mardi 31 août 2021
La Loi de Téhéran
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]
Depuis que Notre Agent au Kremlin nous a orienté vers Asghar Farhadi, on regarde toujours avec intérêt les propositions du cinéma iranien. La Loi de Téhéran arrive avec une réputation flatteuse de polar de l’été, sur un sujet a priori trash : la consommation et le trafic de drogue en Iran, un pays qu’on n’imaginait pas totalement gangrené par l’addiction.
« Quand j’ai commencé dans ce métier, il y avait un million de junkies. On arrête tous ces types, et on les pend depuis des années, mais maintenant ils sont six millions et demi* ? Comment tu expliques ça ? » lance un des flics à son supérieur, mais aussi, à l’évidence, au spectateur.
Evoquant aussi bien Sur Ecoute que Heat, La Loi de Téhéran nous fait suivre le quotidien d’un groupe de policiers remontant la filière pour s’attaquer au gros poisson, Nasser, le trafiquant de drogue, dans une République Iranienne où la simple possession peut vous valoir la peine de mort.
On assistera donc à des scènes dantesques que ne renieraient pas le cinéma américain : course poursuite, évacuation de taudis, interrogatoire musclé, prison nauséabonde, et corruption tous les étages. Film coup de poing, La Loi de Téhéran ne vous lâchera pas, ni pendant, ni après.
On mettra un bémol néanmoins, car le film n’est pas exempt de tout défaut. L’exotisme de la situation tente parfois à les éclipser. Souvent verbeux, il sort facilement de son réalisme foncier pour le plaisir d’un bon mot. On pourrait être dans un Maigret, avec Gabin dans le rôle du flic et Ventura en dealer. Si on y regarde de près, le comportement de certains personnages ne tient pas forcement la rampe. Dans le cas des flics, ce serait de l’incompétence crasse. Certaines péripéties sont également un peu téléphonées, car Saeed Roustayi, perdu dans son rythme infernal, ne prend pas le temps d’installer ses intrigues secondaires.
En dernière extrémité, si le film glorifie les flics et la justice – en tout cas, ceux qui ne sont pas corrompus – la question n’en demeure pas moins : nous pendons les junkies haut et court, et il y en a toujours plus. Comment expliquer ça ?
À Téhéran comme à Baltimore, personne n’a encore trouvé la réponse.
* 6,5 millions : c’est le titre iranien du film, gros succès là-bas.
mardi 31 août 2021
Drive my Car
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]
Un metteur en scène japonais qui fait répéter du Tchekov à des acteurs japonais, chinois, coréens et sourds-muets. Une voiture rouge, et des allers et retours. Des tunnels et des ponts. Uniquement des plans fixes. Malgré ce programme alléchant, on ne s’ennuie pas une seule seconde pendant les trois heures de Drive my Car. Inspiré d’une (courte !) nouvelle d’Haruki Murakami, on retrouve dans le film la subtilité de l’écrivain dans la description des tourments intérieurs, incroyablement incarnés ici par les acteurs et la mise en scène.
Au Masque et la Plume, Jérôme Garcin a pour habitude d’annoncer dans sa présentation la durée du film* ; la plupart du temps d’un air las, si le film dépasse les deux heures fatidiques. Cela m’a toujours semblé stupide. Il y a des films de quatre heures qui sont passionnants, et les films d’une heure trente un peu longs.
Cette fois-ci, Jérôme Garcin à la fois noté la durée (3h) et l’incroyable réussite du film de Ryūsuke Hamaguchi. Nous sommes on ne peut plus d’accord.
Drive my Car, c’est du cinéma.
* Il fait la même chose pour les livres. Comparer favorablement les cent cinquante pages écrit gros d’Amélie Nothomb avec les quatre cent pages d’un écrivain comme Franzen est tout aussi absurde.
samedi 28 août 2021
« N’oubliez jamais les petites villes »
posté par Professor Ludovico dans [ Hollywood Gossip -
Le Professor a toujours quelque chose à dire... -
Les gens ]
En 1936, auréolé du succès de Mayerling, Joseph Kessel est accueilli en grande pompe à Hollywood. Déçu par les contraintes qu’on lui impose, il en tire néanmoins un petit livre assez bien vu sur l’Usine à Rêves, Hollywood, film mirage.
