mercredi 18 mai 2022


Twin Peaks, pilote : démons et merveilles
posté par Professor Ludovico dans [ Le Professor a toujours quelque chose à dire... -Séries TV ]

Dès qu’on peut, on revient à Twin Peaks, manger une tarte aux cerises, boire un petit café et se promener au milieu des pins Douglas. On avait un quart d’heure, on a regardé le pilote. LE Pilote, le chef-d’œuvre de pilote, qui devrait servir de manuel dans toutes les écoles de télévision, ce qui est probablement le cas.

Premier plan : une très belle femme, eurasienne, qui se maquille dans son miroir. Rêveuse et triste. Triste parce que ça se voit, triste parce que résonne déjà le Laura Palmer’s Theme. La suite mélodramatique d’Angelo Badalamenti irriguera désormais la série, et nos cerveaux. Cette femme, c’est Josie Packard. Son rôle est mineur, mais en dix secondes, elle incarne l’ambiance Twin Peaks : amour, beauté, tristesse.

Plan suivant, moins glamour : un retraité embrasse sa femme et part à la pêche. Il a l’air concon, elle fait la gueule. Elle, c’est Catherine Martell ; en un plan on a découvert le bon gars et sa salope de femme.

Trente secondes plus tard, le bon gars découvre une fille dans un sac plastique et court appeler la police. « Elle est morte », dit-il, ce qui n’est pas innocent. D’aucuns auraient dit : il y a une femme morte dans un sac plastique. Mais en utilisant précisément ces mots, Lynch et Frost jettent le doute, et insinuent que Pete Martell, le bon gars, sait déjà qui est dans ce sac. Les showrunners lancent alors un rodéo qui va durer deux ans et changer la télévision pour toujours : qui a tué Laura Palmer ?

Le téléphone sonne au Commissariat deux minutes plus tard et brise déjà l’ambiance dramatique. La standardiste explique au shérif Truman – longuement, très longuement – quel téléphone il faut décrocher. Bing, un gag. Ce brutal changement de température va se retrouver de nombreuses fois, parfois à l’intérieur de la même scène, et va même devenir la signature du show. Dans Twin Peaks, on rit et on pleure, on s’émerveille et on est terrifiés.

On découvre alors le visage – une image qui va devenir iconique – et l’identité de la morte. Le spectateur comprend que Laura Palmer est une personne connue, et aimée de cette communauté. Mais Lynch va prendre le temps de l’expliquer. C’est La Grande Scène.  

Une pure merveille, une démonstration cinématographique, sans esbrouffe. Des couloirs vides. Des champs/contrechamps. Tout le dispositif mise sur les comédiens, jeunes mais extraordinaires. Bobby, le boyfriend infidèle et donc suspect. Donna, la meilleure amie. James, le motard rebelle. La prof, qui retient ses larmes, car l’information n’est pas encore annoncée. La jolie fille, qui sourit méchamment – on aura indiqué son statut de Teen Bitch par un simple changement de chaussures. Une anonyme, qui court en hurlant, annonçant la catastrophe.

Lynch revient alors au verbal : le discours du directeur, – mi dramatique, mi involontairement comique, à l’image du ton qui s’installe – vient dire, avec des mots, ce que les mots sont incapables de dire : la perte immense que représente une adolescente assassinée, et ce que représente Laura Palmer pour Twin Peaks.

Pour appuyer son propos, Lynch termine son premier travelling dans les couloirs vides sur une deuxième image iconique : la photo de Laura Palmer en Reine du Collège, parfaite incarnation du Rêve Américain.

Avant que la suite ne nous en fasse découvrir les atroces et ténébreux souterrains…




mercredi 18 mai 2022


OSS 117 Alerte Rouge en Afrique Noire
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -Les films ]

Ça ne marche pas. Ou plutôt, ça ne marche plus. Les gags sont les mêmes, les situations aussi. Giscard et Mitterrand remplacent René Coty. Il y a a apriori autant de matière à gag que les années 50. Pierre Niney apporte du renouveau en challenger de OSS 117. Mais cette mécanique, autrefois si novatrice, si surprenante, est maintenant usée. On prévoit les gags à l’avance. Et puis il y a un problème de rythme, tout cela est un peu long.

