vendredi 31 décembre 2021
Tromperie
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]
En 2006, le tribunal de Grande Instance de Paris déboutait Marianne Denicourt, ancienne compagne d’Arnaud Depleschin, qui lui réclamait 200 000 euros de dommages-intérêts pour atteinte à la vie privée. En cause, Rois et Reines, un film de 2004 où l’on voyait – entre autres – un homme faire une chute mortelle d’une fenêtre. Pour l’actrice, Desplechin avait utilisé sans son accord de nombreux fragments de sa vie personnelle. « Madame, si vous ne voulez pas que ça arrive, il ne faut pas être à la compagne d’un artiste », aurait déclaré la juge dans sa conclusion.
Visiblement, Desplechin veut encore régler ses comptes et mettre les points sur les « i » : un artiste et un homme, ce n’est pas la même chose. C’est la conclusion de Tromperie, un projet qui remonte justement … à 2006.
Adapté du roman de Philip Roth, le nouveau film du cinéaste de Comment je me suis disputé… (ma vie sexuelle) raconte l’histoire d’un écrivain qui couche les femmes dans son lit, puis sur le papier.
En particulier, une jeune et jolie anglaise (Léa Seydoux) dont les conversations alimenteront son futur roman, Tromperie.
Si l’on peut aisément imaginer le fort message autobiographique du film, Arnaud Depleschin n’est jamais à son meilleur quand il travaille sur sa propre vie : Rois et Reine, Un Conte de Noël, Trois souvenirs de ma jeunesse… Mais ici, on sent trop Philip Roth à chaque plan. Le cinéaste, toujours l’un des plus inventifs du cinéma français, colle au texte original. Il respecte la trame du livre (entièrement composé de dialogues), avec ses répétitions, ce qui fait que tout est trop long. Et qu’il y manque la distance habituelle qu’on trouve dans ses films, ironie souvent incarnée par Mathieu Amalric ou Emmanuelle Devos.
Et le cinéaste a beau sortir ses autres Ferrari (Seydoux, Podalydès), ça ne décolle pas… Trop peu de cinéma dans Tromperie. Ce qui fonctionnerait sur la scène de l’Odéon ne marche pas au MK2 Bastille… Tromperie est trop théâtral, trop littéraire, même pour un Arnaud Depleschin.
jeudi 30 décembre 2021
The Card Counter
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]
Ça faisait longtemps qu’on n’était pas allé voir un Paul Schrader. Ce n’est pas l’offre qui manque, mais hier, on n’avait pas le cœur à aller voir le Desplechin, qui nous fait un peu peur. Le gars Arnaud n’est jamais meilleur que quand il parle de lui, mais cette fois, il adapte son héros, Philip Roth. On ira quand même, et on vous racontera.
Paul Schrader, donc. Monsieur American Gigolo et La Féline, amis surtout scénariste de Yakuza, Taxi Driver, Raging Bull, La Dernière Tentation du Christ… et The Card Counter, une éternelle rédemption Schraderienne.
Ici, William Tell (sic), ancien militaire sort de prison et s’entiche d’un jeune homme dont il a bien connu le père en Irak. Pour lui, pour combler ses dettes et peut-être plus encore, Tell accepte de se remettre au poker sur les conseils d’une autre joueuse, La Linda (excellente Tiffany Haddish) qui n’a d’yeux que pour lui.
Voir un Paul Schrader, c’est évidemment accepter un cinéma traditionnel, inscrit dans la lenteur, avec des rebondissements parfois un peu faciles. Mais voilà, The Card Counter est porté par un des plus grands comédiens de sa génération (et peut-être le meilleur) : Oscar Isaac. Qu’on en juge : Agora, Robin des Bois, Drive, Inside Llewyn Davis, A Most Violent Year, Ex machina, Star Wars, Show Me a Hero, Dune… rien de moins qu’Alejandro Amenábar, Ridley Scott, Nicolas Winding Refn, Joel et Ethan Coen, Denis Villeneuve, David Simon…
Une fois de plus, Isaac délivre une performance exceptionnelle, en toute humilité. Il crée ainsi une démarche un peu gauche pour son personnage, dont on ne se rend pas compte au premier coup d’œil. Son personnage semble en retrait, sous-joué, mais sa performance devient explosive quand la caméra de Schrader se rapproche insidieusement, dévoilant fêlures et folies.
