Comment faire un film français à Hollywood ? C’est très simple, The Offer l’a fait. Prenez un sujet en béton : le making of du Parrain pendant l’âge d’or, Robert Evans, la Paramount, Al Pacino, Marlon Brando, Coppola, Mario Puzo, Dean Tavoularis… Prenez des bons acteurs (ressemblants et doués) pour les incarner. Reconstituez les 70s aux petits oignons, musique, bagnoles, fringues… Collez tout ça dans les décors pourris du lot de la Paramount, avec une cuiller de CGI qui se voit bien. Un scénario ? Est-ce nécessaire ? Cette histoire est tellement géniale ! Des personnages, pour quoi faire ? Une bonne imitation de Brando et ça fera le plat pour saucer ! On expliquera tout par les dialogues et rien par le cinéma…
Quel meilleur hommage la Paramount pouvait rendre à son plus grand chef d’œuvre ?
On devrait toujours faire confiance à son instinct de CineFaster. Quand La Nuit du 12 est sorti, ça faisait pas envie. Et puis voilà, quelques mois plus tard, on est pris par la hype. Le film gagne tout aux Césars, il est élu Meilleur Film Français de l’Année par les auditeurs de France Inter. Comme le dit le Rupélien, « malgré ses récompenses officielles, c’est un très bon film ».
Dominique Moll intervient d’ailleurs très justement au Masque et la Plume, et invoque les deux David : Fincher (Zodiac) et de Lynch (Twin Peaks). En réalité, il faut se méfier des gars qui parlent bien de cinéma, les conseilleurs ne sont pas toujours les payeurs. Et on est payés pour le savoir, ici, à CineFast.
Mais on se fait prendre comme un bleu, on a soudain envie de cette Nuit du 12. Ça tombe bien, ça passe sur Canal. Et ça commence, en effet, comme dans Twin Peaks : une jeune femme assassinée, les flics qui débarquent, qui doivent annoncer la nouvelle aux parents effondrés, tandis que la communauté apprend la nouvelle. Mais le début de La Nuit est plat, ennuyeux, irréaliste…
Qu’on soit clair, on a bien compris l’intention : Moll ne veut pas faire un thriller à la Fincher, ni un mélo à la Lynch. Le réalisateur d’Harry, un Ami qui vous veut du Bien est dans une veine naturaliste, qui vise la sobriété. Mais la sobriété n’est pas l’ennemi de la subtilité. Pourquoi ces dialogues à l’emporte-pièce ? Pourquoi ces personnages taillés à la serpe ?
Moll a un message à faire passer, très bien… Les femmes sont tuées par les hommes et ce sont majoritairement des hommes qui enquêtent sur ces hommes qui tuent des femmes. C’est un message intéressant, et légitime, sur les féminicides. Mais est-ce que ça ne peut pas être dit plus subtilement que par un personnage qui débarque et prononce exactement ces mots ?
Tout est possible au cinéma, mais il faut travailler. Si ces personnages sont servis par d’excellents comédiens (Bastien Bouillon, Bouli Lanners…), ils sont seulement esquissés (le vieux flic en colère, parce que sa femme le trompe, le jeune flic solitaire, qui prend cette enquête particulièrement à cœur, etc. Tout cela existe probablement dans la réalité ; mais Dominique Moll n’arrive pas à incarner ces idées. Pour cela, il lui faudrait développer ces personnages, en faire autre chose que des figurines de plomb qu’on dépose dans ce décor. Leur donner des dialogues vivants, pas des slogans…
C’est tout le talent des vingt premières minutes de Twin Peaks où, en quelques gestes, une réplique, une paire de chaussures, la série installe son univers et ses personnages.
Il ne suffit pas d’invoquer Lynch et Fincher. Il faut un peu s’en inspirer.