Ce qu’il écrit à l’époque est encore valable aujourd’hui. Voilà par exemple ce qu’il fait dire à un producteur :
« N’oubliez jamais les petites villes d’Amérique, si vous faites des scénarios pour nous. Ne pensez plus que vous travaillez pour les spectateurs évolués d’Europe. Ce n’est pas de New York dont nous vivons, ni de Chicago, ni d’aucun des grands centres. Nous dépendons des cités sans joie, des bourgades où habitent les gens les moins cultivés, les moins informés, les plus primitifs, les plus enfantins, et les plus naïvement sentimentaux du monde. Il faut les faire rire du ventre et non de la gorge. Il ne faut pas les faire pleurer, mais tout juste humecter gentiment leurs paupières. Il faut éviter tout ce qui suppose une connaissance quelconque géographique, historique, ou scientifique. Il faut éviter tout effort de l’intelligence, toute égratignure aux conventions. Songez à cela, et tâcher de nous être indulgent. »
Ça pourrait être du Michael Bay ou du Jerry Bruckheimer…
jeudi 26 août 2021
Le Questionnaire de France Culture
posté par Professor Ludovico dans [ Le Professor a toujours quelque chose à dire... -
Playlist ]
L’émission de Michèle Halberstadt, Les films qui ont changé nos regards, se termine par un questionnaire façon Proust. Le Professore adore ce genre de gadget, donc voici ses réponses…
La première séance vous vous souvenez ?
J’hésite entre Les Aristochats sur les Champs Élysées avec parrain et marraine, ou à Dourdan avec mon père, pour un film de guerre. Peut-être Le Jour Le Plus Long. Dans le premier cas, c’était mon dernier Disney, dans le second, le début d’une longue série.
La dernière séance qui vous a marquée ?
Titane, un film à la fois brillant et horripilant.
Votre film de chevet ?
D’un point de vue « technique », Apocalypse Now, le film parfait. D’un point de vue « narratif », Titanic. Si c’est sentimental, le Rocky Horror Picture Show…
Le film dans lequel vous aimeriez vivre ?
Le Rocky, bien sûr : sexe, drogue, et rosbif toute la journée. Mais le proprio est un petit peu susceptible.
Le classique qui vous laisse de marbre ?
Ce sont plutôt des cinéastes qui me laissent de marbre : Tarkovski, Chaplin, Woody Allen…
La pépite que personne ne connaît ?
Pulp, A Film About Life, Death & Supermarkets, un film qui est plutôt sur la vie, la mort, et les supermarchés que sur la tournée d’adieu de Pulp.
Votre voix de cinéma préféré ?
Jean-Louis Trintignant, et Kathleen Turner
Votre salle préférée ?
Une salle qui a disparu, le Gaumont Grand Ecran Italie, le plus grand écran de Paris… J’y ai vu Titanic à sa sortie, et mon plus beau 2001.
Votre prochaine séance ?
La Loi de Téhéran.
Votre vœu cinéphilique ?
Un vœu impossible : le retour du cinéma américain.
mercredi 25 août 2021
Le Veau d’or (le Godard) est toujours debout
posté par Professor Ludovico dans [ Le Professor a toujours quelque chose à dire... -
Playlist -
Pour en finir avec ... ]
L’occasion était trop belle. Sur France Culture, Michèle Halberstadt – la voix la plus sensuelle du PAF – animait cet été une émission intéressante*, Les films qui ont changé nos regards.
Le concept : les grands films du répertoire (Vertigo, 2001, Le Mépris…) vus par des spectateurs français de renom (Isabelle Huppert, Bruno Podalydes, Arnaud Desplechin…), passionnés par le film en question.
A la fin de chaque émission, Michèle Halberstadt demandait l’avis de l’Oracle. L’oracle, quel oracle ? Mais l’Oracle, voyons ! Jean-Luc Godard himself. L’homme dont la pensée rayonne – au sens radioactif du terme, nous y reviendrons – sur le cinéma français depuis 70 ans. Et là, évidemment, c’est un défilé : « Le Parrain ? pas un film qui a changé le monde ! » « Kubrick ? Un faiseur…» « Hitchcock ? beaucoup de faiblesses… » Etc., etc.