On n’a jamais aussi bien filmé une cocotte-minute.
mardi 28 décembre 2021
Don’t Look Up (Déni Cosmique)
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -
Les films ]
Et si Hollywood nous avait menti ? Et si, une comète s’apprêtant à percuter la terre, on n’envoyait pas de working class heroes sauver le monde, comme dans Armageddon ? Et si on ne cherchait pas à se réconcilier avec son père, comme dans Deep Impact ? Mais qu’on s’en foutait complètement ? Parce qu’on n’y croit pas… parce qu’il y’a des choses plus intéressantes, comme le mariage de Meghan Markle ou la sex tape de Benjamin Griveaux ?
Derrière ce pitch très alléchant, il y a un ratage, cosmique lui aussi. Pour des raisons incompréhensibles, Don’t Look Up ne fonctionne pas du tout. Le top des acteurs US (Leonardo DiCaprio, Jennifer Lawrence, Meryl Streep, Jonah Hill, Cate Blanchett, Mark Rylance, Timothée Chalamet, excusez du peu !) joue très bien, mais la satire tourne à vide.
Pourtant tout est là sur le papier et Adam McKay (The Big Short) fait feu de tout bois : présidence trumpiste, ados déconnectés, télé putassière et gourous hi-tech perchés… On voit très bien que les gags sont écrits, mais ça ne marche pas à l’écran.
Mystère (et magie) du cinéma.
dimanche 26 décembre 2021
Retour à Dillon
posté par Professor Ludovico dans [ Le Professor a toujours quelque chose à dire... -
Séries TV ]
À l’heure où Canal+ a la bonne idée de combler cet immense vide culturel qu’était l’absence de Friday Night Lights sur les écrans français, et qu’on attribuera évidemment l’anti-américanisme et au mépris le plus crasse pour le Pays de la Démocratie, de la Libre Entreprise et de la Lutte contre le Communisme, il était temps de retourner à Dillon, Texas.
Pour voir la bête, au-delà de ce qui a déjà été dit, c’est-à-dire l’incroyable ambition de Peter Berg de traiter, dans le cadre étroit d’une petite série sur le football, rien de moins que Tout et Son Contraire : l’Amérique, terre de contrastes.
Ce point de vue holistique – traité comme une symphonie de caractères -, et un sens inné du mélodrame ont fait de FNL LE Drama définitif des années 2000. Et si à la relecture les péripéties sportives des Dillon Panthers, l’équipe high school football deviennent secondaires (on connait la fin du match), revoir Friday Night Lights, c’est aussi l’occasion de lui trouver d’autres qualités, d’autres thématiques.
Revue d’effectifs…
Un film féministe au pays des cagoles
Dans l’environnement de FNL, la femme moderne n’est pas vraiment représentée : pom-pom girl, fêtarde imbécile, ou mère courage, les role-models sont limités. Mais comme le reste de FNL, cette description hâtive est une illusion. Nourrie de clichés qu’elle va très vite entreprendre de démolir consciensieusement, FNL affirme en fait que les rôles féminins sont les personnages les plus forts de la série.
