Il aura fallu toute l’énergie du Professorino pour traîner le Professore jusqu’à Anatomie d’une Chute. Le film était d’ores et déjà plombé par une Palme des Alpes-Maritimes et les déclarations tonitruantes de Justine Triet sur la dictature Macroniste (on peut en dire des choses, mais plus intelligentes que celles-là !). Néanmoins, nous voilà à Bastille, devant la bête…
Existe-il meilleure position, en réalité, pour aller voir un film ? On a aucun désir, sinon faire plaisir à son fils. On est frais, on est prêt, on prépare ses punchlines. Le Professorino ne s’y trompe pas : sur le trajet, il sait qu’on réfléchit déjà au démontage en règle de la table basse Ikea de Mademoiselle Triet.
Mais voilà, Anatomie d’une Chute, c’est une mécanique de haute précision : pas un gramme de graisse, un scénario au cordeau cosigné de Monsieur Triet (Arthur Harari, notre chouchou d’Onoda, 10 000 nuits dans la jungle). La mise en scène Trietienne est à l’avenant : millimétrée, avec une parfaite direction d‘acteur, passant du français à l’anglais – la langue du couple (tout sauf un détail, on le verra), mélangeant de façon inédite des numéros d’acteurs et des parties quasi documentaire lors du procès.
Pour cela, il faut des acteurs exceptionnels, et ils sont là, à commencer par l’ « héroïne », absolument parfaite en allemande glaciale. Coupable, forcément coupable, Sandra (Sandra Hüller) a-t-elle tué son mari ? S’est-il au contraire jeté du balcon de son chalet savoyard ? Le spectateur navigue entre toutes ces versions, comme s’il assistait lui-même au procès.
Au milieu de tout cela, un avocat général pugnace et retors (Antoine Reinartz), un avocat avec ses propres motivations (Swann Arlaud), un chien qui joue vachement bien, et un enfant, extraordinaire, (Milo Machado Graner), dont la coupe de cheveux évoque le Danny de Shining, et qui évidemment s’appelle Daniel…
À tout moment, on tremble : et si le film trébuchait ? Et si Triet sortait la grosse ficelle américaine du film de procès ? Ou se mettait à errer dans le film à thèse à la française ? Non, Justine Triet est implacable, inflexible, elle domine son sujet. Il n’y aura pas de rhétorique facile ou de rebondissement malvenu, ça n’arrivera pas, même dans la dernière ligne droite.
Miracle de Cannes, pour une fois, la Palme couronne un chef d’œuvre, un vrai.
Voilà une bonne incarnation du Théorème de Rabillon : la passion de l’aviation fait faire bien des bêtises au CineFaster. Par exemple, regarder Starfighter, un téléfilm merdique de 2015, disponible sur Prime Video. Oui, le F-104 Starfighter de chez Lockheed, le Cercueil Volant, le Faiseur de Veuves, l’avion maudit de la Luftwaffe*. On se rappelle qu’un article de Paris-Match, dans les années 70, avait profondément marqué le jeune CineFaster : le poids de mots, le choc des photos.
Comment résister à un film sur le sujet, avec des zolis navions qui font des loopings et allument la postcombustion ? Le CineFaster est faible, il regarde, même s’il a compris avec la VF et la réalisation France 3 Bade-Wurtemberg, que ça n’allait pas voler très haut. Un sous-Top Gun avec virilisme, love story macho et reconstitution de la RFA sixties. N’est pas Tony Scott qui veut.
Là, on est plutôt dans le film à dossier façon Bildschirmordner**. Sic Wikipedia : « Le Spiegel salue l’exactitude du film, qui lui confère une qualité de documentaire. » Tout est dit : c’est chiant comme la mort mais il y a de zolis navions…
*Entre 1961 et 1989, 292 des 916 F-104 allemands s’écrasent, occasionnant la mort de 115 pilotes (Wikipedia)
**On vous laisse chercher sur Google Trad.
L’Art, et particulièrement le septième d’entre eux, est une affaire de prototype. Il y a des méthodes pour faire un film, mais jamais aucune recette pour faire un succès.
Blonde est l’incarnation absolue de ce principe. Le projet a tout ce qu’il faut : un sujet ambitieux et fédérateur (Marylin Monroe, star parmi les stars, à jamais au firmament), un roman à succès de Joyce Carol Oates, unanimement salué par des millions de lecteurs, un authentique génie du cinéma à la réalisation (Andrew Dominik, Monsieur L’Assassinat de Jesse James par le Lâche Robert Ford et Cogan: Killing Them Softly), un producteur plutôt doué (Brad Pitt), de très grand musiciens à la BO (Nick Cave et Warren Ellis), des acteurs talentueux (dont une Ana de Armas époustouflante). Le film n’est pas putassier, il est au contraire plutôt indie, mêlant les obsessions formelles de Dominik à une narration ambitieuse et littéraire.
Pourtant, Blonde ne décollera jamais. Andrew Dominik n’arrive jamais à nous intéresser – c’est un comble ! – au sort de Marilyn. Ses malheurs nous sont consciencieusement exposés : mère psychotique, père abandonneur, producteurs profiteurs, amants manipulateurs, mari cogneur ou distant… Ana de Armas pleure beaucoup, mais on s’en fiche ! Et ça, c’est le pire crime en matière de fiction. Si on ne s’intéresse pas au personnage, il est totalement impossible de s’intéresser au film. Pourquoi Dominik n’y arrive pas, le mystère reste entier.
Hollywood n’a pas de recettes, et c’est très bien comme ça.