jeudi 20 juillet 2023


Oppenheimer
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]

Il a suffi d’un petit quart d’heure pour que le Professorino retourne le paternel comme une crêpe. Pourtant, en sortant de l’Opus Magnus de Christopher Nolan, le Ludovico avait un mal de crâne épouvantable. Trois heures de violon albanbergien avait eu raison de son ouïe, et de son cortex cinephilo-spinal.

Mais bon sang ne saurait mentir… Formé dans les meilleures écoles (Eric Taylor Elementary School à Dillon, Texas, Master en Social Network à Harvard, pour finir à la James McNulty University de Baltimore), le garçon a des lettres.

Lui était sorti enchanté du cours de physique nucléaire de Monsieur Nolan, et tenait à peu près ce langage : on ne peut pas reprocher tout et son contraire au réalisateur du Prestige. Pour une fois, il tient son sujet. Nolan a un point de vue clair sur Oppenheimer, l’homme, son génie, ses ambigüités. Pas de gloubi-boulga capitalo-marxiste façon Dark Knight Rises. Pas d’intrigue incompréhensible façon Tenet. Pas de cours nébuleux d’astrophysique façon Interstellar.

Pourtant Oppenheimer, ça commence mal : deux heures de docudrama sur la jeunesse du grand homme, ses recherches, ses amours, ses convictions changeantes, et le passionnant problème de la construction de bâtiments au cœur du Nouveau Mexique. Ce pourrait être Secrets d’Histoire, avec Stephane « Nolan » Bern.  La pédagogie est réussie (particules, fission, fusion, etc., mais on a perdu Nolan le cinéaste. Champ / contrechamp, musique insupportable (et permanente), le cinéaste esthète ne reprend jamais son souffle (ni le nôtre). Il ne s’arrête jamais pour contempler la beauté du monde, lui qui sait si bien le faire. Les quelques images d’électrons, de trous noirs en création, de neutrons en collision durent une microseconde, alors qu’on nous inflige le visage émacié de Cillian Murphy

Mais la troisième heure vient sauver tout ça. La bombe a explosé, et Nolan a le bon goût de ne pas s’extasier devant le nuage radioactif. Au contraire, le film commence. Oppenheimer a des doutes. Oppenheimer comprend (dans une très belle scène de discours) qu’il vient de donner aux hommes l’arme ultime. Il voit les dégâts infligés aux habitants d’Hiroshima (là aussi, Nolan a le bon goût de ne pas les montrer). Il exprime ses doutes et devient un personnage dangereux, qui voudrait éviter la course aux armements. Potentiellement, Oppenheimer devient un traitre.

Commence alors un film de procès, spécialité américaine, mais où le talent, la vivacité Nolanienne, excellent. Porté comme à son habitude par des acteurs exceptionnels, même dans de tout petits rôles (Gary Oldman en Truman), Oppenheimer – le film révèle enfin ses enjeux : le génie qui a sauvé l’Amérique va-t-il être voué aux gémonies ? Son mentor, Lewis Strauss, va-t-il connaitre le même destin ? Enfin, on a peur pour nos personnages, enfin on sort du docu-biopic…  Pour une fois, le propos est d’une rare clarté, tout en laissant son personnage principal dans ses zones d’ombres…  

Oppenheimer, le film, ne lève pas le voile sur Oppenheimer l’homme, et c’est tant mieux comme ça…




lundi 17 juillet 2023


Indiana Jones et le Cadran de la Destinée
posté par Professor Ludovico dans [ Le Professor a toujours quelque chose à dire... -Les films ]

Dans les années 60, nos parents allaient voir John Wayne, le héros de leur jeunesse, dans Les Bérets Verts, une rodomontade patriotique sur la guerre du Vietnam. Ils allaient voir un très mauvais film, pour le simple plaisir de retrouver l’âge d’or de Rio Bravo ou de la Prisonnière du Désert.  

Aujourd’hui nous allons voir Harrison Ford, le héros de notre jeunesse, dans la cinquième itération d’Indiana Jones.

Nous sommes devenus nos parents.

Le film de James Mangold laisse en effet une drôle d’impression. C’est à la fois un film extrêmement maîtrisé et réussi, et en même temps, une extorsion marketing de la nostalgie. Un adieu sincère à la saga et un copier-coller honteux, sous forme de best of de ses meilleurs moments. S’il y a un film de fan service, c’est bien Indiana Jones et le Cadran de la Destinée. Chapeau, fouet, nazis, objet sacré, antiquité, sidekick féminin pointu : tout est dans Indiana Jones 5, et inversement.

