mardi 22 février 2022
Enquête sur un Scandale d’État
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]
On avait beaucoup aimé Une Vie Violente, on se jette donc sur le nouveau Thierry de Peretti, Enquête sur un Scandale d’État. Un BOATS prometteur sur le scandale François Thierry, le patron de l’Office anti-stups qui couvrait les livraisons de cannabis de ses informateurs. En 2015, le scandale éclate avec la découverte par les Douanes de 7 tonnes de résine de cannabis. En 2016, Libération révèle le système mis en place par François Thierry, dans le but de « faire du chiffre »…
Si Thierry de Peretti prend les précautions inverses du Mesrine de Jean- Jean-Francois Richet*, précisant que son film est bien « une fiction », inspirée de faits réels mais ne « reflète pas la réalité », le cinéaste n’applique absolument pas cette doctrine. Enquête sur un Scandale d’État prend la forme d’un quasi documentaire, comme si de Peretti avait posé sa caméra dans un coin de la pièce. Et même si les acteurs sont très bons, réalisant la performance de faire passer quantité d’informations précises dans un dialogue visiblement improvisé, on finit par s’ennuyer.
Il y avait pourtant de quoi prendre parti, ou plutôt, comme on dit au cinéma, un point de vue. Entre un journaliste tiraillé par les trous dans son récit (Pio Marmaï), son informateur, véritable infiltré ou simple mythomane (Roschdy Zem), et le grand flic, prêt à tout pour des résultats (Vincent Lindon), il y avait de quoi créer un solide personnage de fiction. Mais Thierry de Peretti ne veut pas choisir, émet progressivement ces hypothèses, mais reste à distance. Il instruit longuement à charge (conférences de rédaction pédagogiques à Libé, échange journaliste/informateur longuement filmées. Puis, sur la fin, il instruit un peu à décharge, dans un impressionnant plan séquence de procès où Lindon a l’occasion de se défendre.
Mais comme nous n’avons aucune affection pour ces personnages, le film suscite de l’intérêt, mais pas d’émotion.
*Au début de son film sur l’ennemi public n°1, Richet avait apposé l’avertissement suivant : « Tout film comporte une part de fiction ».
lundi 21 février 2022
River of Grass
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -
Brèves de bobines -
Les films ]
River of Grass est un peu l’équivalent, pour Kelly Reichardt, du Peur et Désir de Kubrick. C’est-à-dire un film de débutant, un peu raté, avec plein de maladresses, mais qui pose d’emblée les futures thématiques de la cinéaste de Old Joy, Wendy et Lucy, ou First Cow. La figure de style du road movie, de la fuite à deux ; mais aussi l’errance immobile, le poids du lieu qui détermine socialement les personnages, et la volonté de s’en extirper…
River of Grass, c’est aussi le premier et le dernier film de Reichardt en Floride, dans son Dade County natal. Un comté qui a particularité d’abriter une mégalopole urbaine (Miami) et un désert terrifiant (le marais des Everglades).
Il est symptomatique que notre couple maudit, Cozy et Lee, essaient pendant tout le film d’en sortir et n’y arrivent jamais. Kelly Reichardt, elle, s’enfuira au fin fond de l’Oregon, l’opposé absolu de la Floride : un état quasi désertique, pluvieux, progressiste, et qui inspirera ses plus beaux films.
samedi 19 février 2022
Justified
posté par Professor Ludovico dans [ Séries TV ]
Il faut toujours écouter le Snake, même très en retard… The Snake, c’est le gars qui vous a signalé Girls dès le début, mais qu’on a mis quatre ans à regarder*. Là, il nous bassine aussi avec Justified, la série Southern Gothic de Graham Yost qui date déjà de 2010.
On fait la bêtise de regarder ça cinq minutes, et c’est le choc, love at first sight, avec peut-être la meilleure intro de tous les temps : Raylan Givens, shérif à belle gueule (en l’occurrence un Marshall, en l’occurrence Timothy Olyphant**), Stetson sur le crâne, colt à la ceinture, boots, costard-cravate débarque… à Miami, de nos jours ! Au bout de trois minutes de cet oxymore intégral, Givens a déjà parlé comme un cowboy, et s’est déjà comporté comme un cowboy. Voilà donc notre héros muté d’office dans le Kentucky, le seul endroit où il ne voulait pas aller, tout simplement parce qu’il en vient. Condamné à retrouver son ex-femme, son père, et son ami d’enfance (l’incroyable Boyd Crowder, interprété par le génial Walton Goggins***), trois personnes que Raylan Givens a fuit à toutes jambes, pour des raisons variées…
L’incroyable surprise, c’est que Justified, c’est le retour du show unitaire avec à chaque épisode une enquête résolue à la fin, façon NYPD et autres NCIS/Experts/Law & Order. Quoi ! Le Professore Ludovico serait-il passé mainstream, façon ABC, NBC, TF1 ou FRANCE3 ? Meurtres à la Rochelle, Joséphine Ange Gardien et Alice Nevers : le Juge est une Femme ?
