Evidemment, tout le monde dans la salle connait John Sayles, légendaire incarnation du « one for them, one for us » ; l’antienne Hollywoodienne qui veut que l’on accepte de se compromettre dans l’Usine à Rêves pour pouvoir financer/greenlighter des projets plus personnels. Par exemple, accepter – comme Steven Soderbergh – de faire la suite d’Ocean’s Eleven pour faire Bubble.
John Sayles a fait mieux que ça : scénariste de films de genre (Piranha, Alligator, Battle Beyond the Stars, Hurlements…), script doctor renommé sur des gros films Hollywoodiens (E.T., Apollo 13, Jurassic Park…), il a pourtant dévoué toute sa carrière à un cinéma des plus indépendants, très marqué à gauche : le racisme (The Brother from Another Planet), la condition des mineurs (Matewan), la corruption dans le sport (Eight Men Out), ou dans la vie publique (City of Hope), mais aussi les drames familiaux (Passion Fish, Lone Star), ses deux chefs-d’œuvre.
A chaque fois, des scénarios humains, subtils, précis, servis par la crème des acteurs B-list, que l’on retrouve de film en film, et qui finissent par constituer une troupe : Chris Cooper, Joe Morton, David Strathairn, Mary McDonnell, Alfre Woodward, Angela Bassett…
Même si sa filmographie s’est étiolée depuis Limbo (1997), il ne faut pas rater la quasi intégrale que nous propose la Cinémathèque, en présence du Maître.
La Cinémathèque Française
51 rue de Bercy
75012 Paris
« Dieu a créé Arrakis pour éprouver les fidèles ». Dès le départ, Frank Herbert nous avait prévenus : le Sentier d’Or ne serait pas une promenade de santé. Un très grand livre initial, mais des suites de pire en pire (Les Enfants, L’Empereur-Dieu…) Une adaptation Lynchienne en forme d’accident industriel. Des séries TV fidèles mais d’une cheapitude abyssale. Une tentative d’adaptation par Alejandro Jodorowsky qui fait rigoler sur le papier, mais qui aurait déclenché une guerre sainte si jamais elle avait vu le jour. Sans parler des livres écrits par le fiston, sur un coin de table. Rien, réellement, n’a été épargné au fan de Dune, sans pour autant écorcher son estime immodérée pour le roman original et son univers…
Pour ma part, j’ai menti. J’ai trahi mes amis, qui voyaient pourtant en moi leur Lisan al Gaib, la Voix du Dehors qui les guiderait sur le Sentier d’Or. J’avais promis de les accompagner voir Dune, mais en vérité, c’était impossible. Il fallait que j’y aille seul, le premier jour, à l’aube, sans le popcorn des fâcheux. Sans amis aux pensées négatives, ou confits d’extase indue. Il fallait pouvoir pleurer en silence ou crier au génie, seul, après trente-sept ans d’attente dans le silence de l’Impérium.
« On ne verse pas l’eau des morts », mais évidemment, c’est plutôt de larmes dont il faut parler. Ce n’est pas encore cette fois-ci qu’on verra un vrai film sur Dune. Il y a bien une adaptation, signée Denis Villeneuve, qui passe en ce moment en salles, (et rencontre un immense succès), mais pas un film. Ce qui confirme au passage que Villeneuve décline jour après jour : un chef d’œuvre (Prisoners), un film expérimental intéressant (Enemy) et depuis, des films prétentieux, esthétiques, mais vidé de personnages et de sentiments.
Comme Dune.
Car, malgré l’amour évident que Denis Villeneuve porte au livre, le réalisateur échoue (on doute même qu’il s’y intéresse) à bâtir une construction dramatique, et à créer des personnages charismatiques. Dune le film est un mélange du cinéma d’Epinal (une illustration des grandes scènes du livre) et un déversoir désordonné des obsessions artistiques – hors cinéma – de Denis Villeneuve…
C’est en vérité tout le contraire d’un Peter Jackson qui a su casser Le Seigneur des Anneaux sans le détruire. Peter Jackson est un cinéaste, il sait ce qui marche au cinéma et ce qui ne marche pas. Il développe le personnage d’Arwen, absente du livre, pour créer une love story qui emporte le spectateur. Il déplace l’intrigue des Ents, importante mais peu sexy, pour alterner moments forts et moments faibles.