Lila Garrity, la très jolie Cheerleader nunuche, fille du garagiste local et président des Panthers, amoureuse guimauve du Quarterback Jason Street en est l’exemple principal. Ce cliché sur pattes va rapidement se métamorphoser en papillon Drama. Effondrée par l’accident de ce qu’elle envisageait comme son futur mari, Lila fait l’erreur de tomber dans les bras de son meilleur ami. Elle devient alors moins que rien, harcelée sur Internet (là où se déroule La Lettre Ecarlate de nos jours). Mais plutôt que se repentir, Lila Garrity se révolte (« I made ONE mistake !! ») contre ses amants, contre sa la famille, contre l’hypocrisie de la communauté toute entière…
Tyra Collette semble être son opposée : dropout absolue, entouré d’une mère battue et d’une sœur stripteaseuse, la white trash refuse de jouer le jeu de la vénération obligée pour l’équipe de foot, comme la moitié de la ville qui tourne autour. Mais dès la première saison, Peter Berg met en place un schéma binaire qui permettra à Tyra de montrer beaucoup mieux dans la suite de la série. Dans une scène culte de la saison un, Peter Berg file la métaphore mécanique. Tyra et sa mère tombent en panne : pneu crevé. Que faire dans la steppe texane, sans homme en vue ? Sa mère s’est toujours reposé sur les hommes justement, c’est ce qu’elle vient de raconter. Tyra explose alors « If we don’t change this tyre by ourselves right here, right now, we’re both doomed!* »
Quant à Tami Taylor, la femme du Coach, elle est d’abord présentée comme l’exemple à suivre, la femme parfaite : belle, intelligente, courageuse, bonne mère et bonne épouse. Mais vers la fin de la saison un, elle montrera ses fêlures. Si elle a consenti à de nombreux sacrifices personnels et professionnels, elle n’entend pas se contenter de vivre aux côtés de son gentil et parfois borné entraîneur de mari…
Macho men ?
Car si, là aussi, si Friday Night Lights semble faire l’éloge de la virilité NFL poussé à son paroxysme**, la série se révèle en fait extrêmement critique de cette macho attitude. On y trouvera le premier personnage gay dans cet univers (ce qui déclenchera un scandale ridicule ; la NFL osant affirmer qu’il n’y aucun gay dans les millions de licenciés du foot américain(!)) Mais surtout, une critique de la violence endémique de ce sport, sur et au-delà du terrain, le hooliganisme, les privilèges sans fin laissés aux joueurs (notamment en matière de filles), le dopage de ces soi-disant surhommes, et les dégâts que tout cela engendre. Mais peut-être que Dillon est le pays…
… des pères déficients
Coach Taylor serait-il le père parfait que nous venons de voir ? Le mari aimant de Tami, le père attentionné de Julie ? On le verra assez vite, Eric Taylor aussi un homme borné, obsédé par le football, engoncé dans des principes qui laissent peu de place à la compassion et à l’analyse***. Mais c’est aussi le père de substitution de tous ces fils de Dillon, sans véritable père. Car il semble qu’il n’y ait que ça dans ce coin perdu du Texas : le père de Tim Riggins tente de profiter de lui, celui de Smash Williams est mort dans le ghetto, et celui de Jason Street entend profiter de l’accident de son fils. Quant au père de Matt Saracen, seul héros potentiel (il est en Irak, Support our Troops!), c’est probablement le pire d’entre eux. Faux héros au cœur de pierre, il est prêt à envoyer sa mère à l’hospice, n’encourage pas son fils qui gère seul la baraque depuis des mois, et se permet même de lui faire la leçon….
On le voit, dès la première saison, FNL est loin de l’Amérique triomphante que semble annoncer son packaging…
* « Si on ne change pas ce pneu nous-mêmes, ici et maintenant, alors c’en est fini de nous ! Nous serons maudites pour toujours… »
**Aux Etats-Unis, l’expression « Welcome to NFL » peut se traduire par « Bienvenue chez les hommes ! »
***C’est devenu proverbial là-bas : « Don’t coachtaylor me ! »
samedi 25 décembre 2021
Les Amants Sacrifiés
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]
Mystère du cinéma, mystère de la critique.
Comment un cinéaste réputé (Kiyoshi Kurosawa), et un coscénariste, dont nous avions adoré Drive My Car (Ryūsuke Hamaguchi), ont-ils pu pondre une telle bouse ?
Le Masque et la Plume – pour une fois unie – dit le plus grand bien des ces Amants Sacrifiés. Libé, souvent acerbe, n’a pas l’air d’avoir trop aimé, mais cache les énormes défauts du film par des allusions en demi-teinte.
