vendredi 30 juin 2023
Sans Filtre (The Triangle of Sadness)
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -
Les films ]
S’il y a quelque chose que Ruben Östlund sait faire, c’est incarner une idée. À vrai dire, la chose la plus difficile au cinéma… En deux heures de Snow Therapy, le suédois avait réussi à matérialiser la lâcheté masculine. Le film, sans un gramme de graisse, reposait sur le style Östlund, c’est-à-dire des plans fixes cadrés sur des visages, permettant au temps long de s’installer, aux acteurs de travailler, et au malaise de s’insinuer. Car Ruben Östlund c’est ça, c’est le cinéaste du malaise.
Ici, au milieu de l’océan, il y a encore des idées, mais son cinéma a pris du gras, et du mauvais cholestérol. Le film est trop long (2h30) et part dans une surenchère qui ne lui convient pas bien au teint. Une scène en particulier, largement documentée par la presse à sa sortie, accumule jusqu’à l’écœurement vomi et toilettes bouchées. Est-ce drôle ? Ça se discute. Est-ce utile ? Sûrement pas, une simple allusion aurait suffi…
Si on accepte la métaphore – l’avidité capitaliste jusqu’à l’écœurement – on a connu la bile Östlundienne plus subtile. Comme dans les 25 premières minutes, par exemple, la scène de la note. Un couple de young and beautiful dîne dans un restaurant parisien. Qui doit payer, l’homme ou la femme ? Le talentueux top model ou la riche influenceuse ? Avec des acteurs magnifiques (et inconnus, Harris Dickinson et Charlbi Dean), avec une table et un simple champ/contrechamp, Ruben Östlund dresse un portrait de la guerre des couples pour le partage de pouvoir, façon Don Delillo …
Après, le film est intéressant, sa critique capitalo-marxiste tendance yachting, (« tout le monde sur le même radeau ») est réjouissante. Mais il est dommage que le film en fasse un peu trop…
mercredi 28 juin 2023
Hernán
posté par Professor Ludovico dans [ Séries TV ]
C’est la bonne surprise du mois. Hernán fait partie des séries « Théorème de Rabillon » : une série sur la conquête du Mexique, ça ne court pas les rues. La preuve, y’en a aucune. Jusqu’à Hernán, en tout cas.
Donc on regarde quoi qu’il arrive, même si on ne connaît personne dans le casting, même si ça a l’air d’être une production fauchée mexicano-espagnole (ce qu’elle est…)
Pour le Professore, c’est la série casse-gueule par excellence. Ici, on est sur les terres du Ludovico, et il a la gâchette facile. À la première incartade, un bon coup d’arquebuse ! Mais en réalité, Hernán coche toutes les cases historiques de cette incroyable et terrible épopée qu’est la conquête du Mexique. Cortes n’est pas présenté comme une brute sanguinaire, les conquistadors ne sont pas venus pour convertir les Aztèques au christianisme, mais pour l’or, et pour rattacher cette province au Roi d’Espagne. Les Aztèques ne sont pas des idiots, ils savent que les Espagnols ont débarqué, et ils font tout pour qu’ils repartent… Si Moctezuma prend un instant Hernàn Cortes pour dieu, celui-ci le détrompe immédiatement. L’empire aztèque va tomber, non par bêtise, mais parce qu’il opprime tous les peuples alentour, et que Cortes, fin stratège, les a rangés de son côté. Tout cela étant fortement documenté dans le chef d’œuvre sur le sujet, La Conquête du Mexique, le témoignage de visu de Bernal Díaz del castillo, d’ailleurs un des personnages de la série.
Ne pas succomber au misérabilisme naïf, ni à une repentance absurde, reprendre cette histoire honnêtement et scrupuleusement, voilà les qualités déjà immenses d’Hernán.
Après, le cinéphile en demande toujours plus… Côté fiction, la série est beaucoup plus faible. Les personnages sont esquissés, mais pas développés. La narration à base de flashbacks, pour aboutir à la Noche Triste, ne sert pas à grand-chose. Et il manque du souffle, du sense of wonder, de l’étrangeté.
Hernán peine à retranscrire ce choc inédit de civilisation : le monde gréco-judéo-chrétien, monothéiste, percutant de plein fouet les immenses civilisations précolombiennes, polythéistes, tout autant évoluées. La stupéfaction de ces petits Blancs d’Estramadure devant les pyramides colorées « plus grandes que Rome » est décrite abondamment par Díaz del castillo, mais la série n’en fait rien. Une scène est révélatrice de ce manque d’ambition. Dans un flashback, les conquistadors marchent depuis des semaines vers Tenochtitlan, la capitale aztèque. Ils franchissent la dernière montagne : gros plan sur leur émerveillement, puis contrechamp sur la ville : une île au milieu d‘un lac. Le plan est très mal fait, on ne voit rien, c’est un plan fixe. Pourtant, la série a bien reconstitué la ville en 3D, on en voit des bouts à plusieurs reprises. C’est comme si les showrunners n’avaient pas su quoi faire de cette scène, pourtant capitale… Il manque tout simplement à Hernán un artiste habité d’une vision. Le Werner Herzog d’Aguirre, ou le Mel Gibson d’Apocalypto.