L’humour, ce n’est vraiment pas facile.




dimanche 15 mai 2022


Microcosmos
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -Documentaire -Les films ]

Ça nous apprendra à être snob. Il y a un quart de siècle, nous avions raté Microcosmos, lui préférant 1001 Pattes. Nous aimions Pixar, à l’époque. Aujourd’hui, Microcosmos passe sur OCS, et on découvre tardivement le chef-d’œuvre. 1h15 de perfection, non seulement technique (avec ses caméras révolutionnaires et ses studios reconstituées en pleine nature), mais aussi chef-d’œuvre du cinéma.

Car sans le moindre dialogue (à part une courte introduction de Jacques Perrin himself) Microcosmos raconte des histoires, uniquement par le montage. On doute qu’il ait été possible de donner des indications très précises aux comédiens, des Chenilles processionnaires à l’araignée Argyronète…

Mais par la simple mise en scène, Claude Nuridsany et Marie Pérennou arrivent à nous émouvoir sur le sort de ces insectes, devenus personnages. La Coccinelle à Sept Points va-t-elle tomber de la feuille ? Qui l’emportera dans le duel à mort des Lucanes Cerfs-Volants ? Dans ce monde minuscule, où chaque goute d’eau ressemble à un obus qui explose, où l’eau est pâteuse comme de la gelée, nous sommes transportés sur une autre planète, tout en ressentant des émotions similaires…

Nous qui partageons – phobie commune – le dégoût absolu des insectes, nous sortons de Microcosmos prêts à nous engager dans la préservation de la biosphère. Car en les filmant de si près, dans le silence le plus absolu*, Microcosmos ne montre rien d’autre que la beauté du monde.

Show, don’t tell.     

*et la musique de Bruno Coulais




vendredi 6 mai 2022


Val
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -Documentaire -Hollywood Gossip -Les gens ]

Il y a des acteurs qui sont comme des frères. Ils ont notre âge : comme nous, ils ont fait des bêtises à vingt ans, se sont mariés à trente et ont eu des enfants en même temps que nous.

Un frère, c’est ce qu’on ressent quand Val Kilmer, qu’on avait perdu de vue depuis les années 2000 (Déjà Vu), décide de nous donner de ses nouvelles dans Val, son extraordinaire – et terriblement émouvante – autobiographie filmée.

Le voilà, méconnaissable : la soixantaine, bouffi, mal rasé, habillé comme sorcière Navajo, les bras chargés de bijoux. Il s’exprime difficilement, au travers d’un implant phonatoire : il sort d’un cancer de la gorge et vit avec une trachéotomie. On est loin d’Iceman, le beau gosse aux dents blanches et au torse imberbe.

L’acteur raconte son histoire, depuis le début, car oui, nous sommes dans la génération où tout a été filmé, de la naissance à la mort. Son enfance, sa jeunesse et sa vie d’adulte, illustrés de milliers de photos, super8, VHS … On découvre un jeune acteur avant la célébrité, élève de la prestigieuse Julliard School. Un fou de théâtre, qui essaie de percer mais voilà, Hollywood le rattrape… Top Secret, Top Gun (qu’il est obligé d’accepter par contrat !) Willow, The Doors…

Il accepte ensuite Batman Forever, le héros de son enfance. Un rôle qui le rend immensément riche, et intensément malheureux. Il pense être le héros du film, mais les rôles excitants sont ceux des Vilains : Jim Carrey (le Sphinx), Tommy Lee Jones (Double-Face). Au contraire, Kilmer passe des journées épuisantes dans son costume, a du mal à respirer sous le masque, n’entend personne, et comprend vite qu’il n’a qu’à se placer à l’endroit indiqué et débiter son texte. Pour quelques millions de dollars, on n’attend rien de plus de la star. Lui qui s’est plongé jadis dans la Méthode, le tournage est un supplice sans fin. Dès le tournage terminé, il se jette immédiatement dans Heat, « un film indé, comparé à Batman… »

Mais contrairement à d’autres, il n’a pas l’audace de se plaindre. « J’ai eu une belle vie », dit-il. Tombé amoureux de la magnifique Joanne Whalley (Willow, Kill Me Again, Troubles, Storyville), il l’épouse, lui fait deux enfants, achète un ranch au Nouveau Mexique. Et puis ils divorcent, comme tout le monde…

Toujours proche de ses enfants (c’est son fils qui enregistre la voix off à la place de son père), il est obligé de vendre son ranch pour payer ses dettes, cachetonne dans des films Direct to Video, monte un one-man-show sur Mark Twain, et découvre son cancer… et puis, comme tout un chacun, essaie de continuer à vivre.

