mercredi 15 décembre 2021
Succession
posté par Professor Ludovico dans [ Séries TV ]
Par extraordinaire, nous avions oublié de parler de Succession, rien de moins que la meilleure série des années 2020. La série qu’HBO voulait installer sur le slate – le créneau –de Game of Thrones, et qui y parvient.
Le pitch est encore une histoire de succession. Le roi n’est pas encore mort, mais on se bat bien pour un trône, celui de Waystar-Royco, conglomérat de médias et d’entertainment. Logan Roy en est le patriarche, et il veut passer la main. Problème : ses enfants ne sont pas à la hauteur. Connor, l’aîné est un quinqua idiot qui rêve de politique. Kendall est déjà à la tête de l’entreprise, mais trop tendre aux yeux du père. Shiv, la fille, pourrait faire l’affaire mais elle s’est déjà engagée en politique. Et Roman, le petit dernier, est un lutin priapique totalement déjanté.
On reconnaîtra aisément la famille Dassault, Maxwell, ou Lagardère dans ce portrait acide, avec ces géants, capitaines d’industrie autodidactes, entourés de nains. Quand on a construit soi-même un empire qui porte son nom, on a probablement passé peu de temps à s’occuper de ses enfants, encore moins à les former au poste. C’est ce que démontre Succession*.
Mais une bonne idée ne suffit pas. Il faut du talent pour la mettre en œuvre. Justement, Succession a du talent à revendre… Dès le scénario et les dialogues, tout sonne juste. On se sent vraiment au cœur de cette biosphère des ultra-riches. Et si la critique est implacable, elle ne sombre jamais dans la caricature. Car une fois de plus, tout est extrêmement documenté : décors, costumes, villégiatures…
Pourquoi parler spécifiquement de cette saison trois, alors ? Probablement parce que ce qui tue une série, c’est rarement le manque de talent, mais l’endurance. Six Feet Under s’est écroulée saison 3, Friday Night Lights en saison 2 pour remonter ensuite, et Battlestar Galactica a connu ses passages à vide.
Dans le cas de Succession, c’est pile au moment où tout ce Monopoly familial dysfonctionnel devient répétitif que Jesse Armstrong, le showrunner, a la bonne idée de passer de la comédie au Drama. Initiative bizarre mais indispensable, qui ne tiendrait pas sans l’extrême qualité des comédiens (et de l’ensemble du cast, pour tout dire), ni la finesse de l’écriture. Car ces idiots incommensurables, sculptés dans l’argile, se métamorphosent en sculptures marmoréennes capables d’engendrer l’émotion. Eux, qui n’avaient jusque-là obtenu que ricanement et mépris, déclenchent soudain larmes et compassion.
Enorme retournement ; chapeau l’artiste !
Succession est entièrement disponible sur OCS, probablement la plateforme de streaming la plus qualitative du PAF. Les autres brillent par la quantité, et souvent par la qualité. Mais sur OCS, pas beaucoup de déchet…
* Avec des fortunes diverses : la succession Dassault s’est finalement plutôt bien déroulée, celle de Maxwell a fini par la mort étrange du pater familias, quant au groupe Lagardère, le feuilleton est en cours…
mercredi 15 décembre 2021
Friday Night Lights sur Canal+
posté par Professor Ludovico dans [ Séries TV ]
Les excuses, c’est pour les perdants. Vous n’avez plus d’excuses : la meilleure série sur la famille, le football, le racisme, le dopage, l’hooliganisme, les sponsors, l’éducation, les jeunes, les vieux, les riches, les pauvres, les noirs, les texans, les hommes, les femmes, la guerre en Irak : Friday Night Lights est sur Canal+.
Vous n’avez plus d’excuses.
vendredi 10 décembre 2021
Les Olympiades
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]
Depuis Regarde les Hommes Tomber, on n’a jamais raté un film de Jacques Audiard. Parce qu’on n’a jamais cessé d’être émerveillé devant ce cinéma rigoureux, inventif dans la forme et respectueux du fond. Là où le cinéma s’égare le plus souvent dans les bons sentiments du Film de Festival, Jacques Audiard privilégie la documentation et la préparation ; en un mot, il travaille.
