samedi 25 février 2023
Babylon
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]
On le sait, l’enfer est pavé de bonnes intentions. On ne fera aucun procès à Damien Chazelle. C’est un fou de cinéma, de musique, et son dernier film déborde de cet amour…
Mais pourtant, il manque un producteur à Babylon, quelqu’un capable de dire à Chazelle que cette scène est trop longue, que celle-ci est en trop, que ce jeu hystérique chez tous les comédiens, le pipi, le caca, les prouts, ça ne va pas être supportable trois heures !
Babylon fait partie de ces films américains sous coke, où tout est hystérie : acteurs, musique, décors, mouvements de caméra… Mais ce n’est pas ça, le cinéma. Ce n’est pas un rock’n’roll de 2’30. C’est un récit, en deux heures.
Cette histoire a existé, tout est vrai. C’était Hollywood Babylon, l’Hollywood de l’Age d’Or des années 20, raconté par Kenneth Anger. Les tournages qui finissent en orgies, les filles qu’on viole puis qui disparaissent, la folie mégalomane des tournages. Tout est vrai dans Babylon, mais rien n’est crédible ; les personnages sont en carton. Même Margot Robbie, même Brad Pitt…
Pas une seule seconde, Damien Chazelle n’atteint le niveau de réussite de La La Land, qui raconte pourtant la même histoire : un couple qui veut réussir dans l’Usine à Rêves.
Il aurait fallu producteur à Babylon. Quelqu’un qui dise stop.
vendredi 24 février 2023
A Spy Among Friends
posté par Professor Ludovico dans [ Séries TV ]
A Spy Among Friends tente quelque chose d’extrêmement risqué : le biopic sur un sujet qui passionne le Professore Ludovico ; l’affaire Philby. Rappelons les faits : en 1951, on découvre que Burgess et McLean, deux espions britanniques sont en fait des agents doubles, qui s’enfuient aussitôt pour l’URSS. Leur ami Philby est accusé d’avoir laissé faire, voire pire : les avoir prévenus. Il se défend. Philby est isolé, placardisé, mais innocenté. Il quitte le MI6, devient journaliste à Beyrouth, mais la CIA ne le lâche pas. En 63, sous la pression, il rejoint lui aussi l’URSS. De la même manière, un de ses meilleurs amis, Nicolas Elliott, est accusé de l’avoir laissé partir.
A Spy Among Friends commence là, en suivant Elliott – le toujours très bon Damian Lewis* – et presque accessoirement, Philby (Guy Pearce**).
Là où la série fait très fort, c’est qu’elle ne s’intéresse pas à l’action mais bien aux souvenirs. Que s’est-il passé ces trente dernières années entre ces deux personnes ? A Spy Among Friends entremêle les flash-backs, de sorte qu’on ne sait plus où l’on est, ni quand l’on est. Interrogatoire à l’arrivée de Philby à Moscou (en 63), opérations en Autriche (en 38), dîner amical avec Angleton, futur patron de la CIA (en 41) : la série réussit l’exploit de nous faire entrer dans la tête des protagonistes, ce qui est la nature même de l’espionnage. Pas de coups de feu, pas d’échange sur un pont à Berlin, pas de parapluie empoisonné. A Spy Among Friends est un immense mindfuck.
Interprété avec une immense sensibilité, la minisérie révèle lentement sa grande intelligence, alors qu’elle peut paraître au début longue et confuse.
C’est la marque des grands.
jeudi 9 février 2023
Titanic : Homecoming
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]
Je ne sais pas si vous avez vu, mais les Croisières Cameron viennent de rétablir leur liaison Southampton-New York pour la modique somme de 15,90 €. Leur paquebot flambant neuf (4K, 3D, etc.), est à nouveau disponible dans les meilleures salles.
Pour ceux qui ont déjà fait la croisière, vous y retrouverez tous les ingrédients d’une croisière réussie : dîner aux chandelles avec le Capitaine, soirée dansante irlandaise, et baignade nocturne au large de Terre-Neuve.
