Un tour à l’expo Picasso d’Helsinki (oui, je sais, ça pose son homme, mais il s’agit de la collection du musée Picasso de Paris, à votre disposition toute l’année…), cette expo m’a amené aux réflexions suivantes : où est le Picasso du cinéma ? Réponse : nulle part. Picasso est un génie, qui a non seulement guidé son art avec au moins dix ans d’avance sur ses contemporains, mais qui a aussi su se renouveler (période bleue, période rose, cubisme, surréalisme), et qui s’est en plus attaqué à d’autres arts avec succès : sculpture, céramique, etc.
Dans le cinéma, c’est tout bonnement impossible. Le 7ème art est un art collectif, et un art cher. Le réalisateur/producteur est un chef d’entreprise, à la manière des artistes de la renaissance,qui esquissent l’œuvre. Ensuite, l’équipe sculpte, fond le métal, retouche, recommence jusqu’à ce que Laurent le Magnifique ou Jack Warner soit satisfait.
D’où la liberté immense du peintre, ou de l’écrivain d’aujourd’hui ; leurs œuvres ne coûtent rien à fabriquer. Elles n’ont pas forcément une vocation commerciale, et si elles en ont, peuvent se contenter de peu. Les découvreurs de talents, dans ces arts-là, prennent peu de risques : l’éditeur, le galeriste investit peu ; une fois sur mille, il gagnera beaucoup : le docteur Gachet avec Van Gogh, Maurice Nadeau avec Houellebecq…
D’où la possibilité, la liberté totale d’expérimenter, de casser les propres frontières de son art. Comme William Burroughs réclamant la révolution surréaliste du roman (et la réalisant lui-même avec son Festin Nu), comme la peinture et ses multiples révolutions du XXème siècle, comme la musique et les expérimentations Stravinsko-Reicho-Boulezienne…
Au cinéma, point de tout cela. Les génies multicartes se comptent sur les doigts d’une main, et leurs révolutions ont souvent échoué, ou en tout cas, n’ont laissé que des traces minuscules (mais superbes) dans le paysage cinématographique : Orson Welles, Luis Bunuel, Jean-Luc Godard. Leurs révolutions ont tourné à la simple révolte, et n’ont pas fait école.
Au contraire, ceux qui restent sont les grands traditionalistes (Kubrick, Hitchcock, Spielberg, Truffaut, Scorcese). Leurs propres expérimentations restent coincées dans un coin de leur filmographie, souvenirs nostalgiques d’une époque révolue…