De sorte que ses films ont toujours cette rigueur et cette justesse. Son œuvre est l’une des rares capable de représenter la banlieue, les immigrés, les migrants, comme des personnages normaux, sans les étiquetter des clichés habituels : victimes de l’injustice ou trafiquants de drogue.
C’est le cas de ces Olympiades, qui suit quatre Français normaux. En l’occurrence un professeur noir, une serveuse asiatique, et deux autres « française de souche » agent immobilier et camgirl. A aucun moment, ces personnages ne seront définis par leurs origines. Ce qui est si rare dans le cinéma français ou américain.
Pourquoi alors cette petite déception à la sortie du film ? Peut-être que pour la première fois, Audiard semble un peu à côté de son sujet. Co-écrit avec Céline Sciamma et Léa Mysius, le scénario ne semble pas toujours juste* : un défaut inédit chez Audiard. Certains dialogues sont pontifiants, sur l’école, sur le handicap… Quant à la sexualité de cette génération de trentenaires qui semble être le sujet principal, (et donc l’intérêt du metteur en scène), on ne peut s’empêcher d’y voir le regard d’un sexagénaire qui ne comprend pas bien les us et coutumes (Tinder/Youporn) de cette nouvelle génération.
Néanmoins le film reste graphiquement magnifique et tout à fait visible. Il est juste un peu en-deçà de nos attentes…
* Et le pompage d’une vanne de Seinfeld, au passage…
jeudi 9 décembre 2021
Us
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -
Les films ]
Après Get out, Jordan Peele enchaîne un nouveau grand film, dans son style si particulier d’horreur sociale. Le cinéma d’horreur a toujours porté en lui une petite part de critique de la société, de la folie de la consommation chez les zombies de Romero, aux teenagers bourgeois 80’s punis dans d’innombrables slashers…
Mais on pourrait dire aujourd’hui, comme le fait Michel Ciment, que la part est inversée*. En effet, ce sont les films de genre qui tiennent le haut de l’affiche, même dans les festivals : Titane (Cannes), Parasite (Oscars), etc.
Le cinéma de genre n’est plus contraint dans de petites productions cheap, mais au contraire réalisé avec qualité, et des budgets afférents**. Personne ne va s’en plaindre.
Dans Us, Jordan Peele tisse à nouveau sa toile autour de personnages noirs projetés dans l’horreur pure. Une famille aisée se trouve soudain confrontée à ses doubles, qui lui ressemble trait pour trait. Pourquoi sont-ils là ? Que veulent-ils ? Le film passe alors au slasher, avec beaucoup de talent et d’humour.
La seule faiblesse du film réside dans la scène d’explication sur l’origine des doppelgangers, pas très claire et, pour tout dire, un peu inutile. Pour paraphraser Hitchcock, on aurait aimé que rien ne soit dit.
Mais hormis cela, c’est la perfection.
* Ciment se plaignait plutôt de la primauté donnée désormais aux films de genre (Titane Palme d’Or), versus des films plus conventionnels.
** Us a couté 20M$, La Nuit des Morts Vivants avait couté 114 000$ en 1968.
mardi 7 décembre 2021
House of Gucci
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]
D’où l’intérêt de ne pas spoiler : quand on ne connaît pas une histoire, elle est toujours intéressante. On déteste les biopics, ici, mais comme on ne connaît pas cette affaire Gucci, il suffit de ne pas s’intéresser au film pour arriver frais comme un gardon au MK2 Bibliothèque.
Et on se passionne pour cette histoire de mariage entre une pauvre petite secrétaire (Stefani Germanotta, aka Lady Gaga) et un riche héritier Gucci (Adam Driver). Car ces deux-là font vraiment la différence, deux énormes performances d’acteur. Lady Gaga est épatante en Patrizia Reggiani, épouse possessive et/ou amoureuse arriviste, et reste suffisamment subtile pour qu’on n’arrive pas à choisir entre ces deux options. Le talent d’Adam Driver n’est pas une surprise, mais on suit avec intérêt l’évolution de Maurizio Gucci. Héritier gauche, amoureux coinçouille, employé débutant chez Gucci coaché par son épouse, jusqu’à l’homme d’affaires carnassier et insensible. Ces deux-là volent le film, et c’est tant mieux.
