Severance, c’est l’excellence américaine (artistique et technique) à son apex. Perfection du cadre, de la colorimétrie, du jeu (millimétrique), du scénario (rigoureux) : tout est en place pour le grand show.
Mais ce qui produit souvent des films froids comme la mort, propose là un (des) propos beaucoup plus fort(s) qu’à l’habitude. En décrivant des employés d’un futur proche dans une entreprise pas tout à fait comme les autres, Severance nous parle de nous, et du monde d’aujourd’hui.
Chez Lumon, en effet, on choisit des chiffres et on les dépose avec sa souris dans une sorte de corbeille. Pourquoi ? « C’est une chose mystérieuse… et passionnante » répond la boss (terrifiante Patricia Arquette), paraphrasant, cent ans après, Joseph Conrad à propos de la White Star Line*. Ce premier propos sur l’absurdité de certaines tâches du monde du travail font résonner une première fibre comique. D’autant que les bureaux de Lumon ressemblent fort aux cubicles d’IBM ou d’ailleurs, et que la doxa locale, issue du fondateur, Kier Eagan, fait l’objet d’un véritable culte. Tout cela ne manque pas de sel, sachant que la série est produite par Apple.
Là où Severance se corse, c’est que ce travail est top secret, au point que les employés s’engagent à subir une severance (dissociation) : une puce insérée dans leur cerveau divise les souvenirs en deux. Le salarié ne se rappelle plus ce qu’il fait au travail quand il est à la maison, ni ce qu’il a fait à la maison quand il est au travail. Deuxième ironie, quand on demande souvent au salarié de ne pas amener ses problèmes personnels au boulot.
Mais au moment où l’on se dit que Dan Erickson, le showrunner, ne va pas nous tenir en haleine pendant une saison, c’est là où la sauce se met à monter, enchainant les enjeux, les surprises, tout aussi inquiétantes que délirantes. Le tout maitrisé de manière impeccable, comme le décor : open space immaculé, couloirs blancs infinis, et soudain surgit le décor surprise, l’accessoire inattendu, le cast surprenant… Tout cela monte sans arrêt, comme la Planche des Belles Filles sur le Tour de France, nous laissant pantelants à l’arrivée de cette première saison.
Il s’agit maintenant d’enchainer une deuxième, et ça ne sera pas facile…
* « Une entreprise est un commerce, même si, à la manière dont parlent et se comportent ses représentants, on pourrait bien voir en eux des bienfaiteurs de l’humanité, mystérieusement engagés dans quelque noble et extraordinaire entreprise. », dans son reportage sur le procès du naufrage du Titanic pour The English Review.