Voilà une tentative étonnante. Un iranien, Mehran Tamadon, opposant au régime, et qui vit en France avec une française mais qui désespère de voir son pays coincé dans une théocratie absurde, essaye de convaincre quelques mollahs de discuter avec lui. De discuter de la religion, de la démocratie, du voile, bref, de la possibilité de « vivre ensemble », ce qui fait bien rire les trois religieux qui ont finalement accepté de passer un week-end avec lui.
Le film est passionnant, parce qu’il démontre la faiblesse de la démocratie (le moins pire de tous les systèmes) face à une théocratie sûre d’elle-même. Les mollahs ne sont pas les idiots obtus que l’on croit. Orateurs doués, ce sont des dialecticiens entraînés à prêcher et à imposer leurs idées. Et que disent-ils, ces mollahs ? Que cette République Islamique a été instaurée librement, démocratiquement par 95 % de la population… Il y a 34 ans. Ce que fait remarquer, malicieux, Tamadon, mais il n’arrive pas à porter son avantage plus loin. En tout cas, enchaînent ses contradicteurs, la minorité, c’est lui. Et la minorité doit respecter les règles édictées par la majorité.
La démocratie, on le voit, est ainsi prise à son propre piège. « Nous sommes restés une démocratie, les gens votent et ils veulent la loi religieuse : ce n’est pas nous qui leur imposons. »
Le moment clef du film, c’est quand Tamadon, très doucement, très gentiment, tente la métaphore de cette maison de weekend comme espace pour « vivre ensemble ». Deux mots qui sonnent soudain caricaturaux. « Imaginons la société comme cette maison ; dans vos chambres, chacun fait ce qu’il veut : moi je suis athée, vous vous pratiquez votre religion, pas de problème ! Mais dans cet espace commun qu’est le salon, chacun se doit de respecter les convictions de l’autre, ce doit donc être un espace laïc, sans religion. »
Le Mollah le plus âgé, le plus drôle et aussi le plus convaincant, le sèche aussitôt. « Tu as un jeune fils, non ? Si une femme nue s’installait ce salon, ne lui demanderais-tu pas d’aller se rhabiller ? » Tamadon acquiesce. « Alors pourquoi demandes-tu cela ? Pourquoi devrait-elle se plier à tes désirs ? Sur quelle base doit-elle renoncer à son propre désir ? Le dictateur, c’est toi ! »
Comme Michel Onfray, Tamadon oppose timidement des « valeurs communes » partagées par tous, qui viendraient de nulle part. Ce qu’il oublie (et que n’ont pas oublié ses détracteurs), c’est que ces valeurs sont le produit de deux mille ans de culture occidentale, grecque, romaine, chrétienne, et des Lumières. C’est-à-dire la lente métamorphose du christianisme en système démocratique, républicain, qui nous semble aussi évident aujourd’hui que l’eau et le pain. Et que nous cherchons à exporter depuis 1492 avec des succès divers.
Les mollahs, en face, savent ça évidemment. Et ne disent rien. Sauf à un moment, en lâchant cette phrase terrible. « Le christianisme, c’est une religion morte, ils ne se battent plus pour leurs valeurs ».
Tout est dit.