Jean-Jacques Beineix est mort, et le Professore se sent vieux.
Bien sûr, il ne faut pas revoir les films de Beineix. La cinéphilie, c’est beaucoup plus compliqué que ça. La cinéphilie, ce n’est pas un cerveau qui analyse, mais un cœur qui bat. Un cœur qui a battu très fort entre 1980 et 1987 pour les trois meilleurs films (les seuls* ?) de Jean-Jacques Beineix. Diva. La Lune dans le Caniveau. 37°2 le Matin. Trois films qui parlent directement au cœur adolescent : amours impossibles, désespoir tranquille et mort qui rôde. Mieux, trois films qui inventaient une nouvelle poésie, désormais la nôtre. Pas celle des profs, des parents, du Lagarde et Michard ou de Marcel Carné. Non, notre poésie eighties, rock, pour nous. Contre le monde.
Diva était un choc esthétique, sentimental, le petit postier amoureux de la grande cantatrice noire**. Musique classique et polar. On voulait tartiner zen avec Gorodish et habiter dans le loft au néons bleus d’Alba.
La Lune dans Le Caniveau était un film raté ; nous le savions, mais c’était notre film maudit. Un port stylisé en studio, une maison sur la colline et une lune gigantesque. Et Nastassja Kinski dans sa Ferrari rouge, et Victoria Abril en robe orange sur sa balançoire. C’était nos Enfants du Paradis à nous, en couleurs : rouge rouille, rouge sang.
Et puis vint 37°2 le Matin, LE film, NOTRE film. L’amour jusqu’à la folie, Béatrice Dalle, ses seins, ses dents écartées, et son regard perdu. Yves Duteil et un piano sur une remorque. Un chili con carne renversé sur la tête de Jean-Hugues Anglade. Et la belle Annie (Clémentine Célarié), en mal de sexe, en mal d’amour.
On le voit : il n’est ici pas question de cinéma, pas question de dramaturgie, pas question d’esthétique pubeuse, ou non. On est bien au-delà.
L’amour est aveugle.
*Roselyne et les Lions, IP5 : L’île aux Pachydermes, Mortel Transfert
** Banalité aujourd’hui, rareté à l’époque