Je n’irais pas voir le film de Jan Kounen. Pourtant, je peux d’ores et déjà vous dire qu’il est nul et qu’il ne faut pas y aller ! En paraphrasant une célèbre chronique de Charlie Hebdo*, je n’ai pas vu 99F, mais n’y allez pas non plus ! Car sans avoir vu aucun film de Jan Kounen, j’ai une idée du genre de film qu’il réalise : inutilement violents, complaisants, très clip, très pubeux.
Mauvaise foi ? Pas vraiment. Si je vous conseille un groupe punk, The Exploited (au hasard), et que vous n’aimez pas le punk, vous aurez exactement la même réaction : pourquoi écouter un disque dont le genre vous répugne ? Je pourrais bien sûr laisser une chance à Jan Kounen, tenter de voir un de ses films. Non. Je sais que je n’aime pas les films de Jan Kounen. Alors où est la mauvaise foi ? Dans le critique de Libération qui va voir le film sachant à l’avance qu’il va le démolir, ou dans l’acceptation de cette subjectivité ?
Cette chronique ne parle pas aujourd’hui d’un film, mais bien de la nécessaire subjectivité qui préside à tout travail critique. Je veux lever ici l’illusion d’une prétendue neutralité bienveillante, du devoir d’objectivité face aux films, qui serait censé fonder théoriquement la critique de cinéma.
La critique n’est pas une science. Il n’y a pas de vrai, il n’y a pas de faux. Nous avons tous des goûts, forgé par une culture cinématographique depuis notre plus tendre enfance et qui construit aussi nos préjugés. Nous avons vu des films, nous savons ce que nous aimons et ce que nous n’aimons pas. (Si vous êtes ici, par exemple, c’est que nous n’êtes pas foncièrement opposés au cinéma américain.)
Pour être tout à fait honnête, j’apporte ma propre contradiction. J’avais classé David Fincher dans la poubelle « Jan Kounen/Jean-Pierre Jeunet/Ridley Scott » (la poubelle des gens qui n’ont rien à dire, mais beaucoup à montrer). Mais j’ai changé d’avis sur le bonhomme à la suite d’une mémorable soirée CineFast, soirée qui posa d’ailleurs la première pierre de cette œuvre de bienfaisance cinématographique. Sans révéler de secret initiatique, elle forgea aussi le principe des « conseils d’administration » CineFast : une soirée entre hommes, où un CineFaster inflige aux autres son film, à ses risques et périls. J’ai ainsi découvert Ozu et Fincher, mais pas changé d’avis sur le Assaut de Carpenter.
Faut-il donc combattre ses préjugés ? Sûrement un peu. Mais les combattre totalement est illusoire.
*en 1971, Charlie Hebdo chroniquait ainsi Orange Mécanique : « On l’a pas vu, mais c’est génial, courez-y ! »