Venant d’un cinéaste, dont, le moins qu’on puisse dire, aucun film n’a eu le retentissement ou la longévité de Vertigo ou de 2001, ça ne manque pas de sel. Comme on sent la jalousie d’un nonagénaire aigri, qui a beaucoup aimé le cinéma, mais qui brûle ce qu’il a adoré, on se rue sur la dernière émission qui lui est intégralement consacrée. Une heure de pure pensée godardienne sur le cinéma, la vie, et le reste.
Que dirait-on aujourd’hui de quelqu’un qui trouve tout le monde nul, à commencer par ses amis (Truffaut, Goupil, Cohn-Bendit) ? Qui râle sur tout ce qui est moderne ? Qui répond par la négative à toutes les questions** ? Un facho ? Un vieux con ? Mais non, c’est Jean-Luc Godard, l’Ermite de Rolle. Dont nous écoutons, masochistes béats, les « leçons », diverses et variées, depuis 1950***…
Hormis quelques fulgurances connues****, le génie godardien est essentiellement composé de réponses négatives (indiquant que vous avez tort, quelle que soit la question) basées sur des jeux de mots lacaniens : « Dans la peinture moderne, il y a toujours des titres aux tableaux. A la banque aussi. » « La représentation ? Mon avocat dit aussi qu’il va me représenter, mais comment peut-il me représenter ? » Etc. Essayez vous aussi, avec quelques huîtres et un bon petit Muscadet, vous verrez, c’est pas très compliqué…
Ce n’est pas pour rien que le Snake – le Chief Technical Officer de CineFast – a créé la rubrique Pour En Finir Avec. Finissons-en donc avec Jean-Luc Godard, le veau d’or du cinéma français, l’homme par qui tout est arrivé, et par qui tout fut détruit.
Car Godard n’a réalisé qu’une poignée de films réellement intéressants, les premiers surtout (À Bout de Souffle, Pierrot le Fou, Masculin Féminin)*****. Donnant corps à la diatribe d’Orson Welles (« Si vous voulez faire du cinéma, faites-en ! Volez des caméras ! Volez de la pellicule ! », la Nouvelle Vague apportait cette idée neuve dans le cinéma des studios : une révolution technique, en tournant avec de simples caméras 16 mm, qui permettaient de s’affranchir de la lourdeur des studios. Et une révolution narrative, en filmant ainsi dans la rue, sans décor, des choses nouvelles. En un mot les aspirations de cette jeunesse 50’s étouffant dans la pesanteur sociale d’après-guerre…
Si ce bouleversement a engendré de beaux bébés (Godard, Truffaut, le Nouvel Hollywood), elle a aussi détruit le cinéma français. Car ces jeunes Turcs ont pris le pouvoir en fustigeant le « cinéma de papa » : le cinéma populaire, de qualité, des années 30 à 50. Ecartés les Duvivier, Marcel Carné, Claude Autant-Lara…
La Fatwa des Cahiers du Cinéma a duré trente ans. Un peu comme Boulez imposant son joug dodécaphoniste sur la musique contemporaine, Godard&Co ont imposé les sujets chichiteux de la bourgeoisie de Saint-Germain des Prés, son refus du scénario, et ses pré-requis techniques low cost (son direct, éclairages hésitants, acteurs improvisés…)
Cette révolution obligatoire de la forme a contaminé tout le cinéma français comme des rayons gamma. Son aura intellectuelle a été relayée par le système des subventions du CNC, qui valide les bons sujets/le bon goût du moment (il y a vingt ans, les banlieues, aujourd’hui, les problématiques de Genre). De facto, l’État oriente le type de sujets de films qui peuvent se tourner et ceux qui ne peuvent pas se tourner. Cette pensée se retrouve parmi les techniciens (formés aussi par l’Etat, via la FEMIS). Autant dire qu’un film d’action, un thriller politique, une comédie romantique n’a pas lieu d’exister dans ce système.