« N’abandonnez pas vos illusions… Si elles disparaissent, vous existez, mais vous cessez de vivre » conclut-il, déguisé avec son fils en Batman d’opérette : le Batman de son enfance.




mardi 3 mai 2022


Pusher I, II, III
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -Les films ]

On comprend ce qui a plu dans Pusher, quand le film est sorti en 1996 : un ton rough à la Mean Streets, une image foutraque, et cette approche vériste du trafic de drogue. Des caméras portées, avec toutes les longueurs que ça suppose : on attend l’argent, on attend la drogue, tandis que les personnages roulent leur bosse, de catastrophe en catastrophe.

On peut y voir également les premières obsessions de Nicolas Winding Refn : une approche graphique très forte, les néons, la couleur, le temps qui s’étire, inexorable, vers la tragédie. Obsessions que l’on va retrouver dans ses autres films, mais avec une perfection de papier glacé.

Mais aussi, une forme d’intelligence marketing : exploiter le filon jusqu’à la lie, mais en trouvant à chaque fois un personnage et un angle différent. Et toujours une fin désabusée, européenne, qui sublime le film de genre.

Mais aujourd’hui ces films sont lents, et tout juste distrayants…

Ce qui est déjà pas si mal.




dimanche 1 mai 2022


L’Origine du Monde
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -Les films ]

Ça fait du bien, un film qui ose. Qui sort des sentiers battus du vérisme social, du feelgood movie, de la tragédie édifiante. En évitant de la vulgarité, malgré le propos. Mieux, le premier film de Laurent Lafitte se la joue modeste, pourtant il fait cinéma.

Lafitte, dans le rôle principal, est un quadra aisé, mais son cœur s’est arrêté de battre. Il n’est pas mort, non, mais son cœur est aux abonnés absents. Sur les conseils de sa femme (Karin Viard), il va voir une psychanalyste/gourou (l’excellente Nicole Garcia) qui lui adjure d’apaiser Karunga, le serpent qui a emprisonné son cœur. Pour cela, il lui faut une photo… du vagin de sa mère : l’origine du monde.

Lafitte se met en tête de convaincre sa mère, qu’il n’a pas vu depuis des années, avec l’aide de sa femme et de son meilleur ami (Vincent Macaigne, méconnaissable en vétérinaire versaillais).

La force du film, c’est évidemment ce propos absurde à l’humour très British. Mais on ne fait pas un grand film avec seulement une bonne idée. Tout suinte le cinéma dans L’Origine du Monde : la finesse du cadrage, les décors, particulièrement réussis, et le casting tout simplement parfait. Lafitte est drôle mais inquiétant, Karin Viard a l’air stupide mais elle est manipulatrice, et les monstres ne sont pas ceux que l’on croit.

Par ailleurs, le film recèle un sous-texte passionnant sur les peurs masculines, sur notre angoisse des origines, et ce lieu magique et effrayant, où l’on ne cesse de vouloir retourner.




mardi 26 avril 2022


Et Moi, et Moix, Emois… part deux, le(s) séquel(les)
posté par Professor Ludovico dans [ Hollywood Gossip -Le Professor a toujours quelque chose à dire... -Les gens -Pour en finir avec ... ]

Le petit mythomane victimaire a encore frappé. Après Orléans (sévices familiaux), après Reims (école de commerce), Yann Moix raconte son service militaire dans Verdun. Le Professore Ludovico s’intéresse très peu à l’auteur imputrescible de Podium, mais beaucoup à la créature médiatique et son biotope.

Mais là, impossible de laisser passer. Le jeune Moix a fait son service à l’Ecole d’Application d’Artillerie puis au 3ème Régiment d’Artillerie de Marine, à Verdun. Pas de chance, l’aspirant Ludovico est aussi artilleur : il a fait ses classes à l’EAA à la même période (1987), puis au 3ème Régiment d’Hélicoptères de Combat à Etain (20,5 km de Verdun)*. On allait voir ce qu’on allait voir.

