Il est difficile d’écrire quelque chose en ce moment, mais pourtant, comme nous le théorisons ici à longueur de web, le cinéma est partout, à commencer dans nos têtes.
Et il fausse notre jugement.
Chacun réagit comme il le peut aux « événements », comme on disait de la Guerre d’Algérie. Certains ont peur, ce n’est pas mon cas, aucune forfanterie là-dedans. J’ai peur sur une échelle, mais pas à la terrasse d’un café. Je ferais sûrement plus attention la prochaine fois au concert, en vérifiant qui est derrière moi, et où sont les portes de sortie. Mais sinon, on ne peut pas s’arrêter de vivre, ou vivre dans la peur.
Non, mon sentiment, c’est la tristesse, et la frustration. Une immense tristesse, et une immense frustration. Car face aux événements du Bataclan, c’est évidemment Die Hard qui tourne dans ma tête, et j’en suis convaincu, dans toutes les têtes.
« Comment la France va riposter« , titre ainsi, aujourd’hui, le Parisien.
Mais elle ne peut pas riposter, la France. Dans une guerre asymétrique, c’est toujours le faible qui gagne, symboliquement. Il nous fait du mal, et nous, on ne peut rien faire de plus que ce qu’on fait déjà : bombarder les camps jihadistes, surveiller, infiltrer et punir – bien au delà de la loi. Car on a dépassé, quoiqu’on en pense, les bienséances de la justice (interpellation, instruction, procès) depuis longtemps. Le RAID attaque et tue, et il a raison de le faire, parce qu’il n’y a plus de négociation.
Cette frustration, elle est naturelle, mais elle est aussi le fruit des images que nous infuse depuis des années le cinéma américain. Dans Die Hard, le Bataclan est pris en otage par des terroristes, mais John McLane est là. Oui, il a pris une balle, mais il se tient le ventre, saute sur un jihadiste, retourne l’arme contre lui, etc.
Cette frustration, que tout le monde ressent, c’est l’impossibilité de retourner cette situation à notre avantage dans la réalité. Cette horrible défaite, cette chimérique revanche. En un mot, comment infliger une douleur infinie à ces gens qui nous ont fait tant de mal, parce qu’à la fin, il n’est pas acceptable que ce soit Jeremy Irons qui gagne.
On voudrait tous avoir l’arme de John McLane, sa force physique, son courage, pour aller régler le problème nous même. Les frapper nous même, voir leurs voitures exploser sous nos grenades, les arrêter de nos propres poings, et jubiler de leur humiliation, comme à la fin de tout bon blockbuster.
Comme nous n’avons rien de tout cela, nous nous tournons vers le gouvernement pour qu’il nous apporte le réconfort de cette revanche. Et, évidemment, il nous l’offre, avec la bénédiction des médias. Il bombardera un camp, il arrêtera/tuera quelques terroristes, et notre fantasme de rétorsion sera assouvi. Mais notre fantasme seulement.
Car le fantasme est américain, mais la réalité est française. Nous ne vivons pas, malheureusement, dans Die Hard, mais dans Un Village Français.