Nous avions douze-treize ans, et nous nous repaissions de Science-Fiction. Les livres de Bradbury, Silverberg, Farmer, K. Dick , Asimov ou Frank Herbert nous faisaient rêver, mais c’était surtout leurs couvertures, signées Chris Foss, Caza, Frazetta, Vallejo, qui nous emmenaient au-delà des étoiles, au-delà de la galaxie. Au cinéma, les dômes en plastique de l’Age de Cristal, les vaisseaux oblongs des Thunderbirds n’étaient pas à la hauteur.
Puis le Discovery One de 2001 changea la donne (mais nous ne l’avions pas encore vu) et désormais tous les vaisseaux spatiaux lui ressembleraient : un fuselage blanc, avec pleins de zigouigouis dessus : Star Wars, Battlestar Galactica, Alien… Tous reprendraient ce canon esthétique, mais on restait encore loin de la beauté multicolore d’un Chris Foss*.
Il a fallu attendre 2009, et quelques images au début de Star Trek (version JJ Abrams) pour trouver enfin chaussure à notre pied. Villes gigantesques dans le brouillard lointain, façon Monades Urbaines de Christopher Priest. Ces images restent rares, mais on est enfin gâtés dans The Creator. Villes gigantesques, vaisseau spatial, mega-tank, Gareth Edwards reprend ce flambeau-là, et aussi celui d‘une judicieuse surcharge de détails façon Ridley Scott (Alien, Blade Runner, you name it). Mais c’est tout ce qu’on aura à se mettre sous la dent puisque nous avons affaire, avec ce Creator, à un Film Adolescent ; c’est-à-dire un film sûr de lui, qui ne se pose jamais de question, qui ne réfléchit pas à son scénario, ni à son univers.
Le film va ainsi proposer des incohérences à chaque seconde, mais rappelons d’abord le pitch : dans un futur proche, une explosion nucléaire, due à une IA défaillante, a détruit la moitié de Los Angeles. Cet incident a déclenché une guerre sans merci entre les Américains et la Nouvelle Asie qui soutient l’intelligence artificielle. Joshua Taylor (John David Washington), un soldat infiltré en Nouvelle Asie doit trouver l’IA pour la détruire. Dans ce monde futuriste, il y a des robots, des simulants qui ont visage humain, et une mystérieuse IA. Premier problème, ces simulants font tout pour ressembler à des humains : visages, expressions, sentiments. Ils mangent et boivent comme nous. Pourquoi ont-ils donc un magnifique trou à l’arrière de la tête ? Si ce n’est pour « faire un effet » censé impressionner le spectateur ?
Autre exemple, une patrouille de Marines débarque en pleine nuit dans une rizière. Mission classique d’infiltration… Mais leurs scaphandres sont saturés d’écrans de contrôle. C’est très beau à l’écran : ça fait des jolis taches blanches dans le paysage, et une très belle scène, mais pour le camouflage FOMBECTO**, c’est pas gagné…
Et ainsi de suite… le film est saturé d’objets, de décors, de sons, de lumière… et tout est sincèrement splendide. Splendide, mais stupide.
Et – c’est plus grave – on n’a pas réfléchi à ce que le film veut dire… En gros, G. Ewards, qu’on a connu plus intelligent dans son magnifique Monsters, nous dit que… les robots sont des êtres humains comme les autres ! Sur ce postulat, on assiste à des scènes assez cocasses : un robot qui s’habille et marche comme une grand’mère, un robot US qui salue ses maîtres comme un Marine (« c’était un honneur de combattre à vos côtés » ou quelque chose de ce genre), des Américains über-méchants parce qu’ils combattent une IA qui a rayé La La Land de la carte (en fait (je spoile), c’est pas de sa faute, elle était mal programmée)… Aucun cliché ne sous sera épargné : la proverbiale sagesse vietnamo-tibétaine, l’I.A. insérée dans une unique petite fille (ce qui la rend vraiment facile à éliminer, jamais intelligence artificielle n’a autant mérité son nom…)
Le film ne réussit jamais à nous intéresser à ses personnages, ni au soldat undercover fracassé par la guerre, ni son histoire d’amour américano-vietnamienne, ni la petite fille-robot… C’est là le nœud du problème. Comment peut-on s’identifier à une machine ? Quelques rares œuvres y ont réussi (Blade Runner, en inversant la proposition (qu’est-ce qui prouve, Deckard, que tu es humain ? Battlestar Galactica, en posant la question de l’Ennemi : que devient-on quand on comprend qu’on est soi-même un cylon ?) Sinon, il est quasi impossible d’éprouver de l’empathie pour une machine… C’est malheureusement le sujet central du Creator, qui essaie de nous faire prendre des vessies numériques pour des lanternes digitales.
* qui avait pourtant dessiné le Nostromo d’Alien
** Un combattant doit vérifier qu’il est bien camouflé grâce à l’acronyme FOMBECTO : Forme, Ombre, Mouvement, Bruit, Éclat, Couleur, Trace et Odeur.