Pour les rares qui n’ont pas encore essayé cette magnifique croisière, rappelons que les gilets de sauvetage ne sont pas fournis.
vendredi 6 janvier 2023
Tokyo Vice
posté par Professor Ludovico dans [ Séries TV ]
On peut tirer un très bon film (ou une bonne série) d’un assez mauvais livre. J’avais eu très envie de lire Tokyo Vice, la plongée du journaliste Jake Adelstein dans l’univers des yakusas, mais le livre avait laissé un goût d’inachevé et de confusion…
La série de J. T. Rogers, dramaturge américain qui fait ici ses premiers pas à Hollywood, réussit au contraire à construire une véritable histoire en repartant directement du narrateur. Le jeune Jake (fabuleux Ansel Elgort) a quitté pour des raisons mystérieuses son Missouri natal pour le Japon, avec un objectif : devenir journaliste. Ceux qui connaissent un peu l’Archipel savent à quel point il est difficile de s’intégrer, a fortiori d’y travailler. On suivra donc les pérégrinations, les erreurs, les rebuffades, les incompréhensions de Jake Adelstein dans les univers très ritualisés de la Presse, de la Police ou des yakusas, faits d’échanges d’information, de cadeaux qu’il faut – ou pas – accepter, de respect et d’auto-contrition. On y croisera des yakuzas tordus, et d‘autres respectueux de la tradition, des flics incorruptibles et des flics corruptibles, des journalistes consciencieux et d’autres beaucoup moins.
Ce qui fait le charme de Tokyo Vice, c’est ce qui fait le charme de Tokyo : cette proximité trompeuse avec l’Occident (même ville, mêmes voitures, même niveau de vie) et en même temps, le décalage absolu de l’âme japonaise. Tokyo Vice sent le Ramen et le Shabu-shabu à chaque plan.
Scénaristiquement, le show tient la route, avec sa galerie de personnages attachants (l’hôtesse de bar américaine (Rachel Keller), le flic à principe (Ken Watanabe), le jeune yakusa rétif (Shō Kasamatsu)), mais on retiendra la révélation Ansel Elgort*, acteur principal et producteur de Tokyo Vice, dont le visage, à la fois solaire et tourmenté, illumine la série.
* vu ailleurs, mais pas par nous : Divergente, Baby Driver, et le West Side Story de Spielberg
samedi 31 décembre 2022
Falcon Lake
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]
À vrai dire, on a jamais vu ça.
Falcon Lake nous avait jusque-là énormément séduit, en nous serrant lentement et tendrement dans ses bras, avec son histoire de coming of age pleine de charme. Tiré du déjà excellent roman graphique Une Sœur de Bastien Vivès, le film déroulait à la perfection l’histoire de Bastien, 13 ans, « bientôt 14 » en vacances au Québec, qui rencontre une fille bien plus âgée que lui (17 ans !), rencontre qui le transformera pour toujours…
Ce n’est pas l’originalité du propos qui vous emmènera voir Falcon Lake. Ce genre de film existe par douzaines. Mais Le Bon joue avec les clichés de la chronique du passage à l’âge adulte, en y ajoutant ses propres variations (histoires de fantômes, défis, lac mystérieux…)
Mais pour ce genre rabâché, il faut des bons comédiens. Le Bon a ici deux comédiens tout simplement fabuleux, en absolu état de grâce. Débutants, forcément débutants, Joseph Engel et Sara Montpetit amènent toute leur innocence et leur sincérité. Et transforment le très bon film en chef d’œuvre instantané…
À la fin du film, personne n’a bougé. Silence absolu dans la salle… Pas de téléphone qui se rallume, pas de spectateur qui rassemble ses vêtements… Certains spectateurs sont en larmes, dont le Professore. D’autres se tiennent la main. Personne ne se lèvera avant la toute fin du générique… Charlotte Le Bon vient de nous poignarder en plein cœur.
Là où ça fait du bien.
mardi 27 décembre 2022
The White Lotus
posté par Professor Ludovico dans [ Séries TV ]
Si on cherche un point de vue inratable sur la décadence de l’Occident en général, et celle de l’Amérique en particulier, il suffit de se plonger dans l’eau à 25°C des plages hawaïennes de White Lotus, le nouveau home run que nous a concocté HBO. Six heures bien serrées, thèse/antithèse/synthèse via le parti-pris – pour le moins étonnant – d’une tranche de vie de touristes friqués dans un hôtel de luxe hawaïen : The White Lotus.
On y suit, un peu comme dans Downton Abbey, les riches (les clients) et les pauvres, (le personnel)… Pas un pour rattraper l’autre ! La plus belle brochette de connards que l’industrie hôtelière du Pacifique Est ait jamais connue…
Venez découvrir les déboires d’une famille complètement dysfonctionnelle, pilotée par notre chouchoute MILF Connie Britton (dans peut-être le rôle le plus méchant de sa carrière*), en CEO de la tech/Mère absente d’un foyer complètement déjanté. Dans le sens strict du terme : roulant sur la jante. Mais aussi un couple de jeunes mariés en voyage de noces, qui selon la célèbre formule du Dr Guigui, « sont déjà malheureux mais ne le savent pas encore » …) et enfin une sexagénaire foldingue (Jennifer Coolidge**), pétée de fric, venue disperser les cendres de sa mère, mais surtout se disperser elle-même.
