S’il y a une grande injustice dans CineFast, c’est bien celle-là. 1347 chroniques au compteur et toujours rien sur le chef d’œuvre GCA de J. Lee Thompson*. Le film qui enchanta notre enfance, vu et revu à Dourdan avec le paternel. Le Professore allait peu au cinéma, mais tous les films de guerre, il les a vus.
Celui-là a une qualité plastique particulière, qui a durablement impressionné nos esprits et façonné nos jeux d’enfants. Nous dessinions Les Canons de Navaronne, nous avons lu le livre d’Alistair McLean, nous les rejouions avec nos Lüger à pétard et nos pains de plastic en pâte à modeler, nous en reconstituions les grandes scènes avec nos Action Joe et nos figurines Atlantic.
Car même si son argument est classique, Les Canons de Navarone est une GCA particulière. On y réunit un commando disparate et on lui confie la destruction de ces fameux canons, qui bloquent sur une île de la Mer Egée le passage de navires anglais. Cette bande mal assemblée (Antony Quinn veut tuer Gregory Peck dans la première scène) est la réussite initiale du film : le colonel vengeur (Anthony Quinn), le séduisant mais pourtant implacable capitaine Mallory (Gregory Peck), l’artificier couard et sarcastique (David Niven), le « Boucher » inquiétant, tueur au couteau (Stanley Baker), le Major anglais qui a une tête à se prendre une balle (et c’est ce qu’il va faire, Anthony Quayle) et le jeune et séduisant résistant grec (James Darren).
Dès le départ, la mission semble mal engagée, de par sa difficulté même, mais aussi par l’assemblage de ces personnalités encore plus violemment antagoniste que dans les autres films du genre (Les 12 salopards, Quand les Aigles attaquent, etc.) Mais, comme dans les autres films de genre, c’est évidemment l’adversité qui va unir l’équipe.
Or l’adversité de manque pas. Un contrôle de routine qui tourne au massacre, un accostage dantesque dans une crique aux récifs décharnés, qui va proposer la première Grande Scène du film, et l’inscrire dans le patrimoine cinématographique. Car cette scène de tempête, puis de naufrage, puis d’escalade, va être réalisée par J. Lee Thomson avec une grande économie de moyens, et sans le moindre dialogue. Seul le bruit des tonnes d’eau qui se déversent sur le pathétique bateau de pêche, celui du tonnerre et de la pluie qui ruisselle de la falaise, va servir de fond sonore.
Il y a là un souci de réalisme : impossible de se parler en pleine tempête, et interdiction de le faire pendant l’escalade, faute de surprendre les sentinelles allemandes. Mais d’autres films ont déjà emprunté ce chemin avec moins de subtilité. Ici, le spectateur est littéralement mis à la place de ces héros qu’il n’a pas encore commencé à aimer. Et le silence renforce cet effet, créant un huis clos paralysant, malgré des scènes en extérieurs.
Le film va se poursuivre avec quelques twists et d’autres rebondissements, plus traditionnels, mais on va retrouver ce motif à deux reprises ; une fête grecque où le silence s’impose soudain par l’arrivée de soldats allemands, et une dernière fois à la fin du film, le sabotage des canons, qui se fait également dans le plus grand silence. Quand les allemands pénètrent enfin dans la batterie des canons de Navarone, leurs dialogues en allemands, non traduits, non sous titrés, sonnent comme des bruitages, jusqu’au dénouement final. Dans ces trois cas, une merveille de cinéma.
Bien sûr, la fin de ces Canons est très conventionnelle. Mais il ne faut pas s’arrêter là.
Gregory Peck signe là un de ses plus grands rôles, courageux et ambigu, qui cache sous le James Bond en costume beurre frais du début une brute pragmatique, prête à tout pour réussir. Les autres sont évidemment des faire-valoir, mais le charme et l’originalité de cette proposition est toujours intacte.
* Auteur ensuite de GCA sixties : Les Nerfs à Vif, La Conquête de la Planète des Singes, La Bataille de la Planète des Singes, Allan Quatermain et les Mines du Roi Salomon…