Tout le monde peut se tromper. Après avoir dit que Spielberg allait rater son film, après l’avoir trouvé très bon, le Professore souhaite aujourd’hui simplement revenir sur le sujet. Ludovico n’ose pas dire chef-d’œuvre, mais il le pense. Peut-être parce que l’Homme de Mantes-la-Ville le lui a interdit. En 2015, à l’occasion d’une promenade aoûtienne sur les champs de bataille de la Guerre de Sécession, on a eu une brusque envie de revoir Lincoln. Et grâce à iTruc, Internet, et machin truc, c’est possible, même au fond de la Virginie Occidentale.
Et dès les premières minutes, on se dit que Spielberg n’a rien dans les poches : un biopic, des textes de loi, et pas d’enjeu très lisible. Comment faire un film dans ces conditions ? C’est là que Spielberg est à son meilleur – comme dans Jurassic Park 2.
L’homme d’Amistad va donc dramatiser tout ce qui lui passe sous sa main : un fils rétif, une femme malade, et beaucoup d’amis politiques qui ne sont pas d’accord avec vous.
Deux exemples du talent spielbergien à l’œuvre :
La décision :
Lincoln a un choix terrifiant à faire : faire la paix tout de suite (et éviter des milliers de morts supplémentaires), ou temporiser, le temps de faire adopter (par les seuls états du Nord) l’amendement qui supprimera l’esclavage. Lincoln est obligé de travailler dans l’ombre, car la paix semble si proche, et elle empêcherait à coup sûr la promulgation de ce fameux Treizième Amendement.
Là où un tâcheron aurait expédié ce processus de décision, sur fond de discours grandiloquent et de drapeaux américains flottant au vent, Spielberg temporise. Lincoln descend au cœur de la nuit, dans le bureau des télégraphistes (donnant au passage un petit rôle à Adam Driver). Il est temps de mettre fin à la guerre, leur dit-il et il rédige un mot à transmettre au Général Grant : qu’il amène à Washington les négociateurs sudistes ! Puis il reste à papoter avec les télégraphistes, et raconte, comme à son habitude, une petite histoire absconse dont il a le secret (ici, « choisit-on de naître où l’on nait et quand l’on nait ? » suivi du premier axiome d’Euclide). Le plus souvent, cette petite histoire sert à tirer une morale à l’attention de son interlocuteur. Mais ici, la morale va s’adresser à Abraham Lincoln lui-même. En discutant avec les télégraphistes, le Président a posé ses propres réflexions ; il change d’avis et annule l’ordre de Grant, repoussant d’autant toute perspective de paix, et repartant au combat pour l’abolition.
L’engagement du fils :
Deux minutes plus tard, idem. Plutôt que de décourager (par des dialogues) l’engagement militaire du fils Lincoln, Spielberg préfère d’abord exposer les horreurs de la guerre. Il fait suivre – à la Hitchcock – le trajet d’une brouette qui ruisselle de sang. Celle-ci ne va pas loin mais la scène dure suffisamment longtemps pour accrocher le spectateur. Et l’on comprend ce que charrie cette macabre charrette ; des bras et des jambes amputées, que l’on jette en terre. Le fils Lincoln (Joseph Gordon-Levitt), qui rêvait juste avant de partir à la guerre, essaie maintenant fiévreusement de se rouler une cigarette, sans y parvenir. Comme Indiana Jones et sa pomme, comme le président Adams et sa fleur, Spielberg préfère toujours la métaphore à une ligne de dialogue.
Comme d’habitude, Spielberg choisit d’abord le cinéma…
13 avril 2016 à 16 h 37
Bravo !
14 avril 2016 à 15 h 10
merci !
4 août 2018 à 8 h 43
C’est pas en 2015 que tu nous as fait visiter tous les hauts lieux de la guère de sécession, mais en 2014. Mais c’etait très bien tout de même. La professora.
4 août 2018 à 8 h 50
La guerre bien sûr, et non la guère… saleté de correcteur orthographique