jeudi 30 janvier 2025
Call Me by Your Name
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -
Les films ]
Nous avons découvert Timothée Chalamet il y a 6 ans, dans The King pour être précis, où l’intensité de son jeu indiquait qu’il ferait un excellent Paul Muad’dib : intuition confirmée par la suite. On l’avait aussi entraperçu dans Hostiles, ou dans Interstellar pour ce drôle de petit rôle : un garçon dont le père se foutait complètement, mais qui pleurait à chaudes larmes sur sa fille. Mais ne me lancez pas sur Interstellar…
Depuis, on ne cesse de le croiser. Et il ne cesse de nous étonner. Paul Muad’dib, Willy Wonka, The French Dispatch, et bientôt, Bob Dylan, où rien que la bande annonce impressionne. Une carrière qui ressemble déjà à un sans-faute, films indé et grosses productions, sans tomber dans le Marvel qui l’enfermerait à vie. Il se déploie aussi élégamment sur les plateaux de talkshows (Saturday Night Live, Quotidien), jouant le jeu de la promo tout en ne se la jouant pas…
Le Professorino avait conseillé Call Me by Your Name avec cet avertissement mystérieux : « Pas sûr que ça va te plaire, mais faudrait quand même que tu le voies » Il a souvent raison le Professorino, question d’ADN.
A un détour de bronchiolite dominicale, Call Me by Your Name passe sur le Canal+ de Notre Dame de Nazareth. OK. On se laisse gagner par la douce torpeur de l’Italie lombarde des années 80, du corps freluquet de Chalamet et de la statue grecque Armie Hammer (les Jumeaux Winklevoss à lui tout seul)…
Eh bien voilà : le film de Luca Guadagnino est un chef-d’œuvre de finesse. Voilà enfin une histoire d’amour homosexuelle sans pathos, sans sida, sans parents castrateurs, sans désapprobation de la société. Même si toutes ces possibilités sont évoquées, c’est une histoire d’amour banale, comme toutes les histoires d’amour.
Un ado et un jeune adulte se cherchent, se frôlent, se repoussent, avant d’avouer leur désir, sans qu’on y voit des problèmes de consentement.
Certes, Luca Guadagnino prend son temps. Mais ce temps est précieux si l’on veut prendre cette histoire d’amour au sérieux. Ce n’est pas simple d’être amoureux, et ce n’est pas simple d’être homosexuel dans l’Italie des années 80 ; Guadagnino n’esquive pas le problème. Mais il n’en fait pas des tonnes : le contexte est là, et puis c’est tout. Et Chalamet trône au centre de la pièce, même s’il est entouré d’une batterie d’acteurs talentueux (Michael Stuhlbarg, Amira Casar, Esther Garrel, Victoire Du Bois…).
Il est le soleil du film, autour duquel tourne d’autres planètes, dans une perfection cosmique…
lundi 20 janvier 2025
Sic semper tyrannis
posté par Professor Ludovico dans [ Le Professor a toujours quelque chose à dire... ]
« Le plus effroyable des tyrans est celui qui se considère comme un bouffon.
Et que le monde entier n’est qu’une vaste bouffonnerie… »
Richard III
vendredi 17 janvier 2025
David Lynch, la mort du poète
posté par Professor Ludovico dans [ Le Professor a toujours quelque chose à dire... -
Les gens -
Pour en finir avec ... ]
David écarta le rideau de velours rouge et découvrit la pièce, dallée de noir et blanc et nimbée d’une musique douce. Esquissant quelques pas de danse, un nain élégamment vêtu s’approcha, et posa à David La Question :
– Iev at ed tiaf sa ut euq ec tseuq ?
– J’ai rêvé, répondit David en souriant…
– Alors, tu peux entrer.
***
Pourquoi la mort de David Lynch nous rend si triste ? Nous ne le connaissions pas. Il ne faisait pas partie de notre famille, ni de nos amis. Il avait l’air sympathique ; l’était-il vraiment ? On ne sait.
Mais voilà, c’est ça, le cinéma. Un virus, un parasite qui se niche dans notre lobe frontal, et devient une partie de notre âme. Ce n’est pas la disparition de David Lynch qui nous fait de la peine, c’est la perte des cellules Lynchiennes imbriquées dans notre cerveau depuis que nous sommes nés, c’est-à-dire depuis que nous sommes devenus cinéphiles.