Le reste malheureusement est très faible. Al Pacino n’a pas grand’ chose à jouer, Jared Leto en fait des tonnes dans une prestation totalement ridicule, Salma Hayek n’est pas bonne non plus. Seul Camille Cottin, à qui on donne peu de choses, mais qui en fait beaucoup, sauve la fin du film.
Mais encore une fois House of Gucci est intéressant, distrayant, et donne envie de lire le livre de Sara Gay Forden.
On a connu pire au cinéma.
jeudi 2 décembre 2021
Old Joy
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -
Les films ]
Old Joy est peut-être le moins intéressant de la filmographie de Kelly Reichardt. Partant une nouvelle fois d’un argument minuscule, elle en extrait cette fois-ci très peu.
Deux copains décident de partir en balade dans les Cascade Mountains. La petite rando de trentenaires va virer à l’épiphanie coming of age. Mark (Daniel London) a un job, et va bientôt de venir papa. Kurt (Will Oldham) est plutôt bohème, et se laisse porter par le vent. Leur balade – et le film donc – sont le constat de leur routes désormais divergentes.
A l’instar des personnages qui perdent un moment leur itinéraire, il semble que Kelly Reichardt ne sache pas quoi faire de cette situation. La cinéaste laisse ses personnages en suspension, mais aussi le spectateur. Pas désagréable mais pas passionnant non plus.
mercredi 1 décembre 2021
Wendy et Lucy
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]
On peut faire du cinéma avec très peu de choses : une jeune femme, un chien, un parking de supermarché. Un film sur l’errance, mais qui restera immobile, stuck inside Oregon with the Fort Wayne Blues again, pendant 80 minutes.
Dans une de ces indistinctes villes américaines, horizontales et répétitives, où les seuls repères sont les Walgreens et les stations-services, une jeune femme (Michelle Williams) est en route pour un avenir meilleur : l’Alaska, qui promet enfin de l’emploi, enfin un endroit où dormir, enfin un endroit où se nourrir.
Mais sa voiture tombe en panne dans l’Oregon, dans une ville dont on ne saura jamais le nom. Si ce n’est qu’elle est à mi-chemin entre son départ de Fort Wayne (Indiana) et sa destination, Ketchikan (Alaska).
Kelly Reichardt aime cette immensité de l’Amérique, mais là, elle renonce justement à la filmer. En serrant le cadre autour de son actrice, l’enfermant dans ce non-lieu, les seules informations qui nous parviennent sont sonores et envahissantes. Sirène de train, voitures qui passent en coup de vent, vibration permanent de l’air conditionné. Wendy erre, mais dans un espace intérieur.
Elle n’a pour seul compagnon que sa chienne Lucy, et ne rencontrera que des personnages épisodiques : des hobos qui la conseillent sur l’Alaska, un vieux vigile de supermarché, un jeune vendeur discipliné, etc.
Mais elle va vite perdre Lucy et consacrer toute son énergie, et ses maigres dollars à la retrouver.
Cela semble peu. Le film est court mais peut paraître long. Tout y est lent. Mais c’est mal connaitre la méthode Reichardt, qui engendre systématiquement ce genre de réaction. Des films faibles, en réalité très forts. Car le slow-movie de Kelly Reichardt vous amène, imperceptiblement – mais lentement et sûrement – là où il doit, c’est-à-dire à l’émotion.
mercredi 1 décembre 2021
Kelly Reichardt
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -
Les films -
Les gens -
Pour en finir avec ... ]
On réalise qu’on a oublié de vous parler des films de Kelly Reichardt, que Le Grand Action a pourtant la bonne idée de diffuser en intégralité depuis la rentrée. On avait jusque-là eu accès uniquement aux quatre films de la réalisatrice sortis en salle depuis 2010 : La Dernière Piste, Night Moves, Certaines femmes et First Cow.
