jeudi 20 octobre 2022


Vive la crise !
posté par Professor Ludovico dans [ Le Professor a toujours quelque chose à dire... ]

En 1984, une émission d’Antenne2 fit grand bruit. Yves Montand, l’homme de gauche entre tous, aidait le pouvoir socialiste à faire passer la pilule du tournant de la rigueur, en animant une émission pédagogique sur le sujet. On reprend le titre, et l’intention, car il y a en ce moment une crise du cinéma français.

La semaine dernière, une table ronde organisée par France Inter opposait Nicole Garcia, réalisatrice, Jérôme Seydoux, tout-puissant président de Pathé, et Nathanaël Karmitz, président de Mk2. Chacun était dans son rôle : Garcia défenseure de la liberté fondamentale de la création, Seydoux promoteur d’un marketing « Avengers à la française » et Karmitz en avocat bayroutiste du En Même Temps.

De toute part – de Variety à Hollywood Reporter -, on demande l’avis du Professore. Etonnamment, le Ludovico se sent bien en peine de répondre, alors qu’il a beaucoup quelques idées sur l’utilisation des batteries de 155 CAESAR sur le saillant de Kherson.  

Mais voilà : crise il y a. Pour une fois, la réponse n’est pas évidente, entre la tentation américaine du tentpole, film événement qui tient le cirque du studio pour l’année (Batman, Jurassic World, Top Gun : Maverick…) et la posture habituelle de l’artiste mendiant des subsides à  l’État.

Jérôme Seydoux est évidemment dans le sillage Hollywoodien : événementialisons le cinéma, vendons des places plus chères, en offrant plus : des films spectacles, des innovations (3D, 4D, 5D, Odorama…), de la restauration, des services, etc. Malheureusement, rien n’est moins sûr dans cette industrie que de réussir un film événement. Buzz L’Eclair, basé sur une franchise en béton, vient d’en faire la démonstration…  Proposer un cinéma-évènement, ça veut dire aussi événementialiser les sorties ciné, et donc, quelque part, y aller moins, surtout si c’est plus cher. Le cinéma reste le seul loisir fédérateur des classes populaires, loin devant le foot, les concerts, etc. Les ados peuvent y aller et manger le McDo de rigueur, les retraités se faire leur toile une fois par semaine, etc. Pas sûr qu’un cinéma à 25 euros soit la solution…

De l’autre côté, la tentation d’un art mieux soutenu par l’Etat est une plaisanterie. Le cinéma français est déjà sous totale perfusion étatique, en se finançant sur les taxes du cinéma US. Il est normal que des films mauvais (français ou pas) ne marchent pas ! Aider encore plus les films, quelle que soit leur qualité, c’est vider bêtement le panier, déjà percé, de la culture. Que faire alors ?

Le cinéma, en réalité, a déjà connu des crises : le Krach de 29, d’abord, qui avait vidé les salles de son public populaire, aux Etats-Unis puis en France. La télé, dans les années 50, qui avait volé les thèmes basiques (love story, famille, enfants, …) et obligé Hollywood à réagir avec un cinéma à grand spectacle (Western, Peplum). Dans les années 80, la VHS, puis le DVD, avaient d’abord été une menace pour devenir une opportunité. Puis la TV par câble, HBO et les autres dans les années 90, avaient  remplacé la niaiserie des family values des grands réseaux (ABC, NBC, CBS) et permis à un public adulte de voir revenir les thèmes sérieux et matures sous formes de series ambitieuses (Oz, les Sopranos, Sex and the City…)

Les plateformes de streaming sont désormais le dernier défi, cumulant les avantages de précédents : un coût faible, un catalogue illimité, des séries pour tous les goûts, de l’enfant à l’adulte. Et surtout, le choix à portée d’un simple clic.

Pourtant, il n’y a pas de doute que le cinéma survive à cette nouvelle épreuve. Il reste le loisir populaire entre tous, et rien que pour cela, le cinéma continuera d’exister. Mais il doit forcément se réinventer.

Vive la crise !


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