Mystère, mystère…
Le pitch de ces Amants Sacrifiés ? Un couple de Japonais riches et cosmopolites, occidentalisés et modernes, voient le Japon sombrer dans le fascisme à l’aube de la seconde guerre mondiale. Témoin des exactions de l’armée nipponne en Mandchourie, le mari décide de prévenir la communauté internationale. Sa femme, qui lui est très fidèle, est tout simplement terrorisée à cette idée… Que va-t-elle faire ? C’est l’enjeu de ce film, avec des rebondissements assez malins, que ne renierait pas Alfred Hitchcock. Mais c’est justement tout le problème ! Le film semble tourné en 1940, avec Cary Grant et Joan Fontaine. Mêmes dialogues, même jeu d’acteur empesé et théâtral. La reconstitution ultra proprette et pasteurisée du Japon, est essentiellement filmée en studio. Et les situations n’ont aucun sens. Un exemple parmi d’autres : un proche du couple est sauvagement torturé, mais dans la scène suivante, nos héros continuent tranquillement leurs préparatifs en rigolant.
Devant ce naufrage, la critique semble aveugle, invoquant la grande qualité technique*, l’espionnage comme métaphore de la crise du couple, Patrick Modiano et Alfred Hitchcock…
Mais c’est chercher bien loin. Le film est tout simplement ridicule.
*La belle affaire : du numérique 8K refloutée en post production pour faire vrai…
samedi 25 décembre 2021
On n’arrête pas l’Eco(nneries)
posté par Professor Ludovico dans [ Le Professor a toujours quelque chose à dire... -
Les gens -
Pour en finir avec ... -
Séries TV ]
« Il va falloir sortir de cette économie de l’attention. Cette addiction, il faut nous dire comment on s’arrête. » C’était sur France Inter ce matin, dans On n’arrête pas l’Eco, l’émission a priori sérieuse d’Alexandra Bensaid.
On avait pris la phrase en cours ; on se disait donc qu’on parlait encore des effets désastreux des réseaux sociaux sur la jeunesse*.
Point du tout. On parlait de séries télévisées. Valérie Martin, qui a écrit un livre sur le sujet**, venait nous expliquer combien les séries étaient formatées par le marketing : on cocha donc toutes les cases habituelles du Bingo Bullshit : Addiction, Neuro Marketing, Showrunners dictatoriaux et scénaristes esclaves***…
On s’apprêtait à pleurer devant le niveau pathétique du débat, imaginant les mêmes, en 1844, vilipender Alexandre Dumas et son Monte Cristo trop addictif.
C’est alors qu’un grand éclat de rire nous sauva. La spécialiste des séries nous offrait une solution pour éviter cette terrible addiction : arrêter la lecture au milieu de l’épisode (sic), pour éviter le terrible Gliffhanger. (Resic)
Après le MEUPORG, le Gliffhanger est le nouveau symbole du niveau journalistique. AEn anglais, et, en l’occurrence, de la Dramaturgie.
Voilà nous rassura immédiatement sur le sérieux de l’émission.
C’était en direct de l’Esprit de Noël, Live sur CineFast.
* Il est d’ailleurs toujours plaisant de voir ces boomers s’inquiéter de ce sujet, eux-mêmes rivés sur leur compte Twitter ou Instagram…
** Valérie Martin Le charme discret des séries
*** Valérie Martin expliqua ainsi que Orange is the New Black était une idée sortie d’un focus group. Elle oublia que c’était avant tout l’adaptation de l’autobiographie de Piper Kerman.
mardi 21 décembre 2021
Les Magnétiques
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]
Le visage de François Mitterrand s’affiche sur l’écran, à la consternation de Jean-Pierre Elkabbach. Tout le monde saute de joie dans le petit bar, sauf celui qui avait voté Giscard, et qui s’apprête à pénétrer dans les Neuf Cercles de l’Enfer, à savoir les Trois Jours, le Styx qui vous envoie faire votre Service National ou vous en dispense.
Quiconque de la génération du Professore ne peut qu’être titillé par ce pitch de départ, qui signe le début des Magnétiques, le premier film de Vincent Maël Cardona.
Petit film plutôt passé inaperçu – mais signalé par le Prince d’Avalon – il nous a fallu courir jusqu’à Saint-Cloud, au-delà de l’Enceinte Philippe Auguste, pour voir le film aux Trois Frérots. Pas grave : la salle était extrêmement confortable, on y retournera.