On a vu.

Passons rapidement sur la forme : Moix se prend pour Péguy, mais n’est pas écrivain qui veut. Son style est ampoulé, verbeux ; rien de pire que quelqu’un prétend jouer la Ligue des Champions alors qu’il est remplaçant en National**.

Passons rapidement sur le fond : ce livre est – à nouveau –  l’inventaire des haines recuites de Yann Moix. Qui ne rencontre à l’armée que des nuls, des misérables, des loqueteux, et qui ne lie aucune amitié, ce qui est assez symptomatique. Car quel que soit votre expérience du Service National, vous avez toujours un copain de régiment qui traine, un souvenir cocasse, deux gars qui s’entraident, ou un adjudant sympa. Mais chez Moix, l’enfer, c’est les autres.*** Mépris pour les prolos qu’il encadre ; mépris pour ses camarades aspirants officiers, tous bizarrement issus de l’élite****.

Ce n’est pas ça qu’on retiendra ici, mais plutôt l’exercice de mythomanie qui le caractérise. En douze mois, il arrive à l’aspirant Moix plus de malheurs qu’à un Poilu de 14 : trois copains suicidés, un élève aspirant sodomisé par son père, un autre qui finit dans une secte, un autre meurt du sida, un soldat est agressé au couteau, et Yann Moix lui-même est menacé de mort, puis agressé. A l’évidence, l’écrivain a vécu plusieurs services militaires, issus de souvenirs de quelques camarades. Ce n’est pas grave, puisqu’évidemment il y a marqué Roman sur la couverture ; comme d’habitude le mode de défense bidirectionnel des BOATS*****. 

C’est par ailleurs dommage, car il y a matière, dans Verdun, à raconter honnêtement ce moment de vie des mâles de notre génération. Le Service National était une chose à la fois absurde et drôle, éprouvante et fun, inutile et enthousiasmante, stupide et grandiose.

Mais l’essentiel n’est pas là. C’est plutôt la posture victimaire qui habite tout le roman, car il s’agit bien d’un roman, à ce niveau-là de mensonges. Yann Moix s’ennuie, souffre le martyre (en gros, il a des ampoules), et le Service National est une terrible épreuve pour lui. Mais il oublie l’essentiel. Il est EOR (Elève Officier de Réserve) : il a voulu tout cela, et il ne le dit pas. Mais pour les initiés, il a laissé un indice qui le trahit : le premier chapitre s’intitule PPEOR, c’est à dire Peloton Préparatoire aux Elèves Officiers de Réserve. Pour faire le PPEOR, il fallait le demander. C’était un choix proposé lors des fameux « Trois jours ». Ceux qui le faisaient avaient plusieurs motivations : partir plus tôt, choisir leur affectation, devenir officier et donc faire un service plus intéressant et plus confortable. En clair, c’était un choix ! Connaissant son passé (conflits familiaux, révolte contre le système, petit passage facho), ce choix semble tout à fait cohérent… Il n’y aurait aucune honte à le dire, et le regard d’un homme de cinquante ans assumant les conneries de ses vingt ans serait intéressant…

Mais cela ne rentre en aucune façon dans le roman qu’écrit, depuis bien longtemps, Yann sur Moix…

*Eh oui ! Contrairement à ce qu’il raconte, le Professore n’a pas participé à l’assaut de Peleliu avec ses Marines

** Dans un moment d’auto-clairvoyance involontaire, il écrit d’ailleurs : « Ce qui nous paraissait superbe chez un auteur, voilà que l’auteur suivant nous en fait un misérable tas de fumier ».

*** Qui ont compris à qui ils avaient affaire : page 199, un des collègues aspirant le décrit : « Ross établit la liste de mes défauts, dont le plus grave était l’égocentrisme. Tu ne t’intéresses qu’à ta gueule. Le reste n’existe pas. Les autres sont pour toi des abstractions. Si tu étais encore intéressant… mais tu ne l’es pas. Tu es un sale con. »

**** En 1987, j’avais un polytechnicien (sur 80 EOR), Moix en a quarante…  

*****Si le lecteur doute, on lui assène la vérité vraie du Récit, si on arrive à prouver que c’est faux (comme on tente de le faire ici), c’est du Roman.




jeudi 14 avril 2022


Les Confins du Monde
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -Les films ]

Gérard Depardieu, Guillaume Nicloux, Gaspard Ulliel et la Guerre d’Indochine, dans un film visiblement très esthétique : plein de bonnes raisons de jeter un œil aux Confins du Monde. L’exemple même du film ambitieux ; ça se voit dès le premier plan, Ulliel au ralenti dans une cour de caserne brumeuse… Réaliste et énigmatique, ça promet.

