Cela fait deux/trois fois que Le Clan des Siciliens passe à la télé, et là, j’arrive enfin à le scoper, et à le regarder. Mais je m’interroge toujours : ai-je déjà vu le chef d’œuvre d’Henri Verneuil ? Ma base de données à tableaux croisés dynamiques me dit que oui, et ma tête me dit que non.
Mais maintenant, je sais, j’ai vu Le Clan des Siciliens, et c’est cette fameuse scène sexuelle qui me l’a rappelé. Je devais avoir six ou sept ans, il n’y avait qu’une télé noir et blanc chez mes grands parents, et le dimanche soir on regardait Guy Lux, ou le film du dimanche. Et là, je revois ma mère disant : « Ce n’est pas vraiment pour les enfants ! » Aujourd’hui, je comprends pourquoi. Je ne sais plus si on m’a fait sortir, ou si la scène a disparu aussitôt, mais oui, j’ai vu Le Clan des Siciliens.
Posons déjà le décor : Sartet (Alain Delon) est un tueur sans scrupules, qu’a fait évader la famille Manalese. Le chef du clan Manalese, Vittorio (Jean Gabin) héberge Sartet dans l’appartement de son fils. Pas de bol, le Luigi en question est marié à une chaudasse, Jeanne (Irina Demick, la jolie résistante du Jour Le Plus Long). Jeanne s’habille trop court (enfin, selon Gabin ! Trop court, c’est quand on voit les genoux…), et Jeanne est fascinée par les bad boys. Quand c’est Delon, on la comprend ! Elle asticote donc notre Alain national, aligne sa poitrine opulente dans la ligne de mire de son gros pistolet (ATTENTION, METAPHORE !!!) jusqu’à ce que Delon siffle la fin de la plaisanterie : « Ça fait deux ans que je n’ai pas vu de femme, donc tu ferais mieux de partir ! » : ça, c’est un mec !
Deuxième boulette des siciliens : on charge Jeanne de convoyer le beau ténébreux à Menton, tandis que les fils Manalese préparent un casse en Italie. Comme le dit le proverbe portugais, c’est ce qui s’appelle mettre la bûche un peu trop près du feu… Et là, paf, LA Scène !
Imaginez Delon, tueur à gages qui s’ennuie à cent sous de l’heure au bord de la plage. Qu’est-ce qu’on fait dans ces cas-là, quand on est un tueur sans scrupules ? On va à la pêche ! Fringues impeccables, mais bottes en caoutchouc, Alain Delon tue le temps en tenant bien droite sa gaule dans la main (METAPHORE n° 2) Derrière, on aperçoit Jeanne qui se déshabille, version bronzage intégral : vue imparable sur le fessier de Madame (je rappelle qu’on est en 1969, et pas dans Hair mais dans un film sévèrement burné Delon-Gabin-Ventura)
Contrechamp : Delon vient de pêcher une anguille. Longue, noire et visqueuse, elle se tortille dans tous les sens (METAPHORE n°3). Champ : Jeanne replie langoureusement sa jambe. Contrechamp : Delon prend l’anguille et l’assomme, en la frappant violemment sur un rocher (METAPHORE n°4) puis rejoint Jeanne, l’anguille toute molle à la main.
– « Je n’ai jamais vu quelqu’un tuer une anguille comme ça… »
– « Alors c’est que vous n’avez rien vu !», réplique Delon, et il l’embrasse…
Pour ceux qui trouvent que j’exagère, l’extrait est là.
En dehorsde cette scène surréaliste, Le Clan des Siciliens est évidemment un très bon film, basé sur son trio d’acteur AAA (Delon-Gabin-Ventura). Mais c’est aussi un scénario béton (José Giovanni), et une mise en scène ambitieuse signée Verneuil, qui joue admirablement des silences et des non-dits, la musique d’Ennio Morricone venant rythmer le tout. Et surtout, il y a ce fatum qui semble flotter au-dessus des personnages ; la fin, à ce titre, est magnifique…
L’autre plaisir du film, c’est de retrouver ce monde disparu que sont les années 60. Un monde sans téléphone portable, où il faut demander à une opératrice de vous passer l’Italie. Un monde aussi, où on peut emmener des pistolets dans un avion de ligne sans se faire prendre, et où la police peut tabasser sans vergogne les types qu’elle interroge… Ah ça, existe toujours, ça ? Ah, pardon…