Quant au film – puisque c’est ce qui vous intéresse – il est magnifique ; c’est tout ce que le cinéma devrait être. Une histoire simple, mais terriblement humaine : un jeune homme aime la femme de son frère, lui-même au bord de l’autodestruction. Histoire éternelle, qui dépend uniquement du talent de conteur. Mais celui-ci, débutant (trois courts-métrages à son actif), a déjà tout compris.
Alors que nous sommes habitués aux rebondissements rapides, aux dénouements obligatoires, aux astuces mélodramatiques toutes faites, Cardona dévide très lentement son cocon. Prenant le temps d’installer son décor (la campagne paumée de l’Orne, le garage du père), son époque (Talbot et cabines téléphoniques), et ses personnages, Vincent Maël Cardona déroule son plan, beau comme une ligne droite. Une bande d’amis qui fait de la radio libre, avec la musique de Joy Division et de Marquis de Sade comme chambre d’écho de ce désespoir rural.
Here are the young men, the weight on their shoulders
Here are the young men, well where have they been?
Ces émotions ne sont pas artificielles ; elles remontent doucement à la surface, au fil du récit, portés par de jeunes comédiens formidables (Thimotée Robart, Joseph Olivennes, Marie Colomb Antoine Pelletier).
Mais la tragédie, intense, est en approche. Et elle ne vous lâchera plus…
lundi 20 décembre 2021
Un Héros
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]
Bienvenue au pays des mensonges, le royaume d’Asghar Farhadi. Rahim est en prison, et, selon la loi iranienne, ne peut pas sortir tant qu’il n’aura pas payé sa dette*. Il doit cet argent son beau-frère. Celui-ci, en apparence assez buté, ne veut pas qu’on lui rembourse un simple acompte.
Rahim doit alors se débrouiller, accumulant petits mensonges sur petits mensonges, qui mènent, comme on le sait, à la catastrophe. L’enfer chez Farhadi est pavé de bonnes intentions, de La Séparation jusqu’A propos d’Elly.
Mais c’est sur un nouveau terrain de chasse que le cinéaste iranien sort ses griffes : la médiatisation des bonnes actions par les organes de pouvoir (ici l’administration d’une prison, ou une association d’aide à la réinsertion), et le rôle dévastateur des réseaux sociaux, qui soufflent le chaud et le froid. Chacun se trouve bientôt piégé par les mensonges de l’autre, dans une surenchère de volonté affichée de bien faire, et de calculs politiques plus souterrains. La prison veut cacher ses problèmes, l’association s’est engagée un peu vite…
Mais comme d’habitude chez Farhadi, la vérité est ailleurs… Car comme d’habitude, chacun a ses raisons. Et comme d’habitude, Asghar Farhadi est le roi de cette horlogerie suisse qui marche à plein régime jusqu’à son dénouement tragique, car la tragédie – on le sait d’Eschyle à Hitchcock – c’est bien que le Héros fasse le contraire de ce qui lui serait le plus profitable.
Ici, justement, le héros au sourire si doux (Amir Jadidi, remarquable) laisse une drôle d’impression. Victime, forcément victime, d’un système qui l’entraine dans les abysses, Rahim affiche en permanence ce visage sympathique dont on finit par se demander s’il n’est pas une façade. Une métaphore de l’Iran Farhadien, qui révèle à chaque film plus d’ambiguïtés.
* Une mécanique déjà à l’œuvre dans Les Enfants de Belle Ville
samedi 18 décembre 2021
Le Critère Caviar
posté par Professor Ludovico dans [ Le Professor a toujours quelque chose à dire... ]
S’il y a bien un proverbe qui ne s’applique pas à la cinéphilie, c’est bien « à défaut de grive, on mange des merles ». À défaut de grive, un cinéphile ne mange pas ! Comme dans toutes les passions, qu’il s’agisse de cinéma coréen, de football, d’œnologie ou de Heavy Metal, le connaisseur ne peut apprécier rien d’autre que la qualité.