Mais là, c’est l’occasion de redécouvrir les premiers films fondateurs de ce style Reichardtien si particulier, totalement indépendant et féministe. Des films low fi, tournés avec des amis d’Hollywood (Todd Haynes à la production, et Jesse Eisenberg, Michelle Williams, Kirsten Stewart, Laura Dern comme acteurs)
Au programme : River of Grass (1994), Old Joy (2006), Wendy et Lucy (2008). On y revient. Et on parlera aussi de l’excellent dernier : First Cow.
mercredi 17 novembre 2021
Ninotchka
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -
Les films -
Pour en finir avec ... ]
Il y a des cinéastes avec qui on n’est pas en affinité, sans vraiment savoir pourquoi. Dans les années 80, nous arrivions à Paris, tel un Rastignac des Yvelines. Le célèbre IUT-Paris V Communication d’entreprise était infesté de jeunes garçons du XVIème arrondissement qui n’avaient pas réussi à intégrer Dauphine, ou de filles (du même arrondissement) qui n’avaient pas – encore – trouvé de mari. En tout cas, c’étaient des parisiens qui fréquentaient les cinémas du Quartier Latin depuis leur tendre enfance, dès que leur grand mère avaient pu les emmener voir Les Aristochats. De sorte que la cafétéria de l’Avenue de Versailles bruissait des rétrospectives vachement bien qu’il fallait absolument voir : Hitchcock et Lubitsch…
Mais le Professore Ludovico, pauvre mais déjà snob, n’avait absolument pas envie, selon le mot fameux d’un comparse, de « pointer au chef d’œuvre »… Peut-être parce qu’il y décelait, indistinctement, une forme de choix bourgeois, et de pure convention sociale : voir des vieux films plutôt que plonger dans l’excitant cinéma eighties : Birdy, Blade Runner, ou La Fièvre au Corps…
Quarante ans plus tard, voilà Ninotchka sur OCS, un des waypoints obligatoires de la cinéphilie, de surcroit recommandé par le Rupellien. Poussé uniquement par le nom du film et la présence de Garbo, (et sans comprendre qu’il s’agit d’un Lubitsch), on se jette donc sur Ninotchka.
En deux mots, trois russes (sosies de Lénine, Trotsky et Staline), sont à Paris pour vendre des bijoux de l’aristocratie tsariste. En face, le Comte d’Algout (Melvyn Douglas), playboy parisien, cherche à récupérer ces bijoux pour le compte de sa maÏitresse, la Grande Duchesse Swana.
Vite distraits par les plaisirs de la vie parisienne, les trois russes sont vite rappelés à l’ordre par l’envoi du commissaire politique Ninotchka (Greta Garbo), inflexible héraut de la révolution prolétarienne. Mais évidemment, la camarade Nina Ivanovna Yakouchova va tomber dans les bras du comte, puis se laisser séduire par les charmes du capitalisme.
Si le début avec les 3 stooges russes est plaisant, le film est très vieillot et l’histoire d’amour est tout sauf plausible. Greta Garbo a été belle, mais ne l’est plus en 1939*, Melvyn Leroy encore moins… Le rythme se traine à la vitesse du transsibérien et le film est affreusement pataud dans son anticommunisme primaire – et c’est un fan de Michael Bay qui vous le dit !
*C’est d’ailleurs son avant-dernier film.
lundi 15 novembre 2021
The French Dispatch
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]
Chez Wes Anderson, il y a tout ce qui normalement devrait irriter le cinéphile : un style, certes unique, mais répétitif (cadre carré, regard caméra, travelling latéral, maquettes, etc.) Toujours la même mécanique scénaristique, du général au particulier, répétée à l’envi. Des personnages stéréotypés, dans des univers qui le sont encore plus.
Vingt ans plus tard, The French Dispatch ne change rien à l’affaire. Les Royal Tenenbaums newyorkais sont réincarnés en midwesterns exilés à Angoulême, France. Mais le changement de carte postale n’affecte nullement le cinéaste : de l’Inde à Rhode Island, de la Mitteleuropa au Japon, rien ne change sous le soleil andersonnien.
Et ici, à Angoulême, la magie opère de nouveau. Car derrière cette âme d’enfant qui construit encore et toujours la maquette du Calypso, fait tourner ses trains électriques et ses Circuit24, et qui joue aux Playmobil avec ses personnages, il y a un cerveau d’adulte.
Dans tous les films de Wes Anderson, même ceux directement destinés aux enfants, les problématiques restent sérieuses : les parents absents (Fantastic Mr. Fox), la pollution (L’Île aux Chiens)… Même si The French Dispatch est plutôt léger et comique, la mort et la folie rôdent.
On ne peut pas dire qu’on rit à chaque instant, mais ce qui est sûr, c’est qu’à la fin on pleure.