Vous avez déjà rencontré, dans la vraie vie, ce genre de personnes, véritables trous noirs d’égocentrisme. Des gens dont l’ego est tellement dense, tellement lourd, qu’ils cherchent à attirer vers eux toute la lumière environnante. Quiconque s’en approche est immédiatement détruit. Et bien évidemment rien ne sort de ce puits sans fond. Mais le coup de génie de The White Lotus est de faire une série avec uniquement des protagonistes-trous noirs…
On ne sait pas très bien d’où viennent les créateurs de The White Lotus***, mais en tout cas il ne faut pas rater cette charge destroy sur l’Amérique (et qui vaut pour l’Europe, dans une moindre mesure), ses boomers égocentriques dépassés et ses millenials wokistes à géométrie variable.
« Devant la férocité de ce spectacle, le peuple en resta à la fois satisfait, et stupéfait », comme aurait dit l’auteur du Prince.
* Spin City, The West Wing, Friday Night Lights, 24, American Horror Story, American Crime Story, relire Cinefast, please…
** Inventeure du terme MILF, dans American Pie (information courtesy Professorinette)
*** Mike White est le scénariste du Monde secret des Emojis et de Pitch Perfect 3 : WTF ?
samedi 24 décembre 2022
Jackie Brown
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -
Les films -
Les gens -
Pour en finir avec ... ]
On sait ce qu’on pense ici de la filmographie de Quentin Tarantino. On peut néanmoins la résumer en quelques mots, pour les newbies. Quentin Tarantino refait, pour des millions de dollars, des films qui en ont couté quelques centaines de milliers. QT est probablement le plus grand cinéphile de tous les temps, mais il ne fait que recopier, avec un immense talent, les films de série B. qu’il a aimés. Par ailleurs, son cinéma n’a rien à dire. Combien de fois faudra-t-il le répéter : une œuvre d’art est là pour dire quelque chose : même Flashdance, même Doctor Strange in the Multiverse of Madness, même La Grande Vadrouille… Au contraire, le cinéma de QT est creux, il ne dit rien d’autre que les rêves de gamin de Tarantino, Quentin : un cinéma fait par un enfant, avec ses jouets fétiches : voitures, Cowboys et Indiens, Gendarmes et Voleurs.
Mais de cette filmographie minimaliste émerge, un film, un seul : Jackie Brown. Comme par hasard, le seul film qui n’est pas un scénario original de QT. Le seul film tiré d’un livre (Punch Creole, d’Elmore Leonard). Un livre. Un livre, ce jouet des adultes.
La période des fêtes est souvent l’occasion de revoir les vieux films. Jackie Brown n’a pas vieilli, il a même embelli. D’abord, on a rarement vu autant d’amour projeté sur une actrice à l’écran. Quentin Tarantino est fou de Pam Grier, et ça se voit. Il colle littéralement à son visage, et ne se lasse jamais de la filmer. Cela pourrait être une embarrassante démarche voyeuriste à la Hitchcock, une pure pulsion sexuelle, mais Jackie Brown est beaucoup plus. C’est George Cukor qui filme Audrey Hepburn dans Sylvia Scarlett, Vadim qui filme Bardot, Carax qui filme Binoche. Pour la première – et la dernière – fois de sa carrière, Tarantino a de l’empathie pour son personnage, et évidemment, ça en crée pour le spectateur. Pas pour n’importe qui, pas pour une blonde aux jambes de 2,50 m qu’il affectionne (Uma Thurman, Margot Robbie …) Non, pour une femme fatiguée, humiliée, qui sait que le meilleur est derrière elle. Cette femme c’est Jackie Brown, mais c’est aussi Pam Grier. En 1997, Grier a quarante-huit ans, elle sort d’un cancer, et n’a tourné que des navets mettant en avant sa poitrine. Elle est au bout de sa – toute petite – carrière. Ça tombe bien, Jackie Brown aussi. Elle a déjà fait de la prison pour son ex-mari et travaille comme hôtesse de l’air sur une compagnie merdique. Elle est harcelée par deux flics débiles (dont Michael Keaton, génial) qui se servent d’elle pour faire tomber un marchand d’armes minable, Ordell Robbie (Samuel L. Jackson). Ordell est un idiot, mais un idiot dangereux ; il vient de tuer de sang-froid un type qui pouvait le balancer. Comment va-t-elle sortir ? Comment va-t-elle embobiner tout le monde, flics et voyous ?