Pourquoi aller voir ce Cadran de la Destinée, alors ? Pour revoir des poursuites, de l’action, un baiser sur un coude ? Bref, de la pure nostalgie. Pour pleure sur notre jeunesse enfuie. Est-ce une bonne raison ? Sûrement pas. Mais cette nostalgie est bien faite, et propose un contre-feu intéressant : l’adieu (semble-t-il définitif) à la saga… Cette partie-là est particulièrement réussie… Si elle n’ose pas aller jusqu’au bout de ses idées, et conclure par une fin particulièrement mélodramatique, européenne, elle propose un happy ending plus conventionnel, plus américain, mais émouvant quand même.

Comme évoqué au début de cette chronique, notre John Wayne à nous, c’est Harrison Ford, notre Han Solo, notre Rick Deckard, notre Indiana Jones. Justement, la technologie offre deux Harrison Ford pour le prix d’un : le jeune Doctor Jones, (merci la CGI), et le vieux, largué dans une époque qui n’est pas faite pour lui. Double effet d’identification pour le spectateur…

Mais la CGI, c’est justement ce qui pose problème. Comme nous l’avions intuité depuis longtemps, les trucages numériques tuent la magie primitive du cinéma. Nous savons que Harrison Ford ne fait plus ses cascades, qu’il surfe sur un fond vert, qu’il ne va tomber nulle part… Nous n’avons plus peur pour lui, ni pour personne d’ailleurs. Nous ne sommes plus impressionnés par cette pyrotechnie qui faisait le charme du cinéma. Rien ne nous émerveille, puisque l’ordinateur peut tout faire*.

Il est d’ailleurs très intéressant d’observer la promotion de deux autres films à l’affiche : Oppenheimer et Mission Impossible 7. Nolan a bâti de longue date sa promo sur le fait qu’il filme toujours sur de la pellicule traditionnelle (et donc pas en numérique) et qu’il n’utilise pas de CGI**. Tom Cruise fait de même, en montrant son making of AVANT de montrer son film. Instagram est inondé de vidéos décryptant son saut en moto-parachute, ou sur la VERITABLE loco qu’on a détruite, etc. Comment mieux dire que ces films souhaitent renouer avec l’antique magie du cinéma, contrairement aux Marvel, contrairement à Indiana Jones ?

*Ce qui est techniquement faux : beaucoup de cascades, d’effets spéciaux sont tournées puis retouchées. Mais comme pour beaucoup de choses, c’est la perception qui compte…

** Il a déjà crashé un véritable avion pour Tenet, fera-t-il sauter une bombe atomique pour Oppenheimer ?




vendredi 14 juillet 2023


Devotion
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -Les films ]

Le Théorème de Rabillon nous fait faire bien des bêtises. Après USS Greyhound, on a envie de voir des F4U-Corsair. Oui, l’avion rigolo de Papy Boyington, avec des jolies ailes en W et un beau ronronnement au niveau du moteur. C’est pour le Corsair que le Ludovico se cogne 2h19 de Devotion, un film de 90 millions de dollars entièrement à la dévotion de l’armée américaine, son courage imputrescible contre le communisme, et au passage, quelques idées philosophiques fortes, comme quoi l’amitié et la famille, c’est vachement important.

En fait, Devotion confirme qu’Hollywood est retourné, Back to the Future, aux années 50. Les DC-Marvel à la place des péplums (mêmes slips), les westerns remplacés par la Fantasy (les orcs font de très bons indiens, on peine à voir la différence), et Devotion en bonne itération de l’excellent (!) Diables de Guadalcanal, avec John Wayne. On reviendra d’ailleurs sur le sujet John Wayne très prochainement…

Devotion est évidemment basé sur une histoire vraie, celle du premier aviateur naval afro-américain (Jesse L. Brown, joué à la 12,7 par Jonathan Majors) dont on raconte le combat pour exister au milieu des centaines de pilotes blancs, son amitié inaltérable avec son ailier Tom Hudner (Glen Powell), les bagarres-avec-les-fantassins-en-perm, la-Guerre-de-Corée-où-il-fait-super-froid-dis-donc, etc., etc. Le tout à grands coups de clichés, légers comme de la DCA coréenne.

Rien de manque à ce war movie, y compris le petit message final : les deux familles sont restées très amies depuis la guerre…

Seul point positif, les combats aériens, formidablement filmés : on a rarement vu aussi bien.

