir des désirs, que ces désirs étaient réprimés, et que l’extase religieuse ressemblait bizarrement à l’extase sexuelle (cf. toute la statuaire de la Renaissance) ; tout cela aurait pu expliquer le long naufrage du personnage….
La provocation à deux balles
Prendre Paul Verhoeven pour réaliser Benedetta, c’est évidemment chercher le combo qui fait vendre. On voit tout de suite la baseline marketing : Verhoeven + Virginie « Sharon Stone » Efira en nonne lesbienne + cris d’orfraie de l’Eglise catholique*** = succès garanti.
Verhoeven a fait de la provoc son fonds de commerce, mais chez lui, c’est plus que ça : une véritable signature artistique. Secouant sa hollande natale avec Spetters ou Le Quatrième Homme, choquant l’Amérique tout entière, de la gauche à la droite, avec sa tueuse lesbienne de Basic Instinct, ou remuant le couteau dans la plaie en filmant les héros aux dents blanches, 100% américains, de Starship Troopers comme l’aurait fait Leni Riefenstahl, en choquant même la France avec Elle, avec Isabelle Huppert violée mais pas plus gênée que ça****, Verhoeven fait scandale, mais pas que…
Pourquoi ça ne fonctionne pas ici ? D’abord, parce que c’est loin, le Moyen Âge. Facile à caricaturer en monde misogyne, asexué, pétri de superstition. Qui peut se sentir insulté ?
Ensuite c’est grossièrement fait : transformer la statuette de la Vierge Marie (que vénérait Benedetta enfant) en godemiché, non seulement ça se voit de loin, mais il va en falloir plus pour épater le bourgeois. N’est pas Ken Russel ou Pasolini qui veut…
Le Catholic bashing
Si c’est une grande tradition des films américains, il ne faut pas pousser Verhoeven très loin puisqu’il a toujours aimé s’attaquer aux bigots. Néanmoins, la description totalement ridicule qu’il fait de la vie dans une abbaye toscane rate sa cible, car on ne sait pas très bien dans quel film on est. Si c’est une caricature des institutions religieuses, il faut y aller plus loin, plus fort (Les Diables de Ken Russell). Et dans ce cas, on ne peut pas être dans le drame. Si au contraire, on prend le parti d’une Benedetta absorbée par ses visions, il faut chercher du côté de Cavalier (Thérèse), Arcand (Jésus de Montréal) ou même du Jeanne d’Arc de Luc Besson ! Et dans ce cas, il faut travailler un peu plus sérieusement les visions où Virginie Efira se rêve en épouse de Jésus. On peut encore prendre un point de vue cynique – tout à fait viable -, d’une Benedetta femme de pouvoir, manipulant moniales, hiérarchie et petit peuple avec ses miraculeuses stigmates. Mais en jonglant avec toutes ces possibilités sans vraiment choisir, Verhoeven reste dans le flou. Comme très souvent, c’est parce qu’il n’y a pas de personnage qu’il n’y a pas de film. Pas de Benedetta, pas de Benedetta.
L’erreur de casting
Le personnage, parlons-en. Virginie Efira est une actrice talentueuse, mais elle n’a pas du tout l’ambiguïté nécessaire pour le rôle*****. Maquillée de bout en bout, extrêmement belle, elle détonne déjà au milieu d’une abbaye Toscane. Découvrant le plaisir physique, on a l’impression qu’elle a fait ça toute sa vie. Devenant Révérende mère, pareil. Pendant tout le film, Virginie Efira n’aura pas l’air à sa place, mais plutôt en train d’imiter Isabelle Huppert. Et c’est justement cela qu’il aurait fallu : la jeune Isabelle Huppert, tout à la fois pleine de morgue et d’ingénuité, de Coup de Torchon ou de Violette Nozière.
* Les dialogues ressemblent à une dramatique de des années 70 avec toutes les liaisons qu’il faut : « que faites-vous zici ? », etc.
**En s’inspirant du très beau livre de Carole Martinez, Le Domaine des Murmures
*** Pas de chance : celle-ci n’a pas réagi.
**** Avec déjà Efira en ultra-catho
***** Une seule actrice d’ailleurs surnage au milieu de ce naufrage : c’est Charlotte Rampling, parfaite d’ambiguïté en Révérende Mère qui comprend qu’on peut avoir le pouvoir, et s’en servir, même dans ce moyen âge de ténèbres … Bientôt dans un autre rôle de Révérende Mère, Bene Gesserit cette fois : Gaius Helen Mohiam, dans Dune