Que nenni. Justified est certes une série grand public avec un personnage de flic régionaliste, qui résout des enquêtes tout en réglant des problèmes avec sa femme, son père et ses supérieurs… mais ce sont les seuls points communs que l’on pourra trouver.
Où est son génie, alors ? Justified est tout simplement incroyablement écrit. Les intrigues de chaque épisode sont très originales, et les dialogues sont remplis de punchlines, façon Jack Reacher. A la base, il y a certes le matériau originel (une nouvelle d’Elmore Leonard, Fire in the Hole), mais on parle ici de 78 épisodes.
Alors que la série évolue dans une forme d’artificialité congénitale (beaucoup de scènes tournées en studio, et le Kentucky reconstitué au nord de Los Angeles), Graham Yost**** démarre à partir de gros clichés, comme pour mieux les dégrossir. On a l’habitude, malheureusement, de ces personnages mainstream taillés à la serpe : l’épouse bombasse remariée à un riche agent immobilier, le copain Aryan Brotherhood, le patron irascible et la sidekick black futée… Mais ces clichés sont à chaque fois redéfinis par des idées dynamiques qui virevoltent d’épisode en épisode, les retournent, montrent une nouvelle facette des personnages, et les fait évoluer. Un délice pour le cast, composé d’acteurs peu connus mais très talentueux (Timothy Olyphant, Nick Searcy, Joelle Carter, Erica Tazel, Natalie Zea, Walton Goggins…)*****
Justified, de ce point de vue, est plus brillante, plus méritante qu’une série A-List type Sopranos ou Friday Night Lights, car elle dépasse de très loin son ambition originelle de pur entertainment.
Elle fait œuvre, alors que personne ne lui a demandé.
* Bon, il a aussi conseillé The Green Knight, donc ça ne veut pas dire qu’il ait toujours raison, mais bref…
**Acteur très beau, très fin, et sous-employé au cinéma, mais déjà interprète de trois personnages culte de la télé américaine : Deadwood, Fargo et Justified…
***Déjà vu partout dans plein de seconds rôles mais aussi The Shield, Les Huit Salopards, Django Unchained, Machete Kills, Lincoln, Miracle à Santa Anna, Predators.
**** A très gros palmarès également : Speed, Broken Arrow, De la Terre à La Lune, Band of Brothers, Boomtown, The Pacific…
*****Justified est aussi bourrée d’idées de cinéma. Ainsi, une femme signifiera son adultère en enlevant délicatement son alliance, puis en la remettant, toujours sans mot dire, annonçant – show, don’t tell – la fin de ce bref coup de canif au contrat.
samedi 5 février 2022
Friday Night Lights, revu et corrigé
posté par Professor Ludovico dans [ Le Professor a toujours quelque chose à dire... -
Séries TV ]
À la revoyure, la série de Peter Berg et Brian Grazer s’impose de plus en plus comme un The Wire positif et optimiste.
A chaque fois où l’on revoit une série, la connaissance holistique des intrigues permet souvent de réévaluer les saisons décevantes. C’est le cas de FNL : on réévalue la saison 2 – pourtant ratée à plein d’égards -, et on dévalue la quatrième, un peu lente, et pas si émouvante que ça.
Car si c’était n’était pas le projet au départ, Friday Night Lights est devenu au cours du temps une série ambitieuse. La première saison était centrée sur le football, mais les saisons suivantes vont proposer moins de matches, moins d’entrainement, moins de pep talk, et plus de sujets de société (handicap, légitime défense, pauvreté, racisme, foot business, avortement…) ou de sujets familiaux (parentalité, deuil, grand âge…)
Autre point remarquable, au-delà de ce foisonnement thématique : la défense du collectif face à une certaine pensée individualiste. Paradoxe total en Amérique ! Contrairement, par exemple, au cinéma d’un Clint Eastwood, où le héros (Sully, Walter Kowalski, le Pale Rider) lutte seul contre l’injustice ou le gouvernement, la leçon de FNL est claire : seul, on perd. Que l’on soit une grande gueule douée (Smash Williams), un fils à papa talentueux (J.D. McCoy) ou un sportif abandonné du ghetto (Vince Howard), les aventures personnelles n’aboutiront à rien. La métaphore du sport collectif joue à plein : il faut être le meilleur, mais sans l’équipe, on perd. Dans Friday Night Lights, chacun est mis face à ses responsabilités par les figures d’autorité (le Coach Taylor, ou sa conseillère d’éducation de femme.) Mais quand il y a un problème, c’est toujours vers le collectif qu’on se tourne, toutes structures sociales confondues : le couple, la famille, l’entreprise, l’équipe.