Villeneuve fait le contraire lors de l’affrontement entre le Duc Leto et le Baron Harkonnen. Il alterne cette scène cruciale avec une autre, celle de Paul et sa mère, refugiés dans une tente. Ce montage alterné se justifie parce que, dans le livre, ces scènes se passent en même temps. Mais Lynch (dont le film n’est pas bon, mais pour d’autres raisons) a compris l’intérêt dramatique du suspens autour de « la dent ».
En renonçant à poser dès le départ, les enjeux de ses personnages, Villeneuve se prive de toute résolution, et de tout drame. Pourtant, les enjeux existent, ils sont là, clairement décrits par Herbert… L’amour entre Leto et Jessica, mais aussi la suspicion, le double jeu potentiel de sa concubine, et les soupçons de Thufir Hawat, la menace qui pèse sur Yueh, sans parler des manigances qui agitent la Maison Harkonnen, ou la Maison Impériale. Même Lynch réussit (maladroitement) à les exposer…
Autre défaite du cinéma, la musique omniprésente de Hans Zimmer, révolutionnaire dans The Dark Knight, et qui confine au cliché aujourd’hui. En permanence, elle indique grossièrement au spectateur ce qu’il doit ressentir : avoir peur, être effrayé, pleurer… Une musique lourde comme les briques, posée à la truelle sur le montage de Villeneuve.
Idem pour le design du film, impeccable mais bétonné… Villeneuve aime cette architecture brutaliste, et nous l’impose désormais à chaque film. Les vaisseaux de Dune ressemblent aux galets de Premier Contact. Tout le monde semble vivre dans un décor monumental, comme dans Blade Runner 2049. Ce n’est pas un détail, c’est là la faiblesse du cinéaste ; Villeneuve n’est pas un intellectuel du cinéma, mais un graphiste qui cherche juste à traduire sa vision en images. Il ne réfléchit pas à ce que le cinéma peut – et doit – véhiculer. Il oublie que le public ne regarde pas des images, mais s’immerge dans un univers. Et que tout ce qui constitue cet univers est crucial pour ne pas perdre le spectateur. Ce qui obsède aussi bien Hitchcock, (qui voulait que l’appartement de l’institutrice des Oiseaux ne ressemble pas à un penthouse de designer), ou Ridley Scott (qui voulait que toute l’électronique d’Alien fonctionne). Villeneuve, lui, se fiche du réalisme du moment que c’est beau. Les scènes se déroulent dans de grandes pièces rectangulaire, où ne traine ni une chaise, ni un papier. Il fait sombre partout, quelle que soit la planète. On est loin de la richesse graphique de la production d’Anthony Masters, le DA du Dune lynchien, avec ses costumes victoriens et ses décors incroyables…*
Il y a néanmoins dans le Dune de Villeneuve des points positifs : Timothée Chalamet, qui sort largement du lot, malgré les pointures qui l’entourent (Oscar Isaac, Stellan Skarsgård, Josh Brolin, Javier Bardem…) Comme entrevu dans The King, Chalamet est parfait pour le rôle : frêle et fort, timide et charismatique, capable de déclencher l’émotion d’un simple froncement de sourcil. Zendaya fait de même en proposant une Chani plus rigoureuse que Sean Young. Les scènes de duels sont réussies, l’arrivée sur Arrakis et la description des Fremen et de leur messianisme, particulièrement courageuse et réussie**. Les parties dans le désert sont tout aussi magnifiques.
On ira donc voir la suite, sachant qu’en vérité, on attend l’impossible. Dune n’est pas adaptable. Pas pour des problèmes techniques, tous résolus aujourd’hui, mais pour un bête problème de business model hollywoodien.
Le Professore revient bientôt vous expliquer tout ça…
*Un exemple parmi d’autres : la navette du Héraut de l’Empereur est gigantesque, mais ne contient que quelques personnes. Les autres vaisseaux sont petits. Pourquoi ? Peut-être parce que l’Empereur est immensément riche. Dans le Lynch, c’est montré : l’intérieur est entièrement en or…
** Rappelons que ce film américain décrit des méchants capitalistes exploitant sans vergogne un monde moyen-oriental peuplé de gentils fanatiques religieux prêts à déclencher le Jihad.