Mais les gens meurent, leur influence s’estompe, et le système s’écroule lentement. Notamment grâce à quelqu’un comme Luc Besson, un autodidacte, qui pris lui aussi Welles au mot. Bricolant en 1983 son Dernier Combat tout seul, et prouvant que le cinéma de genre pouvait fonctionner en dehors du système. On peut penser ce qu’on veut de Besson (à vrai dire, le Professore n’en pense pas beaucoup de bien), mais il a remis le cinéma populaire (et au passage toute une industrie) au centre de la table.
Citons donc Yves Montand : il est temps de mettre la statue du Commandeur, « le plus con des maoïstes suisses » au musée.
* Quoique non dénuée d’erreurs factuelles : le casting de 2001, par exemple …
** Halberstadt pose pourtant des questions très consensuelles, comme « Quel est votre film de chevet ?»
*** Miss Halberstadt valide elle-même cette théorie, racontant sa rencontre avec Godard, qui l’avait insulté direct : « Depuis quand votre journal, Première, se préoccupe de cinéma ? ». Quarante ans après, la journaliste devenue distributrice est toujours en transe…
****« Quand on va au cinéma, on lève la tête. Quand on regarde la télévision, on la baisse. »
***** Et les partie musicales de certains films (One Plus One avec les Stones et Soigne ta Droite avec les Rita Mitsouko)…
jeudi 29 juillet 2021
Onoda
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]
« Vaurien ! Incapable ! Traître ! » : voilà comment commence l’épopée d’Onoda, un jeune homme de vingt-deux ans qui n’a pas réussi jeter son zero sur un porte-avions américain. Nous sommes en 1944, la guerre du Pacifique est perdue, et il ne reste qu’une solution honorable – le sacrifice des kamikazes – pour décourager les Gaijin de poser pied sur la terre sacrée du Japon.
En refusant cet honneur, Onoda court de graves dangers, pour lui et sa famille. Mais on lui propose une forme d’honneur alternative : non pas se sacrifier, mais au contraire survivre. A tout prix.
Il s’agira de défendre coûte que coûte Lubang, une des nombreuses îles conquises par les fascistes japonais : « Faites tout ce qu’il faut pour survivre, car quoi qu’il arrive, dans six mois ou dans dix ans, nous reviendrons vous chercher ». Cette promesse va déclencher l’un des événements les plus improbables de la Seconde Guerre Mondiale : avec une poignée d’hommes, Onoda va défendre son île de 125km² pendant trente ans*.
La critique, plutôt élogieuse envers le film, parle d’Apocalypse Now à la française. Le compliment est beau mais trompeur. En effet, pas de war opera dans Onoda, petit film français d’Arthur Hariri**, tourné au Cambodge avec des comédiens japonais et une grande parcimonie de moyens. Pas de dantesque reconstitution avec figurants, pas d’hélicoptère, pas de Walkyrie. Pas non plus de poème métaphysique à la Ligne Rouge, même si on pense plus à Malick qu’à Coppola. Onoda est un film très simple, filmé à hauteur d’homme, sans affect. Mais pas sans ambition. Sa force est de nous plonger, sans ironie ni sarcasme, dans la mentalité de ces soldats japonais, tout en évitant de les héroïser.
Totalement portés par son histoire incroyable et ses excellents comédiens, on finit par suivre Onoda Hirō dans ce cheminement intellectuel qui veut que la seule solution valable soit de combattre, de survivre, et d’attendre, plutôt que dialoguer, apprendre la vérité, et se rendre.
C’est le programme du film, et c’est aussi sa beauté.
* De 1947 à 1974, on retrouvera ainsi 127 soldats nippons dans différentes îles d’Asie du Sud-Est. Mais en Europe, des soldats allemands se sont aussi rendus après la fin de la guerre, comme la poche de St Nazaire, par exemple.
** Autant le dire tout de suite : Onoda a fait l’ouverture d’Un Certain Regard, mais n’a rien ramené de Cannes. Pour le Professore, c’est comme un diplôme…
mardi 27 juillet 2021
Titane
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]
En parlant de provocation, Paul Verhoeven ferait bien d’aller voir la dernière Palme d’Or des Alpes Maritimes. Julia Ducournau n’y va pas avec le dos de la cuillère en Titane. Et c’est une cinéaste, tout autant que Verhoeven.