Arrive l’autre personnage attachant du film, interprété par Robert Forster dans son plus grand rôle : Max Cherry, chargé de caution quinqua à la ramasse, mais avec un sens inné de la décence et de la justice. Max tombe instantanément fou d’elle, comme le spectateur : au cinéma, ça s’appelle un point de vue.
C’est dans Jackie Brown qu’on voit à quel point le talent de Quentin Tarantino est gâché dans ses autres films. Il a ici un personnage de femme forte. Et c’est ce qu’il filme, précisément. Il ne filmera jamais la plastique, pourtant spectaculaire, de Grier, mais uniquement son visage, son sourire mystérieux, son profil de pharaonne. Il filme le cerveau d’une reine…
Il a un propos : qu’est-ce que la vie nous fait ? Et en particulier, qu’est-ce que la vie, qu’est-ce que les hommes, font aux femmes ? Et Tarantino va tenir ça pendant 2h27 dans un polar crispé, alors que trois malheureux coups de feu seront tirés, on ne verra même pas de sang. La tension dramatique est uniquement transmise par ses fantastiques acteurs, ses dialogues brillants, ce qui, reconnaissons-le, est toujours formidable chez Tarantino. Samuel L. Jackson, tendu comme jamais, De Niro à contre-emploi en nounours pataud, Bridget Fonda en surfeuse blonde énervante dans tous les sens du terme…
Et Tarantino se permet même un fin douce-amère, une rareté chez lui. Une histoire d’amour qui finit mal entre Jackie et Max, dans une dernière scène sublime.
Il faut voir Pam Grier, au bord des larmes, chantonnant du bout des lèvres Across 110th street…. Puis esquissant, quand même, parce que la vie continue, ce léger sourire en coin…
“Been down so long, getting up didn’t cross my mind
But I knew there was a better way of life, and I was just trying to find…”
mercredi 21 décembre 2022
Indiscrétions (The Philadelphia Story)
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -
Les films ]
Indiscrétions était l’un des derniers chefs-d’œuvre de George Cukor qui manquait à la collection du Professore, donc merci OCS ! Réputé être LE parangon de la comédie de remariage (où un couple séparé finit par se remarier) on se jette doublement dessus. Evidemment, chef d’œuvre en vue : Cukor et sa muse Katharine Hepburn, Cary Grant, James Stewart, et des seconds rôles pas mauvais non plus (Ruth Hussey (la photographe) et Virginia Weidler (la petite sœur))…
Indiscrétions, c’est Hollywood 1940, c’est à dire à son sommet : dialogues en dentelle, méchants et plein de sous-entendus pour se jouer du code Hays, rythme effréné mais totalement maitrisé, casting parfait, et en état de grâce…
L’intrigue elle-même est raffinée, elle suit une pièce de 1938 qui relança la carrière de Katherien Hepburn. Tracy Lord, riche heritière de la Phildadelphia Main Line, la haute bourgeoise locale, s’est séparée il y a deux ans déjà de C. K., son playboy de mari (Cary Grant). Nous sommes à la veille de son remariage avec George Kittredge, un homme du peuple qui a réussi et veut briller en politique. Mais ce mariage haut de gamme intéresse au plus haut point Spy (le Closer local) qui dépêche un couple de journalistes mal assorti : l’écrivain raté Macaulay Connor (James Stewart) et Liz Imbrie, une photographe sarcastique et fataliste (Ruth Hussey).
Car l’ex-mari a décidé de se venger en donnant accès à ce mariage au magazine Spy. Il a en effet un moyen de pression sur son ex-belle famille : la preuve que le père s’amuse avec une danseuse, en Europe.
Voilà toute une meute de chiens dans un jeu de quilles pas tout à fait stable : Tracy veut-elle vraiment épouser Kittredge ? C. K. était-il un si horrible mari ? Et Tracy, une épouse exemplaire ? Se marie-t-elle pour donner une leçon au père défaillant ?
Cela va donner lieu à de nombreux quiproquos et surtout à d’innombrables combinaisons amoureuses entre les protagonistes… Mais surtout, et c’est toute la profondeur – et la force – du film, à une prise de conscience de chacun. Pourquoi est-on réellement aimé ? Pour notre argent ? Notre beauté ? Notre statut social, et les opportunités, le confort qui en découlent ? Existe-t-il d’ailleurs un amour véritable ? C’est la question que pose Indiscrétions, tout à la fois comédie romantique et charge féroce, portée par les meilleurs acteurs, et l’un des plus grands réalisateurs, de cette génération…
mardi 20 décembre 2022
Le 7ème continent
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -
Les films ]
Bienvenue – si l’on peut dire – dans l’univers glacial de Michael Haneke, l’homme qui a hérité de la Chaire d’Entomologie Stanley Kubrick. Dans ce premier film, qui fut à l’origine un téléfilm refusé par la télévision autrichienne, tout le talent clinique de Haneke est déjà là.