Et c’est résolvant cette contradiction : rêve personnel (devenir joueur pro) contre aboutissement collectif (gagner le championnat) que se bâtit en 76 épisodes la cathédrale de Dillon. Chaque personnage semble s’évertuer dans sa propre direction, proche du cliché : la cagole qui file droit vers le striptease (Tyra Collette), la cheerleader sainte nitouche (Lila Garrity), la cocotte-minute white trash Matt Sarracen, ou le rebel without a cause Tim Riggins, le proto-gangster Vince Howard. Mais chacun finira, grâce au collectif, à s’aboutir. Comme dans l’avant-dernière scène où Tim Riggins, revenu de tout, bâtit sa Maison sur la Colline* avec l’aide son frère et le soutien de ses amis…
Car – génie des séries – FNL a eu tout le temps de développer ses personnages. Et si elle l’a fait parfois de façon chaotique, leurs arcs narratifs seront parfaits, tenu par un cast exceptionnel, qui s’est depuis taillé une place dans la TV américaine.
C’est pour cela que nous sommes tombés amoureux de ces personnages, et que nous le sommes toujours, dix ans après…
*The House on the Hill, l’un des trois mythes fondateurs des Etats-Unis, avec la Frontière et la Destinée Manifeste
vendredi 4 février 2022
Scream 5
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]
« Combien de niveaux de Méta peux-tu prendre ? » C’est depuis Scream, premier du nom, le viatique de la franchise. Nous en sommes à cinq épisodes, et Scream a beau crier, il ne s’essouffle pas…
Après avoir traité du film d’horreur, des copycats de film d’horreur, des films sur les copycats de films d’horreur, des réseaux sociaux qui se moquent des films sur les copycats de films d’horreur, on se demandait jusqu’où pouvait aller Scream. La réponse : encore plus loin. Même si Wes Craven s’en est allé, même s’il est réalisé dans une grande économie de moyens (petits acteurs, petits décors), le film n’en reste pas moins brillant dans sa construction, toujours bâtie comme une mécanique de précision.
Malgré ce côté totalement mécanique, Scream a l’intelligence de ses quatre prédécesseurs. Il se moque – sui generis – de son propre propos. Cette autodérision, ajouté au charme Colomboesque d’une mécanique par avance connue, emporte l’affaire. Qui est le tueur ? Y en a-t-il plusieurs ? Qui sera la Final Girl ? Chaque personnage, chaque acteur s’ingénie à prendre l’air le plus coupable possible…
Scream 5 s’appelle officiellement Scream, signifiant que son thème est le Requel, c’est à dire cette tendance à rebooter une franchise en repartant du film original. La première scène – un appel téléphonique du tueur à Tara Carpenter (Jenna Ortega) – reprend d’ailleurs celle du film initial (avec Drew Barrymore).
Mise en abyme sur mise en abyme, Scream 5 s’attaque à la Fan Nation, qui voudraient que les films soient exactement comme ils le désirent, plutôt que se confronter à la vision de l’artiste (une problématique adressée en son temps dans l’ultime et fabuleux épisode de Game of Thrones.)
Brillant, drôle, et entraînant : voilà du cinéma pop-corn comme on voudrait en manger tous les jours…
jeudi 3 février 2022
Le Rideau Déchiré
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -
Les films ]
Même les génies peuvent trébucher*… Ce Rideau Déchiré, 83ème film de l’autoproclamé « Maître du Suspense » est en grande partie inintéressant. Totalement irréaliste, même pour un Hitchcock. Ridiculement anticommuniste, même pour un film américain. Pire, il est très faiblement interprété par des pointures (Paul Newman et Julie Christie), qui semblent a) ne rien comprendre à l’intrigue b) ne rien avoir à faire dans la ménagerie hitchcockienne.
Dans Hitchcock / Truffaut, le grand Alfred prétend s’être passionné pour l’affaire Burgess / McLean : qu’avait pensé madame Burgess quand elle apprit que son mari était un traître, parti en Union soviétique** ?
L’histoire part sur cette base : Paul Newman, savant atomiste américain, passe à l’Est. Il n’a rien dit à sa future fiancé. Mais elle décide de le suivre. Problème : le spectateur est sûr que Newman ne peut pas être un putain de transfuge communiste ! D’ailleurs, Newman finit par lui révéler (dans une des rares belles scènes du film, avec un travelling circulaire autour de Julie Christie) qu’il est un agent double venu voler les secrets atomiques allemands.
Aussitôt dit, aussitôt fait, ils s’enfuient (lors d’une course poursuite en autocar, d’une émeute dans un théâtre, et d’un panier en osier en partance pour la Suède…) Dans ces quelques scènes rocambolesques pointe le génie d’Hitchcock pour faire monter le suspense, mais l’assemblage du tout ressemble plutôt à un quilt qu’à de la Toile de Jouy.
On est loin de La Mort aux Trousses, et 1966 est déjà le commencement de la fin : Hitch vient de fait son dernier grand film (Pas de Printemps pour Marnie), et il ne fera après que des films mineurs : L’Étau, Frenzy, et Complot de famille…
* sauf Kubrick, évidemment !
** Comme Madame Burgess s’appelait Monsieur MacLean, c’était une question assez facile…