On continue de profiter de l’été pour visiter les cathédrales de la cinéphilie. Après Théorème, Persona. Ingmar Bergman. Là où Théorème est un immonde verbiage marxisto-catholique, Persona, qui charrie pourtant des obsessions semblables et est filmé à la même époque, se présente au contraire comme un diamant noir, un linceul blanc. Et c’est un noir intense à l’encre de Chine, c’est un blanc immaculé comme la mort. Au milieu, tout le reste est gris, c’est-à-dire nous, nos âmes troublées, nos imperfections d’insectoides humains.
Au-delà de la perfection graphique de chaque plan, Bergman ose tout ce qui est interdit au cinéma : le contrechamp sauvage, le zoom impromptu, la scène jouée deux fois d’affilée, les plans inserts abscons : une araignée, un cadavre, une bite…
Tout cet exercice expérimental serait assez vain, s’il n’était au service d’un propos. En l’occurrence, la crise existentielle que traversent la (ou les) protagonistes. A savoir, une actrice devenue subitement muette (Liv Ullmann) et son infirmière (Bibi Andersson), qui, forcément, parle pour deux.
Petit à petit, se noue une relation pour le moins ambiguë entre la patiente et l’infirmière. Une affection, une admiration, qui va tourner au quiproquo lesbien. Puis, au mitan du film, surgit une incroyable confession, qui fait basculer le film.
Tout le dispositif cinématographique bergmanien sert à exprimer cette intention ; l’ambiguïté des images questionne ce que le spectateur est réellement en train de regarder, et met littéralement le spectateur au centre de la folie rampante des personnages.
Le film se conclut également de manière abrupte, laissant le public à ses interrogations et à ses doutes.
L’impact de Persona fut immense ; on retrouve ses traces chez Altman (3 Femmes), Lynch (Mulholland Drive) et bien sûr, Woody Allen, qui vénèrait Bergman. Mais on peut aussi repérer des traces tardives, trente ans plus tard, dans le Kubrick d’Eyes Wide Shut : une confession semblable, celle de Kidman, fait basculer Cruise dans la folie.