vendredi 23 février 2024
True Detective Night Country
posté par Professor Ludovico dans [ Séries TV ]
Même les meilleurs peuvent chuter. Cette saison 4 de True Detective, la cop show anthology de Nic Pizzolatto qui avait bouleversé HBO en 2014, semblait prometteuse. Ses créateurs avaient juré de ne pas retomber dans les quelques défauts des saisons précédentes. Remusclée (seulement six épisodes ici), féminisée (deux fliquettes à la place des duos machos précédents), Issa López, une écrivaine mexicaine au showrunning et Billie Ellish au générique). Pizzolatto avait même quitté le bateau.
Dans les faits, ça part bien, les cinq premiers épisodes sont au niveau d’excellence HBO, et dans le canon esthétique des autres True Detective. Deux flics que tout oppose, une fliquette croyante, l’autre sceptique, le passé qui remonte à la surface, les querelles familiales, la pollution, les femmes qu’on violente, encore et toujours.
Mais voilà, arrive l’épisode six. Ça n’allait pas vite avant (et on aimait bien ça) et là, faut accélérer. Tout résoudre d’un coup, et on se dit que ramasser cette histoire en six heures risque de pas être une si bonne idée. Ça ne rate pas. L’intrigue prend des raccourcis et il faut maintenant des séquences explicatives pour démêler le mystère. Les dialogues – laborieux – sont chargés de faire le job. Rien de plus artificiel au cinéma.
Si l’intrigue évoluait jusque-là dans les racines séminales de The Thing/28 Jours de Nuit (ambiance station polaire fantastico-policière), sa résolution « réaliste » devient très insatisfaisante. Trop trendy (Servante Ecarlate style), trop dans les maux de l’époque, et en même temps tellement basiquement américaine (œil pour œil/dent pour dent), cette saison sort de ses rails originels. Ambiguïté, pessimisme profond, ces qualités si peu américaines qui faisaient sa force.
Night Country ressemble à une symphonie qui se terminerait sur une fausse note.
mardi 13 février 2024
Fauda
posté par Professor Ludovico dans [ Séries TV ]
En pleine nouvelle guerre israélo-palestinienne, quelle meilleure idée que regarder Fauda, qui raconte la vie d’agents israéliens infiltrés à Ramallah ou à Gaza ?
Cela a déjà donné quelques séries, mais on regarde surtout pour le côté dépaysant de l’affaire. Une série israélienne, tournée en hébreu et en arabe, cela promet de l’action, du réalisme, et de la tragédie. C’est souvent le problème. Ce genre de série (24, Homeland, Le Bureau des Légendes) ne peut survivre que par la surenchère tragique, et c’est un petit peu ce qui se passe. Il ne fait pas bon faire partie des proches cette unité spéciale, car tout le monde y passe. Petite copine, père, beau-frère, collègue… ça peut devenir too much au bout d’un moment.
Mais en même temps – et malgré le côté évidemment pro-israélien de l’affaire – la description ethnologique est passionnante : palestiniens comme israéliens parlent les mêmes langues, mangent la même nourriture, aiment les mêmes femmes, et pourtant se haïssent sans fin…
lundi 12 février 2024
Iron Claw
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]
Le Professore Ludovico aurait-il perdu sa légendaire vista? Voilà quatre cinéastes indie qu’il conseille à Notre-Dame-de-Nazareth : quatre échecs, quatre déceptions. Kelly Reichardt (Showing Up), Radu Jude (N’attendez pas trop de la fin du monde), Jonathan Glazer (La Zone d’Intérêt) et maintenant Sean Durkin (Iron Claw)… C’est comme si on ne pouvait plus faire confiance à l’étiquette de la bouteille, comme si un Romanée-Conti produisait du Beaujolais nouveau…
Mais comme le vin, certains cinéastes ne vieillissent pas bien. C’est le cas de Sean Durkin, qui nous avait ébloui avec son coup d’essai-coup de maître Martha Marcy May Marlène, et dont le niveau avait un peu baissé avec The Nest, néanmoins toujours mystérieux et terrifiant.
Iron Claw est toujours sur la marotte du réalisateur, l’emprise, celle d’un père sur ses fils dans le milieu du catch des années 80. Mais c’est comme si l’on avait confié à Durkin un film grand public sur un sujet indie. Et dans les faits, c’est le cas : des 600 000€ de budget de MMMM, Durkin passe à 15M$ pour cet Iron Claw. Le voilà obligé de faire recette.
