La perfection absolue. C’est ce qu’atteint Antoine Chevrollier avec La Pampa. Pour son premier long-métrage, le réalisateur joue cent parties d’échecs et les gagne toutes.
Les acteurs ? Parfaits*. La musique ? En apesanteur**. La mise en scène ? Au carré. Le scénario ? Tenu de bout en bout… Un miracle, on vous dit.
Antoine Chevrollier croirait-il dans le cinéma ? Sûrement, mais à la façon d’un protestant. Car il use de peu de moyens, et les réserve au bon moment, quand c’est utile. Il filme ainsi des motocross de façon très traditionnelle, caméra portée, pour conserver tous ses effets dans la dernière course, impressionnante de virtuosité.
On a oublié de dire de quoi ça parle : Jojo et Willy, deux lycéens du fin fond du Maine-et-Loire participent à des compétitions de motocross. Jojo conduit, Willy fait le mécano, tout ça sous la férule autoritaire de David, le père de Jojo, et un ami, Teddy, tous deux passionnés jusqu’à l’excès. Mais une révélation va déclencher un drame.
La vie à la campagne, évidemment, le Professore Ludovico en connait un rayon. Dans sa Beauce natale, lui aussi s’est emmerdé à cent sous de l’heure. Qu’est-ce qui reste dans ce cas ? Les mobs, et les armes. On joue avec pour le fun, et pour se sentir vivant…
On a vu ça cent mille fois dans le cinéma français. Mais avec trop souvent ce regard condescendant du cinéaste de l’IDHEC embedded dans la campagne berrichonne, parti voir comment bat le cœur du vrai pays. Chevrollier, lui, on ne sait pas d’où il vient – il n’a même pas de page Wikipédia*** – mais en tout cas, il filme ces gars-là de façon solaire. Avec empathie, avec indulgence.
À chaque fois qu’on croit qu’il va chuter, il reprend la barre et garde le cap. Le naturalisme, par exemple. La pire chose, en général, qui puisse arriver au cinéma. Certes, il reconstitue avec précision le milieu social : les maisons Bouygues, la Valstar, les Haribo et Véronique Sanson. Ses jeunes acteurs s’expriment avec leurs mots, et ça sonne juste. Le cinéma français fait ça tout le temps, mais là c’est discipliné. Cette reconstituion, ces dialogues, ne sont pas simplement une chambre d’enregistrement pour faire peuple. Ils ont un sens, ils font fait avancer l’action. Et dès qu’on s’approche du cliché, Chevrollier s’en échappe.
Il en va de même pour l’intrigue ; à plusieurs reprises, on voudrait que ça se termine là, parce que c’est beau, parce que ça ferait une belle fin. Mais le cinéaste en rajoute toujours une couche. Et on est terrifiés, comme devant le magicien qui construit un château de cartes et veut toujours aller plus haut. On est horrifié à l’idée que tout s’écroule sur une fausse note, une happy end trop convenue, une tragédie trop attendue.
Mais on n’a pas compris qu’un cinéaste était né : Antoine Chevrollier est trop fort, il ne va pas trop haut.
Il va très haut. Tout en haut.
* Sayyid El Alami, Amaury Foucher, Damien Bonnard, Florence Janas, Artus, Léonie Dahan-Lamort
** Sacha et Evgueni Galperine
***On sait seulement qu’il a réalisé des épisodes de Baron Noir, du Bureau des légendes, et d’Oussekine