Mais on est vite déçu par les (trop ?) nombreuses ambitions du film. Car rien ne va jamais bien loin. Gaspard Ulliel veut venger son frère, mais ce frère reste un concept éthéré : on ne sait rien de leur relation, ni de sa mort. Ça reste un mantra, que le protagoniste répète à l’envi. Depardieu est présenté comme un observateur mystérieux, le français d’Indochine éternel qui parle par énigme, mais on n’en saura jamais plus. On entrelarde tout cela de raids dans la jungle avec des troupes autochtones, désapprouvés puis approuvés par le commandement, sans qu’on sache trop pourquoi. Sans parler de la love story avec une prostituée, filmé sans beaucoup de conviction.

L’originalité dans la mise en scène, très belle en soi, est au service d’un scénario très lâche dans un film qui ne sait pas où il va.

De sorte que le film ressemble à une sorte de note d’intention pour un Apocalypse Now! à la française dont il n’a que le nom.

Une note d’intention, c’est ce que l’on envoie aux producteurs pour expliquer, artistiquement, le film qu’on veut faire.

Mais ce film, ensuite, il faut le faire.




mardi 12 avril 2022


Band of Brothers/The Pacific
posté par Professor Ludovico dans [ Séries TV ]

Il faudrait revoir les séries tous les dix ans. Mais voilà, so many people, so many parties, comme dirait Gary.

On va à Bastogne parce que l’autre passion du Professore, c’est les champs de bataille, et évidemment ça donne envie de revoir l’épisode – selon nous le meilleur – de Band of Brothers. Mais dix ans après, beaucoup de grosses productions HBO sont passées par là, et l’épisode a maintenant l’air minable dans son petit décor utilisé dans tous les sens : on a vu beaucoup mieux depuis.

Mais pour autant, cela donne envie d’en regarder d’autres. Et nous découvrons que cette série, que nous avions vouée aux gémonies doit aujourd’hui être réévaluée à la hausse.

Certes Band of Brothers est une série gentillette, patriote, bourrée d’américains sympas qui n’attachent jamais leur casque*, mais c’est aussi une série noire, avec de véritables personnages, et des zones grises que nous n’avions pas décelées la première fois.

On enchaine sur The Pacific, basée sur les mémoires de Robert Leckie et de Eugene Sledge**, qui est aussi meilleure à cette aune. Certes Hanks et Spielberg ne sont pas Terrence Malick, il n’ont pas la profondeur mystique de La Ligne Rouge, la véracité humaine d’Apocalypse Now! ou la rigueur Kubrickienne de Full Metal Jacket***. Les deux producteurs sont des humanistes, qui pensent que la guerre est un mal qui serait évitable. Ils sont donc très éloignés de Nicolas Machiavel, ou de Thucydide, qui déplorent la guerre mais en comprennent la nécessité. Coincé par le BOATS, les personnages de Band of Brothers/The Pacific sont tous éminemment positifs, à la fin. Mais nous avions omis de dire que ces séries étaient tout à fait capables de montrer la face noire de ses personnages. 

Mea culpa. Mea Maxima culpa.

*Jurisprudence du GI archicool lancée par Le Jour le plus Long. Les gars qui attachent leurs casques sont des coinçouilles (Anglais, Allemands). Mais ils sont vivants.

**Respectivement Helmet for my Pillow et With the Old Breed

***Un film où tout le monde attache son casque !




mercredi 30 mars 2022


Citizen Kane/Massacre à la Tronçonneuse
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -Le Professor a toujours quelque chose à dire... -Les films ]

La cinéphilie, c’est l’art du rapprochement. Qui a tourné avec qui ? Qui a produit le film dont X était le réalisateur ? Voir un film, puis en voir un autre, et leur trouver des points communs. Revoir Citizen Kane pour éduquer la jeunesse, et, le lendemain, voir pour la première fois Massacre à la Tronçonneuse. Le point commun ? Quel point commun ? Deux classiques du genre, en fait. Ou plutôt, un classique, LE Classique, le Classique des Classiques, et la Première Pierre du Slasher. Mais dans les deux cas, ces films ont mal vieilli.

