Bienvenue au pays des mensonges, le royaume d’Asghar Farhadi. Rahim est en prison, et, selon la loi iranienne, ne peut pas sortir tant qu’il n’aura pas payé sa dette*. Il doit cet argent son beau-frère. Celui-ci, en apparence assez buté, ne veut pas qu’on lui rembourse un simple acompte.
Rahim doit alors se débrouiller, accumulant petits mensonges sur petits mensonges, qui mènent, comme on le sait, à la catastrophe. L’enfer chez Farhadi est pavé de bonnes intentions, de La Séparation jusqu’A propos d’Elly.
Mais c’est sur un nouveau terrain de chasse que le cinéaste iranien sort ses griffes : la médiatisation des bonnes actions par les organes de pouvoir (ici l’administration d’une prison, ou une association d’aide à la réinsertion), et le rôle dévastateur des réseaux sociaux, qui soufflent le chaud et le froid. Chacun se trouve bientôt piégé par les mensonges de l’autre, dans une surenchère de volonté affichée de bien faire, et de calculs politiques plus souterrains. La prison veut cacher ses problèmes, l’association s’est engagée un peu vite…
Mais comme d’habitude chez Farhadi, la vérité est ailleurs… Car comme d’habitude, chacun a ses raisons. Et comme d’habitude, Asghar Farhadi est le roi de cette horlogerie suisse qui marche à plein régime jusqu’à son dénouement tragique, car la tragédie – on le sait d’Eschyle à Hitchcock – c’est bien que le Héros fasse le contraire de ce qui lui serait le plus profitable.
Ici, justement, le héros au sourire si doux (Amir Jadidi, remarquable) laisse une drôle d’impression. Victime, forcément victime, d’un système qui l’entraine dans les abysses, Rahim affiche en permanence ce visage sympathique dont on finit par se demander s’il n’est pas une façade. Une métaphore de l’Iran Farhadien, qui révèle à chaque film plus d’ambiguïtés.
* Une mécanique déjà à l’œuvre dans Les Enfants de Belle Ville