Si cette chronique est si dure à écrire, c’est que nous sommes submergés de souvenirs. De la première émotion mélodramatique, à quinze ans, avec Elephant Man, à la passion amoureuse pour les filles de Twin Peaks. De l’effroi à l’apparition de Frank Booth ou Bobby Peru (Blue Velvet/Sailor et Lula), à l’affection pour Alvin Straight, le grand père d’Une Histoire Vraie. Et des rêves, des rêves à foison ; le ciel étoilé d’Elephant Man, le radiateur d’Eraserhead, les feux rouges de Twin Peaks, le ranch de Mulholland Drive, l’oreille coupée de Blue Velvet, le couloir sombre de Lost Highway, la main ensanglantée de Dune…
Hubert Reeves se trompait, nous ne sommes pas de la poussière d’étoiles, nous sommes des atomes de David Lynch.
Rares sont les cinéastes qui arrivent à nous émouvoir, nous effrayer, et nous faire rire.
Kubrick est cérébral, Hitchcock, excitant, Spielberg, émouvant. Lynch est tout cela à la fois, car il délaisse l’efficacité de ses collègues au profit de la matérialisation de ses rêves, sans chercher à y réfléchir. C’est l’un des rares authentiques poètes du septième art. Même Dune, son film raté, honni, banni de sa cinématographie officielle, et dont tout le monde s’accorde à dire que c’est un mauvais film, a marqué l’imaginaire de tous ceux qu’ils l’ont vu, et reste un film culte…
Que dire de plus ? Un seul mot.
Silencio.
jeudi 16 janvier 2025
David Lynch
posté par Professor Ludovico dans [ Les gens ]
« On meurt, on passe un bout de temps à rêver, et on revient… »
David Lynch, à propos du cinéma
dimanche 5 janvier 2025
Jugement à Nuremberg
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -
Les films ]
Quel étrange film que voilà ! Trois heures pour évoquer le jugement fictif de quatre magistrats nazis*, après les grands procès de 1945 (Göring, Hess, Ribbentrop, etc.) Un film pédagogique, d’une ambiguïté folle.
Pendant ces trois heures, on va au gré des personnages passer d’un sentiment à l’autre. Stanley Kramer nous met dans la position de Spencer Tracy, le vieux grand-père qu’on a nommé Juge, parce qu’on ne sait pas trop quoi en faire. On écoutera comme lui le réquisitoire d’un procureur déchaîné (Richard Widmark), bien décidé à châtier le plus sévèrement possible ces hauts fonctionnaires d’Hitler. Puis on basculera vers le camp adverse, au travers du personnage de Marlene Dietrich, veuve d’un officier allemand. Elle tentera de montrer que tous ses semblables ne sont pas des monstres. Puis par l’avocat, le tout jeune et brillant Maximilian Schell**, qui dénoncera l’hypocrisie de ce procès, alors que d’autres terreurs sont là : Hiroshima et Nagasaki, la ségrégation raciale aux Etats-Unis, le communisme qui s’étend à l’est. Devant l’aveuglement des alliés devant Hitler, n’est-ce pas toute l’humanité qui devrait être jugée ?
En coulisses, des magouilles politiques viennent troubler le procès : le blocus de Berlin fait pencher les autorités américaines vers plus de mansuétude envers les allemands, qui se serviront bientôt de glacis face aux soviétiques.
C’est oublier cet étrange accusé, Burt Lancaster, maquillé en vieil homme. Voilà une star qui n’a pas une ligne de dialogue pendant deux heures. Pourquoi ? C’est le génie de Jugement à Nuremberg : c’est toujours le dernier qui parle qui a raison. Et Ernst Janning (Lancaster) va bientôt parler…
À la fin, le film tirera une conclusion à la fois morale et douce-amère. La Loi, oui. La Justice, peut-être… La vérité, qui sait ?
* fictifs, mais basé sur un procès réel
** qui gagnera l’Oscar pour cette performance
samedi 4 janvier 2025
Christine
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -
Les films ]
Et si Christine était la meilleure adaptation d’un livre de Stephen King ? Provocation, bien sûr ! Il y a Les Evadés, Misery, La Ligne Verte et… Shining ! Mais Christine a une place particulière dans le cœur du Professore Ludovico. Vu six fois en salle en français, en anglais, et là, à nouveau, grâce à Oqee, la plateforme gratuite de Free. Quarante ans après, le film n’a rien perdu de sa force terrifiante, son mauvais esprit, son cul débridé…
Car le film joue à fond la métaphore sexuelle : voiture=sexe. Sous-entendus graveleux*, pelotages appuyés, mais surtout une histoire d’amour terrifiante entre un jeune geek et une voiture. On y verra aussi une critique en règle de la famille américaine, oppressive et rigoriste.