On avait déjà été fasciné par Grave, une histoire plus simple, et mieux tenue. Ducournau tient les rênes de Titane plus lâche, mais le film est aussi plus ambitieux, et formellement, beaucoup plus beau.
Mais il y a ici un goût de trop-plein, une envie de trop bien faire, où chaque plan, chaque scène est censée être signifiante, d’époque. Film de genre, film sur le genre, chevauchant les ambiguïtés de la paternité et les angoisses de la maternité, formalisant le transhumanisme homme-machine ? On finit par y perdre son latin, même si, sur la scène du Palais des Festivals, Julia Ducournau a fourni une première piste en remerciant le jury de « laisser entrer les monstres* ».
Si c’est le cas, le propos est non seulement abscons, il est effroyable. Car dans sa première partie, Titane tutoie effectivement le cinéma de Tarantino, c’est-à-dire un cinéma sans âme ni conscience qui se plaît à reconstituer, de manière parfaitement « fun » – et parfaitement esthétique – toutes sortes de meurtres commis par son héroïne serial killeuse. La réalisatrice fournit dans la scène d’intro une explication très faible à toute cette violence : le manque d’attention du père vers sa fille. C’est un peu court, jeune fille ! Est-ce que, comme dans OSS 117, les serial killers auraient droit à une seconde chance ?
C’est le propos de la deuxième partie, mais paradoxalement, c’est là où le film, après de multiples sauts périlleux, se rattrape aux branches. L’arrivée de Vincent Lindon, métamorphosé en pompier, vient éteindre l’incendie moral qui commençait à gronder en nous. Pour ce père éploré, la paternité n’est pas une question de sang, mais bien de sens.
Un final très Cronenbergien viendra valider cette hypothèse en proposant une conclusion à la fois dérangeante et satisfaisante.
On restera ainsi entre la chèvre et le chou : oui, Julia Ducournau est une grande cinéaste, mais une grande cinéaste en devenir.
«* Satisfaire le besoin viscéral qu’on a d’un monde plus inclusif et plus fluide… Merci au jury de laisser entrer les monstres … »
dimanche 25 juillet 2021
La Servante Ecarlate au Pays de Lovecraft
posté par Professor Ludovico dans [ Le Professor a toujours quelque chose à dire... -
Pour en finir avec ... -
Séries TV ]
On dit souvent ici que le cinéma est l’âme d’un peuple, et que c’est particulièrement vrai du cinéma et du peuple américain.
Si c’est le cas, l’Amérique va mal.
En témoigne les deux season finale de Lovecraft Country (S01) et La Servante Ecarlate (S04). Deux séries très différentes, l’une fun, l’autre sérieuse, mais dans les deux cas pavées de bonnes intentions.
Comme l’enfer.
Dans la série inspirée du livre de Matt Ruff, il s’agit de rendre hommage à Lovecraft, tout en renversant son racisme foncier du début du vingtième siècle. Dans l’adaptation du livre Margaret Atwood (qui n’est couvert que par la première saison), il s’agit de faire œuvre prospective : que deviendrait les Etats-Unis si la dérive religieuse, déjà en cours, prenait le pouvoir ?
Mais dans les deux cas – on n’ose le dire – poussées par une forme d’enthousiasme macabre, ces deux séries prolongent leur concept au-delà de l’extrême, et leur conclusion est la même – kill’em all! – tuons tous les blancs, lynchons tous les hommes…
Si un raisonnement élaboré amène à cette conclusion (enlevons aux blancs la magie qui a servi à notre oppression, punissons les violeurs de Gilead…), elle n’en est pas moins révoltante. Il suffit de pitcher l’inverse : qui voudrait d’une série où des héros blonds se proposeraient de tuer tous les noirs parce que certains pratiquent le vaudou ?