Citizen Kane

Le premier visionnage, au début des années 80, nous avait émerveillé. Mais nous étions probablement hypés par Claude Jean-Philippe, qui présentait le Ciné-Club d’Antenne2, tous les vendredis soir : Orson Welles, le cinéaste maudit, Orson Welles, seul contre Hollywood, Orson Welles, le premier à filmer des plafonds, à faire des travellings inexplicables à travers le néon du night-club, à cadrer d’improbables doubles focales, etc., etc. Ce n’est pas pour rien que Citizen Kane est considéré comme le plus grand film de l’histoire du cinéma.

Mais aujourd’hui, le film est bizarrement vide. On pense, sans totalement oser, au cinéma esthétisant à la manière de Jeunet/Scott/Jimenez. Un cinéma formellement impressionnant mais qui ne s’occupe guère de ses personnages. Avec une différence majeure, évidemment : Citizen Kane a quelque chose à dire sur l’Amérique, sur l’argent qui détruit, sur l’idéalisme qui se dissout dans la corruption du pouvoir.  

Si le film de Welles reste très efficace, en déroulant l’histoire de son protagoniste dans un immense flashback (très cut pour l’époque), le film peine aujourd’hui à nous émouvoir. A l’instar de son protagoniste, Charles Foster Kane (Orson Welles), un type brillant, balançant punchline sur punchline. Les témoignages extérieurs (son épouse, son meilleur ami (Joseph Cotten*)) contrebalancent malignement ce portrait hagiographique, mais il faut arriver à la toute fin du film pour toucher du doigt la détresse du personnage. Et saluer au passage la métamorphose incroyable de Welles en Kane âgé – il n’a que vingt-cinq ans au moment du tournage. On commence enfin à ressentir quelque chose. Charles Foster Kane avait tout, mais il lui manquait l’essentiel, ce qui n’existe plus : l’enfance, une luge, Rosebud.

Massacre à la Tronçonneuse

Le film de Tobe Hoper, 33 ans après Citizen Kane, n’est évidemment pas sur le même registre, mais c’est également une référence : le premier des slashers. Au contraire de Citizen Kane, ce Massacre peine à décoller : une bande de jeunes se balade au fin fond du Texas dans un Combi Volkswagen. Ils prennent en stop un type étrange, à moitié fou, avant de s’arrêter à cause d’une panne d’essence. Les voilà obligés de dormir dans une maison abandonnée. Les ennuis commencent… au bout de quarante-cinq minutes !

On voit bien l’installation du scénario-type du slasher (des crétins insouciants se font trucider par des rednecks revanchards) mais voilà, The Texas Chainsaw Massacre est le premier à l’exposer. Idem pour les séminales scènes gore : sculptures en os, masque en chair, giclées de sang et cadavres momifiés ont laissé une empreinte indélébile qu’on retrouve encore, cinquante ans plus tard, du Silence des Agneaux à True Detective.

Mais le film reste assez long et ennuyeux, et surtout pas drôle. Aujourd’hui, le slasher essaie souvent de produire une terreur de second degré (Scream, ou les remakes d’Alexandre Aja (La Colline a des Yeux, Piranhas)…

Pourquoi, alors, juxtaposer ces deux films ? Citizen Kane et Massacre à la Tronçonneuse sont des moules qui ont produit de brillantes copies. Mais si on le découvre aujourd’hui, le plaisir originel a disparu. Un peu d’admiration, mais beaucoup d’ennui. Il faut expliquer ce que ça représente dans l’histoire du cinéma, car c’est la seule trace qui reste. Des films moins formellement innovants comme Les Enfants du Paradis ou Seul les Anges ont des Ailes produisent encore de l’émotion : ces films sont toujours vivants. Citizen Kane et Massacre à la Tronçonneuse sont des films morts. Ils n’en sont pas moins passionnants..

*Malencontreusement confondu avec William Holden par un stagiaire, dans une version précédente de cet article. Merci le Rupelien !