Description robotique de la vie quotidienne en Occident – métro-boulot-nettoyage auto – on suit la vie d’un jeune couple qui a l’air normal et heureux… Le mari en pleine ascension professionnelle, la femme ophtalmologiste qui travaille avec son frère et une petite fille charmante, mais qui un jour, simule l’aveuglement en classe.
Une fille d’ophtalmologiste ? L’aveuglement ? Les Hanekiens savent à quoi s’en tenir : la catastrophe est en route. On ne déflorera pas la suite (atroce, comme d’habitude) parce que le talent de l’autrichien est toujours de filmer ce que William Burroughs aurait appelé le festin nu, c’est à dire la réalité toute crue. Ici, l’implosion, l’effondrement, est rendu d’autant plus abominable qu’il est lent, inexpliqué, et calculé. Aucune explication psychologique ne viendra sauver le spectateur, lui fournir un quelconque exutoire. Haneke filme tout, de manière répétitive. Cela pourrait être gênant, pénible ou tout simplement chiant. C’est justement pour cela que l’autrichien insiste. Là où les cinéastes traditionnels caressent les spectateurs, Haneke les prend par le col, leur brise les cotes, et leur plonge la tête dans la boue glacée en les obligeant à rester les yeux ouverts.
On peut vouloir ne pas être brutalisé au cinéma, mais c’est rater quelque chose, car seul Haneke a cette franchise-là…
lundi 19 décembre 2022
Titanic au Qatar, Hamlet à Doha
posté par Professor Ludovico dans [ Le Professor a toujours quelque chose à dire... -
Les gens ]
Tandis qu’Avatar : La Voie de l’Eau est en ce moment sur les écrans, le seul chef d’œuvre de James Cameron se jouait hier au Stade de Lusail : la finale de la Coupe du Monde 2022. Après que le boa constrictor argentin ait étouffé nos Bleus pendant tout le match, la magie de la dramaturgie footballistique prenait enfin son envol. Le football n’est pas une science exacte, domination et possession ne valent pas score.
Après quatre-vingt minutes de dictature, les argentins faisaient une erreur, une seule ! et offrait un penalty à Mbappé qui n’en demandait pas tant… Et qui, selon la logique vicieuse du football, entraînait un deuxième but, car la panique s’était installée dans la pampa… C’était la remontada.
La France aurait pu (du) tuer le match ce moment-là, elle serait aujourd’hui championne du monde, mais le football est un trop beau spectacle pour se contenir dans ces clichés étroits. Prolongation, nouveau but de Messi. Nouveau penalty de Mbappé. Qui écrit un tel scénario, à part les James Cameron du football ?
Mbappé et Messi étaient sur la même planche, mais il n’y a pas de place pour deux : le plus grand drame sportif du XXIe siècle était en place, tout serait décidé au hasard, ou plutôt dans cet incroyable rendez-vous avec soi-même que sont les tirs au but. La fin fut sublime. Le roi Messi gagna. L’héritier Kylian perdit.
Commença alors une autre pièce, un autre blockbuster, signé Shakespeare. Le jeune Hamlet Mbappé ne veut plus vivre. Devant une telle malignité de fortune (perdre en inscrivant un triplé), être ou ne pas être : telle est la question. A l’aube de de son vingt-quatrième anniversaire, le futur Roi du Monde ne peut comprendre que cette défaite le rendra beaucoup plus fort. Il ne peut, à lui seul, être le sauveur de la Nation. Mais la leçon est amère. Pour le moment, il n’est que douleur… Il y a quelque chose de pourri dans l’émirat du Qatar… On veut mourir, dormir, rêver peut-être…
Mais le football est cruel ; il honore les gagnants mais veut aussi humilier les perdants. Médailles en chocolat, discours interminables… Survient Claudius-Macron, le roi des Francs… Pour la première fois, le Président réussit à nous attendrir. Peut-être parce que son masque de porcelaine est exceptionnellement tombé, et que l’on voit enfin un amour authentique du football, et une sincère déception. Macron relève le Petit Prince du football, le réconforte, et l’encourage à aller chercher son horrible trophée (un soulier doré Adidas de meilleur buteur), en passant, sublime image, devant cette coupe qu’il désirait tant. Un simple regard, l’œil vide, une photo de groupe…
Bonne nuit, doux prince…