De sorte que l’on pourrait – après la Loi d’Olivier, le Théorème de Rabillon, de la Théorie de l’Etiquette de Bouteille -, énoncer un nouveau théorème, à savoir le Critère Caviar, que l’on pourrait exprimer ainsi : plus on voit de films, plus nos critères de choix deviennent élitistes…
Il suffit pour cela d’observer n’importe quel loisir. Quand encore jeune Footix, Ludovico s’extasiait sur un PSG-St Etienne d’anthologie, Christophe le Shogun me fit judicieusement remarquer que ce 5-0 était dû à l’absence du goal stéphanois habituel. Moi, j’avais vu un très beau match, et lui un très mauvais. Je regardais le foot depuis cinq ans, lui depuis quarante.
Il m’arrive la même chose quand des amis abonnés à Canal+ (et seulement Canal+), me conseillent « d’excellentes séries » comme Le Bureau des Légendes ou Engrenages. Me voilà traité de snob insupportable, car je réponds par une moue dubitative. Comme disent les Anglais : « Been there, done that ». Déjà vu, déjà fait. Je n’ai pas vu ces séries ou alors un peu, mais le problème, c’est que j’ai déjà vu tellement mieux*. Et que je n’ai pas envie de perdre mon temps sur quelque chose qui n’est pas exceptionnel…
Vous ne croyez pas le Professore Ludovico ? Prenez le temps d’examiner votre propre passion, vos propres loisirs, et osez dire que c’est faux. Si vous êtes un gros lecteur, voulez-vous vraiment lire ce Katherine Pancol que je vous recommande chaudement ? Si vous connaissez par cœur les impressionnistes, irez-vous voir cette expo de peintres régionaux ? Si vous jouez depuis quinze ans de la guitare, voulez-vous jouer sur cette Paul Beuscher? Si vous êtes gastronome, est-ce que ça vous dit d’aller à La Taverne de Maître Kanter ? Puisque vous aimez le théâtre, est-ce que ça vous dit de regarder cette pièce à la télé ? Si vous jouez souvent au Poker, est-ce que ça vous dit de miser seulement des allumettes ?
Non. Vous êtes passés du côté des amateurs de caviar. Vous ne mangerez plus jamais des œufs de lump.
*Concernant spécifiquement ces séries, La Petite Fille au Tambour ou Sur Ecoute.
jeudi 16 décembre 2021
Arcane
posté par Professor Ludovico dans [ Séries TV ]
C’est le pari fou de l’année : adapter un jeu vidéo mondialement connu, League of Legends, et en faire une série animée. Riot Games, qui produit le jeu et la série, n’est pas le premier à tenter le coup ; mais adapter des jeux vidéo a toujours été une catastrophe esthétique et scénaristique (Super Mario, Street Fighter, Assassin’s Creed…)
Et là, miracle ! Que le Professorino me pardonne – lui qui m’a conseillé Arcane -, mais à partir de cette très basique Battle Arena, où des combattants s’affrontent pour « détruire le Nexus », Riot games parvient à tirer une série émouvante, brillante, et esthétiquement époustouflante de près de six heures.
Dès la première scène, Arcane est une claque graphique : les décors font penser au meilleur de Miyazaki, l’animation est bourrée d’idées, chaque plan contient au moins une idée.
Scénaristiquement, ensuite, en prenant le petit bout de la lorgnette (plutôt que les Combats-Titanesques-pour-s’emparer-du-Nexus), et en repartant en arrière, à l’origine des personnages. Gros avantage : contrairement à des jeux « à héros » (Metal Gear Solid, Lara Croft), le background des personnages est peu développé dans LoL, ce qui laisse beaucoup de latitude aux scénaristes. Mais ça ne suffit pas. Dans Arcane, on sent un cœur qui bat. Si la série s’appuie sur les clichés habituels (la ville riche sur les hauteurs et ses princes marchands dédaigneux, la ville basse et son lumpen prolétariat qui n’a que la violence pour survivre), Arcane transcende très vite son ADN animé. Il y a de la violence : c’est presque contractuel, vu le sujet et le public visé. Mais cette violence n’est en aucun cas glorifiée, jamais jouissive. Elle n’amène que le drame et le chaos : on est plus chez Scorsese que chez Tarantino.
Arcane est la divine surprise de cette fin d’année.