Et pour une fois, c’est le Jock qui a le beau rôle : Dennis la quarterback (John Stockwell) tentera de sauver son ami Arnie le geek (l’inquiétant Keith Gordon), tâche impossible car il est tombé amoureux d’une voiture, et cette voiture s’appelle Christine**.
*She had the smell of a brand-new car. That’s just about the finest smell in the world, ‘cept maybe for pussy.
** Let me tell you a little something about love, Dennis. It has a voracious appetite. It eats everything. Friendship. Family. It kills me how much it eats. But I’ll tell you something else. You feed it right, and it can be a beautiful thing, and that’s what we have.
vendredi 3 janvier 2025
Apocalypse, Now, 14ème
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -
Le Professor a toujours quelque chose à dire... -
Les films ]
Quel meilleur film de Noël qu’Apocalypse Now ? Même si ce n’est pas notre premier voyage au Vietnam, c’est l’occasion de le montrer à d’autres, et de revisiter le temple Khmer de Coppola. Car nous sommes en possession d’une rareté : le coffret Blu-Ray avec la version d’origine, sans générique ni bombardement final. Bref, un morceau de la Vraie Croix.
Rien de nouveau sous le soleil de plomb du delta, mais l’opportunité – toujours – de découvrir de nouvelles choses…
Ainsi, nous n’avions pas remarqué ces motifs qui se répètent au début et à la fin. Si le Parcours du Héros est parfaitement documenté, the Rise and Fall du Capitaine Benjamin L. Willard, cette symétrie ne nous avait pas frappé. Or, que constate-t-on ? D’abord, l’un des premiers plans est aussi le plan de fin, cet admirable fondu enchaîné sur le visage de Willard / les statues de rois khmers. Symboles de la répétition de l’histoire, et de sa violence éternelle.
Il y en a d’autres. Au début, dans un accès de delirium tremens, Willard se barbouille de sang. Dans la scène finale, il est aussi barbouillé du sang, celui de son ennemi / son double, le Colonel Kurtz. D’ailleurs, il s’est fait un masque camouflage identique à celui de Kurtz, quelques scènes plus tôt.
On continue. Dans la première scène, des soldats viennent chercher Willard pour lui confier sa mission, ils montent des marches (Rise). Dans la dernière, sa mission accomplie, c’est lui qui descend des marches une fois sa mission accomplie (Fall). Comme il est dit, « Je voulais une mission, et pour mes péchés ils m’en donnèrent une* » et, à la fin, « Ils allaient me nommer Major pour ça, alors que je ne faisais plus partie de leur putain d’armée ** ».
Le chemin est accompli : Willard n’est plus un soldat des Forces Spéciales, mais il ne s’est pas transformé en Kurtz (comme les autres, ou comme il le craignait lui-même). Il n’est pas devenu ce Dieu du Chaos prêt à bombarder ses propres indigènes*** (comme dans le fameux happy end absent de la version originelle). Non, Willard est devenu le Roi. Le peuple de Kurtz ne s’y trompe pas ; ils rendent les armes et s’inclinent devant leur nouveau souverain. Willard descend les marches. Roi magnanime, il a dans les mains une épée (le Guerrier, la Justice) et un livre (les souvenirs de Kurtz) : la Loi.
This is The End : La musique des Doors, présente au début et lors du meurtre de Kurtz, s’est arrêtée : seul subsiste le calme de la pluie… La boucle est bouclée ; y’a-t-il un début, une fin à cette histoire ?
Ou simplement, éternellement : the horror, the horror…
*”Everyone gets everything he wants. I wanted a mission, and for my sins, they gave me one. Brought it up to me like room service. It was a real choice mission, and when it was over, I never wanted another.”
** “They were gonna make me a Major for this, and I wasn’t even in their fuckin’ army anymore.”
*** EXTERMINATE THEM ALL, écrit en rouge dans le récit de Kurtz
jeudi 2 janvier 2025
Le Train
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -
Les films ]
Parmi les dizaines de films de guerre que le Professore a vu depuis les années 70, il manque toujours quelques icônes : Le Train de John Frankenheimer en fait partie. Et voilà que Prime Video nous annonce que le film va quitter la plateforme, et nous voilà comme qui dirait, obligé de le regarder.
Et là, le choc.
