C’était le projet casse-gueule de l’année, un biopic sur Bob Dylan. L’oxymore totale pour le Ludovico : associer The Last American Poet Robert Zimmermann et notre Chouchou Chalamet au tâcheron James Mangold. Rappelons à toutes fins utiles, pour éduquer les foules (et au passage le Professorino, jeune dylanien en devenir), que Mangold n’a fait qu’un bon film dans sa vie : Copland.
Mais voilà, la magie du grand Bob entre en action. Si Dylan 1964 était un sale petit con, Dylan 2025 a plus le sens de l’humour que la plupart de ses collègues de la rock industry et leurs ayants-droits. Il a laissé faire ce film, pas franchement à sa gloire*. On verra donc toutes les saloperies devenues légendaires de la geste dylanienne, mais dont on n’était pas trop sûr qu’elles apparaitraient dans une potentielle hagiographie biopiquienne.
A Complete Unknown, c’est l’anti Parcours du Héros : les mensonges sur la biographie, le marchepied folk, les amours/largages opportunistes, l’ambition musicale, mais surtout l’ambition d’être libre, à tout prix. On croisera donc les personnages de cette grande saga, qui ne dure que quatre ans (1961-1965) mais qui reste la période la plus intéressante de Dylan. Comment un gars de Hibbing, Minnesota, fils d’un marchand d’électroménager, fan de rock’n’roll, a pu se transformer en faux hobo jongleur de cirque, chanteur folk, puis protest singer incendiaire en pleine crise des missiles de Cuba, pour finalement sortir de la chanson à texte et devenir… rien d’autre que lui-même.
Heureusement que Dylan est là. Car James Mangold, le cinéaste, lui, est absent. L’histoire ne sera racontée qu’au travers des chansons**. Aucun cinéma ne sera injecté dans ce film. Quand Pete Seeger, le mentor folk, découvre que l’élève va dépasser le maître, Mangold est incapable de laisser installer ce plan sur les yeux bleus, magnifiques et tristes, d’Edward Norton…*** La caméra devrait rester sur Seeger, sur cette émotion confuse qui le gagne, entre l’arrivée de ce qu’il désire si ardemment – la renaissance du folk – et l’avènement de quelque chose qui va le renverser, comme un tsunami.
A plusieurs reprises, on va ainsi vérifier ainsi que Mangold, n’est pas les frères Coen d’Inside Llewyn Davis. Sur les love stories, de Joan Baez à Suze Rotolo****, Mangold ne sait que faire…
Il faut dire, il est vrai, qu’il suffit de se laisser porter par son comédien-coproducteur, Chalamet, extraordinaire comme à son habitude. A vingt-neuf ans, le Tim a tout : la fragilité, la force, la colère, la douceur. Son interprétation – voix nasillarde et gestes méprisants – dépasse de loin la simple imitation du Bob… Comme une vieille veste de daim sur un portemanteau, le film est entièrement sur les épaules de l’acteur.
C’est le paradoxe A Complete Unknown, un film qu’on a adoré voir.
Et qu’on n’a pas spécialement envie de revoir.
*Bowie a refusé Velvet Goldmine et Stardust, les Stones avaient refusé… Stoned, et Bohemian Rhapsody a été entièrement validé par ce qui reste de Queen.
**Florilège :
Dylan largue une fille : « Go away from my window… »
Dylan quitte la scène folk : « It’s all over now baby blue »
Dylan s’en va : « so long, it’s been good to know you »
***Ce qui vérifie l’adage de Karl Ferenc : il n’y a pas de mauvais film avec Edward Norton, qui réalise peut-être ici sa plus grande performance. Bonne conscience de gauche, un peu benêt et dépassé par les évènements, mais qui tente de mettre tout le monde d’accord dans un monde qui explose.
****Rebaptisée Sylvie Russo à la demande expresse de Dylan, car selon lui « Suze n’avait pas demandé cette vie ». Elle est par ailleurs décédée…