Au-delà de l’aspect business, l’explication tourne une fois de plus autour de la première phrase du film : « inspiré d’une histoire vraie ». Le film parle d’une famille dont l’un des membres (Kevin) est encore vivant, et qui a probablement, d’une manière ou d’une autre, participé à la production de ce film. Le final ne peut donc être complètement tragique. Et ça ne rate pas : après avoir démontré consciencieusement que le père von Erich avait détruit cette famille de fond en comble pour cause de frustrations personnelles, le film se termine par l’habituel carton BOATS : « Kevin Von Erich vécut heureux au milieu de ses enfants et petits-enfants, et la famille von Erich est considérée comme l’une de plus grandes familles du catch ». Ça valait le coup, donc ?
S. Durkin semble avoir perdu la main. Si l’on reconnait sa capacité à filmer la beauté de la campagne américaine, où est passée le dialoguiste ? On a rarement vu dialogues aussi plats. Quand il y a quelque chose à décrire, et bien, le dialogue le dit. Le père veut devenir champion de catch ? le père dit « je veux devenir champion de catch ! »
Le soir même, la comparaison avec les derniers épisodes de Fargo, saison trois, était cruelle. Pour montrer la folie gagnant Emmit Stussy(Ewan McGregor), l’épisode lui offrait des monologues incompréhensibles, des bouts de phrases sans queue ni tête, tandis que son tourmenteur, l’infâme V.M. Vargas (et génial David Thewlis !), pérorait sur la nourriture ou la décadence de l’Occident pour signifier sa totale mainmise sur le précédent.
Noah Hawley ne cherche pas, lui, à expliciter quoi que ce soit par des dialogues. Il sait que le spectateur, au contraire, jouit de ce puzzle, et que l’intrigue avance d’elle-même, sans les dialogues.
Mais il est vrai que Fargo n’est pas un BOATS, car comme chacun sait : « Ceci est une histoire vraie. Les événements ont eu lieu dans le Minnesota en 2006. À la demande des survivants, les noms ont été changés. Par respect pour les défunts, tous les faits ont été racontés tels qu’ils se sont produits. »
mardi 6 février 2024
La Zone d’Intérêt
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]
A priori, les astres étaient alignés. Jonathan Glazer, le formaliste ultra doué de Under the Skin semblait le parfait écrin pour quelque chose d’aussi indicible que la Shoah. Le parfait adaptateur également du très drôle, et très pénétrant, livre de Martin Amis.
Mais voilà, Glazer n’adapte pas La Zone d’Intérêt, mais plutôt La Mort est Mon Métier de Robert Merle. Le romancier français y biographiait/psychanalysait Rudolf Höss, le commandant d’Auschwitz.
Martin Amis, lui, sait – règle numéro un du Biopic réussi – qu’il faut s’écarter du sujet pour mieux le cerner. Il transformait Höss en Paul Doll, un commandant falot auquel il adjoignait deux co-narrateurs : Angelus Thomsen, officier nazi dragueur qui se rapprochait de la femme de Höss, et Szmul Zacharias, un Sonderkommando juif, pris tragiquement au cœur de ce trio d’opérette. Avec un humour ravageur, sans jamais tomber dans le mauvais goût (autant dire une performance sur ce sujet), Amis montrait la racaille nazie dans toute son incommensurable bêtise, et dans toute sa veulerie.
Ici, Glazer se contente de filmer sérieusement la famille Höss (Monsieur, Madame, la belle-mère et les enfants) comme une sorte d’installation d’art contemporain qui pourrait s’appeler Nazis Love Their Children Too.
Vouloir montrer la banalité du mal (les enfants jouant dans la piscine tandis que les crématoires tournent à plein régime), ou l’avidité revancharde (se « venger des juifs » dont ils étaient la boniche, comme le dit la belle-mère, en volant leur manteau de fourrure, leurs bijoux et leur rouge à lèvres…), ne suffit pas à faire film.
On est plutôt devant des tableaux (des enfants qui jouent, une mère qui jardine, un père qui administre…), tableaux d’une exposition qui aurait pour fond sonore l’extermination. Si l’exhibition du mal est parfaite, si le propos est glaçant, cela n’apporte pas grand-chose à son sujet.
Une heure et quarante-cinq minutes plus tard, nous sommes toujours dans la zone d’inintérêt…