Hernán est l’habituelle série historique, avec des hommes debout, en costume et l’épée à la main, qui commentent l’histoire au lieu de la vivre.
mardi 27 juin 2023
Don’t stop believing
posté par Professor Ludovico dans [ Brèves de bobines -
Le Professor a toujours quelque chose à dire... -
Séries TV ]
Plutôt que la soupe en boite de Journey, nous choisirons la nôtre, Voilà C’est Fini… Pour la deuxième fois, nous avons fait l’aller-retour Paris-Newark, Newark-Paris, cette fois-ci avec el Professorino. Pour la deuxième fois, nous avons vu les 86 épisodes des Sopranos. Une fois encore, nous avons aimé Tony et Carmella, Meadow et Anthony, Sil et Paulie, Christopher et Bobby, Adriana et le Dr Melfi. Une fois encore, nous avons détesté les gens qui voulaientt du mal à ces êtres pourtant peu recommandables.
On a beau le savoir, mais il est toujours aussi difficile de quitter une série. C’est avouer quelque part qu’on ne reverra plus ces amis de vingt ans. La fin de la série qui secoua l’Amérique, connue pour être exceptionnelle, est évidemment entachée par la bêtise habituelle des networks – ici Prime Vidéo – qui en a coupé l’effet, dès les premières secondes. Si David Chase avait décidé de cette minute spéciale à la fin de sa saga italo-américaine, c’était bien pour nous accompagner dans ce deuil. Tout comme Kubrick avait voulu que les salles respectent ces minutes d’obscurité avant le début de son acid trip 2001. Eternelle obsession des conteurs : bien nous faire entrer dans l’histoire, bien nous en faire sortir.
On imagine les sombres calculs algorithmiques qui préside à cette coupure idiote. Mais peu importe. Nous nous sommes échappés du New Jersey.
Vivants.
Don’t stop believing, donc…
dimanche 25 juin 2023
Severance
posté par Professor Ludovico dans [ Séries TV ]
Severance, c’est l’excellence américaine (artistique et technique) à son apex. Perfection du cadre, de la colorimétrie, du jeu (millimétrique), du scénario (rigoureux) : tout est en place pour le grand show.
Mais ce qui produit souvent des films froids comme la mort, propose là un (des) propos beaucoup plus fort(s) qu’à l’habitude. En décrivant des employés d’un futur proche dans une entreprise pas tout à fait comme les autres, Severance nous parle de nous, et du monde d’aujourd’hui.
Chez Lumon, en effet, on choisit des chiffres et on les dépose avec sa souris dans une sorte de corbeille. Pourquoi ? « C’est une chose mystérieuse… et passionnante » répond la boss (terrifiante Patricia Arquette), paraphrasant, cent ans après, Joseph Conrad à propos de la White Star Line*. Ce premier propos sur l’absurdité de certaines tâches du monde du travail font résonner une première fibre comique. D’autant que les bureaux de Lumon ressemblent fort aux cubicles d’IBM ou d’ailleurs, et que la doxa locale, issue du fondateur, Kier Eagan, fait l’objet d’un véritable culte. Tout cela ne manque pas de sel, sachant que la série est produite par Apple.
Là où Severance se corse, c’est que ce travail est top secret, au point que les employés s’engagent à subir une severance (dissociation) : une puce insérée dans leur cerveau divise les souvenirs en deux. Le salarié ne se rappelle plus ce qu’il fait au travail quand il est à la maison, ni ce qu’il a fait à la maison quand il est au travail. Deuxième ironie, quand on demande souvent au salarié de ne pas amener ses problèmes personnels au boulot.
Mais au moment où l’on se dit que Dan Erickson, le showrunner, ne va pas nous tenir en haleine pendant une saison, c’est là où la sauce se met à monter, enchainant les enjeux, les surprises, tout aussi inquiétantes que délirantes. Le tout maitrisé de manière impeccable, comme le décor : open space immaculé, couloirs blancs infinis, et soudain surgit le décor surprise, l’accessoire inattendu, le cast surprenant… Tout cela monte sans arrêt, comme la Planche des Belles Filles sur le Tour de France, nous laissant pantelants à l’arrivée de cette première saison.
Il s’agit maintenant d’enchainer une deuxième, et ça ne sera pas facile…
* « Une entreprise est un commerce, même si, à la manière dont parlent et se comportent ses représentants, on pourrait bien voir en eux des bienfaiteurs de l’humanité, mystérieusement engagés dans quelque noble et extraordinaire entreprise. », dans son reportage sur le procès du naufrage du Titanic pour The English Review.
vendredi 23 juin 2023
Jeanne du Barry
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]
On dit souvent ici que certains films ont une tête mais pas de cœur, selon la belle formule du Prince d’Avalon. Jeanne du Barry, ce serait plutôt l’inverse : beaucoup de cœur et pas beaucoup de tête. On voit bien que Maïwenn est à fond dans son projet, qu’elle y met des choses éminemment personnelles (le plaisir, les pygmalions) et que, pour cela, elle a voulu incarner elle-même du Barry. C’est souvent une erreur, car rares sont les metteurs en scène qui arrivent à se diriger.