Il y a toujours eu cette culture de la vengeance dans le cinéma américain, (nous l’évoquions ici), mais elle était le problème de personnages solitaires*. Ici, la violence est proposée comme remède systémique. Pourtant, d’autres solutions existent : le personnage de Cristina, belle magicienne blonde, prend la défense des personnages noirs, et a même une romance (dans les années 50s de la ségrégation !) avec l’une d’entre elle. Les méchants de la Saison 4 de La Servante Ecarlate pourraient être jugés (probablement atrocement) par Gilead, mais June Osborn complote pour organiser leur lynchage. Les héros de ces séries ne sont donc pas obligés de sombrer dans une vengeance aveugle, c’est au contraire un choix conscient.
Il y a dix ans, face à un problème collectif comme le racisme ou le sexisme, aucun film, aucune série US n’aurait proposé ce type de solution. Au contraire, une réconciliation, un pardon, une rédemption aurait été proposé au méchant (le plus souvent un mâle blanc)**. Via le pardon du héros, ou vers un procès, avec la loi comme remède aux maladies de l’humanité.
Nous n’en sommes plus là. Nous sommes à l’heure de la vengeance, et de la violence « juste », seule solution à la violence injuste***.
Et ça fait peur.
* Qui la plupart du temps étaient obligés de tuer le méchant : repensons à toutes ces scènes avec Bruce Willis/Nick Cage/Stallone tenant la main au méchant au bord du précipice/hélicoptère, et que celui-ci, ignorant la main tendue, en profitait pour tenter de balancer notre héros dans le vide, qui n’avait alors d’autre choix que de le tuer…
** Mississippi Burning, Le Plus Beau des combats, American History X, Gran Torino, La Dame du Vendredi, Du silence et des Ombres, Amistad, Working Girl…
*** Sur le même sujet, avec les mêmes références (le massacre de Tulsa), et la même maison de production (HBO), Watchmen fait beaucoup mieux…
samedi 24 juillet 2021
Jojo Rabbit
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -
Les films ]
C’est le sujet casse-gueule par excellence. Une comédie sur le Troisième Reich. Très peu ont essayé, beaucoup ont échoué, très lourdement comme l’ignoble La Vie Est Belle de Roberto Benigni.
Jojo Rabbit tente l’impossible : une comédie sur un petit garçon des Jeunesses Hitlériennes, et dont l’ami imaginaire n’est autre qu’Adolf Hitler ! Un Adolf Hitler drôle, qui fait des blagues et danse sur les chansons des Beatles.
Si on rit de bon cœur sur ces plaisanteries, c’est d’abord par le style impeccable de la mise en scène (sous influence Wes Anderson) , et une bande de comédiens parfaits (Roman Griffin Davis, Scarlett Johansson, Thomasin McKenzie, Taika Waititi, Sam Rockwell…)
Et on se demande évidemment comment cela va finir, comment conclure, comment résoudre l’équation impossible d’une rédemption du petit nazi qui ne serait ni ridicule, ni à l’opposé de la trajectoire du film depuis le début.
Comme le propose le carton final, pré-générique de fin, il faut « laisser tout vous arriver, beauté et terreur… Continuez à le faire, car aucun sentiment n’est jamais définitif *». Magnifique morale de l’histoire, et merveille de bout en bout.
Oui, on peut être un héros, juste pour une journée.
* Rainer Maria Rilke
jeudi 22 juillet 2021
The Nest
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -
Les films ]
The Nest, en anglais c’est à la fois le doux nid du couple de tourtereaux, et aussi le nid de frelons. C’est de cela dont parle le nouveau film de Sean Durkin, dont on avait adoré le très fin Martha Marcy May Marlene.
De la transplantation d’une famille, de New York à Londres dans les 80s, pilotée par la volonté mythomane du père de famille, trader en pleine ascension, et formidablement interprété par Jude Law.
Durkin montre rapidement les faux-semblants de cette trajectoire, qui n’est pas sans rappeler le Shining de Kubrick, sans l’emphase fantastique, même si, à certains moments, des fantômes semblent frapper à la porte… à moins que ce ne soit un courant d’air, ou une impression de déjà-vu.
Mais si le film est intéressant dans cette ambiguïté, et si les acteurs sont tous excellents (dont notre chouchou Carrie Coon), il n’arrive pas vraiment à décoller, ni à passionner.