La carrière de John Frankenheimer ne nous jamais ébloui, c’est un de ces artisans talentueux d’Hollywood qui n’ont pas vraiment d’œuvre, ni même de coup d’éclat. Dans sa filmographie, on retient 7 jours en Mai, Un Crime dans la tête, Ronin…
Rappelons l’argument de ce Train : 1944, la deuxième DB est aux portes de Paris, les Allemands fuient la capitale et Waldheim, un colonel allemand (Paul Scofield) se promène, de nuit, dans les couloirs du Grand Palais. Grand admirateur de peinture, il est venu voler ces toiles pour les emmener en Allemagne, au grand désarroi de la conservatrice (Suzanne Flon)… Celle-ci s’adresse à la Résistance, pour qu’elle bloque ce train pendant quelques jours, le temps que Paris soit libéré. Mais Labiche (Burt Lancaster), chef de la résistance cheminot, a d’autres chats à fouetter : stopper le ravitaillement des Allemands.
Faut-il sacrifier une quelconque humaine pour quelques tableaux ? Le film va poser cette question philosophique comme un fil rouge, sans jamais vraiment y répondre. Mais pour cela, il convoque tous les talents possibles du cinéma. Car, n’hésitons pas à le dire (à CineFast on ne fait pas dans la demi-mesure), ce film est parfait.
La photo d’abord. Un noir et blanc somptueux (dû à deux chef op français, Jean Tournier et Walter Wottitz) qui met en valeur les visages couverts de charbon de Michel Simon et de Burt Lancaster, deux genres de beauté, on en conviendra, très différents. Les cadrages sont magnifiques de précision : un premier plan avec des clous de rail saboté, et au fond, en flou, les bottes allemandes qui s’approchent. Le casting est parfait. Mélange d’acteurs français connus (Suzanne Flon, Michel Simon, Jeanne Moreau) et d’autres au visage connu (Jacques Marin, Albert Rémy, Charles Millot), appareillés à un Burt Lancaster minéral en résistant antihéros. En face, un couple illustrant deux visions de la défaite allemande Scofield en colonel jusqu’au-boutiste et Wolfgang Preiss en commandant désabusé.
La construction du film elle-même est un chef-d’œuvre d’accumulation d’enjeux : Pourquoi Michel Simon demande de la monnaie sur son billet de cinq francs ? Pourquoi Jeanne Moreau n’a pas très envie d’aider la résistance ? Pourquoi Labiche ne veut pas sauver les tableaux ? Tout cela s’empile comme la pyramide de Khéops, qui aboutit au chef-d’œuvre final, dans la mise en scène serrée de ce grand croyant dans le cinéma qu’est John Frankenheimer. Très peu de dialogues, aucune explication inutile, l’action est scandée par le montage, la discrète musique de Maurice Jarre, et les bruits diégétiques…
Comme cette locomotive à l’arrêt, dont les échappements de vapeur ponctuent le final.
Ils n’ont pas fini de nous hanter…
mercredi 1 janvier 2025
Nosferatu
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]
Bien sûr, Nosferatu, c’est magnifique… Les décors, la musique, les acteurs : tout est au sommet. Pour 50 millions de dollars, encore heureux… C’est la nouvelle vague du cinéma d’horreur, non plus les série B de notre jeunesse cinéphilique, bricolées avec peu de moyens par John Carpenter, Joe Dante, Sam Raimi, ou Wes Craven, mais les très grosses productions de Jordan Peele (Get out, Nope) ou, ici, Robert Eggers (The Witch, The Lighthouse). Une volonté de faire des films soignés, esthétisants, réalistes, avec les moyens afférents…
Mais autant Jordan Peele a quelque chose à dire sur l’Amérique, le racisme, le capitalisme, autant Eggers ne dit rien avec son cinéma. A-t-on peur ? Non. Y’a-t-il des enjeux, des personnages intéressants ? Non plus. Y’a-t-il un message politique, sociétal, féministe ? Il est bien caché. Modernise-t-il le mythe vampirique, comme peut le faire, chacun à son échelle, The Vampire Diaries ou Entretien avec un Vampire ? Toujours pas.
Eggers ne filme pas Nosferatu, il le refilme. Qu’apporte-t-il de plus que la version de Murnau (1922) ou celle de Herzog (1979) ? Rien.
C’est donc le retour du cinéma de décorateur, celui de Ridley Scott, ou, d’une autre manière, celui de Quentin Tarantino : refaire ses films fétiches, mais avec tous les moyens du monde.
Ce n’est pas de l’art. C’est du modélisme ferroviaire.