David écarta le rideau de velours rouge et découvrit la pièce, dallée de noir et blanc et nimbée d’une musique douce. Esquissant quelques pas de danse, un nain élégamment vêtu s’approcha, et posa à David La Question :
– Iev at ed tiaf sa ut euq ec tseuq ?
– J’ai rêvé, répondit David en souriant…
– Alors, tu peux entrer.
***
Pourquoi la mort de David Lynch nous rend si triste ? Nous ne le connaissions pas. Il ne faisait pas partie de notre famille, ni de nos amis. Il avait l’air sympathique ; l’était-il vraiment ? On ne sait.
Mais voilà, c’est ça, le cinéma. Un virus, un parasite qui se niche dans notre lobe frontal, et devient une partie de notre âme. Ce n’est pas la disparition de David Lynch qui nous fait de la peine, c’est la perte des cellules lynchiennes qui s’incrustent dans notre cerveau depuis que nous sommes nés, c’est-à-dire depuis que nous sommes devenus cinéphiles.
Si cette chronique est si dure à écrire, c’est que nous sommes submergés de souvenirs. De la première émotion mélodramatique, à douze ans, avec Elephant Man, à la passion amoureuse pour les filles de Twin Peaks. De l’effroi quand apparaissent Frank Booth ou Bobby Peru (Blue Velvet/Sailor et Lula), ou de l’affection pour Alvin Straight, le grand-père d’Une Histoire Vraie. Et des rêves, des rêves à foison ; le ciel étoilé d’Elephant Man, le radiateur d’Eraserhead, les feux rouges de Twin Peaks, le ranch de Mulholland Drive, l’oreille coupée de Blue Velvet, le couloir sombre de Lost Highway, la main ensanglantée de Dune…
Hubert Reeves se trompait, nous ne sommes pas de la poussière d’étoiles, nous sommes des atomes de David Lynch.
Rares sont les cinéastes qui arrivent à la fois à nous émouvoir, nous effrayer, et nous faire rire. Kubrick est cérébral, Hitchcock, excitant, Spielberg, émouvant. Lynch est tout cela à la fois, car il délaisse l’efficacité de ses collègues au profit de la matérialisation de ses rêves, sans chercher à y réfléchir. C’est l’un des rares authentiques poètes du septième art. Même Dune, son film raté, honni, banni de sa cinématographie officielle, et dont tout le monde s’accorde à dire que c’est un mauvais film, a marqué l’imaginaire de tous ceux qu’ils l’ont vu, et reste un film culte…
Que dire de plus ?
Un seul mot. Silencio.