Le film laisse une drôle d’impression : mal foutu, l’incohérence du propos et la caricature pèsent sur le film, qui reste aimable quand même : on a du mal à lui en vouloir…
Maïwenn semble tout simplement ne pas avoir réfléchi à ce qu’elle voulait dire. Selon l’anecdote, elle voulait filmer des improvisations d’acteurs comme à son habitude, puis y a renoncé. Les incohérences abondent : après avoir validé les vertus du libertinage pendant une bonne heure, Maïwenn découvre (sic) le « côté obscur du roi » qui a une autre favorite. Elle plaint à la fin la pauvre plébéienne, guillotinée comme une noble par la Terreur, comme si elle n’avait pas vécu – et profité comme eux – des privilèges l’Ancien Régime.
Incohérences de l’intrigue, ensuite : des personnages disparaissent sans raison (la fille très chrétienne de Louis XV, raccordée sur le fil par une voix off pontifiante), ou agissent sans raison (les autres filles qui complotent ouvertement à la table du Roi, qui vient pourtant de démontrer son pouvoir absolu).
Caricature, enfin : si ses personnages principaux sont relativement crédibles (Johnny Depp impérial en Louis XV, la bonne idée de caster une star Hollywoodienne qui en impose par sa seule présence, ou Maïwenn en libertine amoureuse, plutôt attachante), les autres personnages sont efféminés, stupides, racistes*.
Reste la désagréable (et habituelle) impression d’une fascination pour les rois et les reines dans un Cendrillon 2.0.
Le film n’est tout simplement pas assez radical dans son propos, façon Marie Antoinette de Sofia Coppola, ou pas assez sérieux, pour loucher du côté de Barry Lyndon, référence évidente de la cinéaste (35mm et éclairage aux bougies).
Dommage car il y a de bons moments dans cette du Barry Lyndon.
*L’histoire réelle de Zamor, jeune enfant noir adoptée par la du Barry s’éloigne énormément du conte de fées de Maiwenn (anecdote copyright el Professorino)
vendredi 9 juin 2023
Das Boot
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -
Les films ]
Après une ultime revoyure – le Kapitän Ludovico ayant déjà tout vu : le livre, le film en salle, le film à la télé, la série télé (au moins deux fois), le director’s cut…), le bilan est toujours le même : Das Boot reste un chef-d’œuvre imputrescible, qui ne connait aucune corrosion. Acteurs parfaits, mise en scène parfaite, propos parfait… Rien ne vieillit chez le parangon du film de sous-marin.
Pourtant il est difficile d’imaginer le scandale à sa sortie : film fasciste, osant dire que les Allemands avaient eux aussi combattu de manière héroïque, et qu’il n’y avait pas que des nazis… La controverse fut intense, car Das Boot était le premier.
Selon le principe qui veut que l’histoire soit racontée par les vainqueurs, les Américains avait entièrement accaparé la narration de la seconde guerre mondiale, avec Le Jour Le Plus Long comme prototype… Un Pont Trop Loin, les Douze Salopards, L’aigle s’est Envolé, De L’or Pour Les Braves… tous ces films obéissaient au sacro-saint principe : les héros étaient américains, et les Allemands avaient le mauvais rôle… Il a fallu que le temps passe, et que l’Allemagne fasse son propre examen de conscience (pour reprendre le titre du plus beau livre d’August von Kageneck) pour que les jeunes cinéastes allemands ne se sentent plus responsables des erreurs de leurs parents, et se décident à explorer le grand drame du XX° siécle, vu de leur côté…
Il faut en tout cas bien être aveugle pour voir dans Das Boot un panégyrique nazi. Dès la première scène, un capitaine saoul se moque d’Hitler en fêtant sa décoration… Quand on embarque sur le U-96, seul un jeune « commissaire politique » est un authentique nazi, et il va vite perdre ses illusions…
Les autres membres d’équipage n’ont pas d’opinion, ouvriers au service d’une guerre sous-marine déjà perdue, qui ne cherchent qu’à survivre au milieu des vapeurs de mazout. C’est le génie de Petersen de filmer cette chair à canon aux visages blafards couverts de sueur et de graisse, sous des néons rouges et bleus*. C’est tout simplement l’humanité à l’os que filme le cinéaste ; son courage et sa lâcheté, sa détermination et sa peur.
Malheureusement, Wolfgang Petersen ne deviendra pas un grand cinéaste. Après L’Histoire sans Fin, il fera le voyage fatal Hambourg-Hollywood, passant de cinéaste-auteur à un bon faiseur de l’Usine à Rêves. Avec pas mal de bons films (Dans la ligne de mire, Air Force One, Troie), quelques nanars (Enemy, Troubles, Alerte ! Poséidon), mais sans nouveau coup d’éclat.
*Néons qui marqueront pour toujours Tony Scott (USS Alabama), et les ¾ de la production Simpson/Bruckheimer/Michael Bay …