Et pis y’a plein de Corsairs. Et c’est beau, un Corsair !




mercredi 12 juillet 2023


USS Greyhound : la Bataille de l’Atlantique
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -Les films ]

USS Greyhound est le pendant (un peu plus réussi) du Gettysburg de Ted Turner. Ici, version bateau, c’est à dire gouvernez-au-147 au lieu de compagnie-feu-à-volonté !

On voit bien ce qui est intéresse Tom Hanks, scénariste et acteur principal de ce film Apple : un héros, profondément religieux, confronté à la nécessité, pour son premier commandement, de tuer pour survivre et acheminer ce convoi allié lors de ce terrible hiver 1941.  

Mais Tom n’en fait rien, contrairement à son modèle, Steven « Il faut Sauver le Soldat Ryan » Spielberg. Simplement une reconstitution aux petits oignons de trois (fois la même) bataille navale.  

Si on aime le wargame, on est servi. On a tous les caps, toutes les distances, toutes les portées de tir. Le CineFaster lui, n’en a pas pour sa faim. Pas d’enjeux, pas de personnages, pas de conflits internes. Rien. Nada. Que dalle.

Dommage.  




lundi 10 juillet 2023


Asteroid City
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]

Le pays de Wes Anderson est désormais totalement cartographié. On en connait chaque coin et recoin, son casting AAA, ses cadrages carrés, ses maquettes et ses trains électriques.

La question est de savoir si Wes Anderson est en terrain conquis. Il semblerait, puisqu’on y retourne à chaque fois sans barguigner. Cet Asteroid City ne déroge pas à la règle. Il est comme The French Dispatch, toujours agréable. On rit gentiment, on est un peu triste à un moment. Certes, ce n’est pas un grand Wes Anderson, façon Moonrise Kingdom, Grand Budapest Hotel ou The Fantastic Mr Fox

Mais à la différence avec les autres faiseurs esthétisants, il y a bien un cœur qui bat chez Wes Anderson, et ce n’est pas sans propos : cette nostalgie Fifties n’est pas niaise.

Cela suffit à rendre le film agréable à regarder, même si le procédé Andersonien est répétitif.




vendredi 30 juin 2023


Sans Filtre (The Triangle of Sadness)
posté par Professor Ludovico dans [ A votre VOD -Les films ]

S’il y a quelque chose que Ruben Östlund sait faire, c’est incarner une idée. À vrai dire, la chose la plus difficile au cinéma… En deux heures de Snow Therapy, le suédois avait réussi à matérialiser la lâcheté masculine. Le film, sans un gramme de graisse, reposait sur le style Östlund, c’est-à-dire des plans fixes cadrés sur des visages, permettant au temps long de s’installer, aux acteurs de travailler, et au malaise de s’insinuer. Car Ruben Östlund c’est ça, c’est le cinéaste du malaise.

Ici, au milieu de l’océan, il y a encore des idées, mais son cinéma a pris du gras, et du mauvais cholestérol. Le film est trop long (2h30) et part dans une surenchère qui ne lui convient pas bien au teint. Une scène en particulier, largement documentée par la presse à sa sortie, accumule jusqu’à l’écœurement vomi et toilettes bouchées. Est-ce drôle ? Ça se discute. Est-ce utile ? Sûrement pas, une simple allusion aurait suffi…

Si on accepte la métaphore – l’avidité capitaliste jusqu’à l’écœurement – on a connu la bile Östlundienne plus subtile. Comme dans les 25 premières minutes, par exemple, la scène de la note. Un couple de young and beautiful dîne dans un restaurant parisien. Qui doit payer, l’homme ou la femme ? Le talentueux top model ou la riche influenceuse ? Avec des acteurs magnifiques (et inconnus, Harris Dickinson et Charlbi Dean), avec une table et un simple champ/contrechamp, Ruben Östlund dresse un portrait de la guerre des couples pour le partage de pouvoir, façon Don Delillo …

Après, le film est intéressant, sa critique capitalo-marxiste tendance yachting, (« tout le monde sur le même radeau ») est réjouissante. Mais il est dommage que le film en fasse un peu trop…




mercredi 28 juin 2023


Hernán
posté par Professor Ludovico dans [ Séries TV ]

C’est la bonne surprise du mois. Hernán fait partie des séries « Théorème de Rabillon » : une série sur la conquête du Mexique, ça ne court pas les rues. La preuve, y’en a aucune. Jusqu’à Hernán, en tout cas. 

Donc on regarde quoi qu’il arrive, même si on ne connaît personne dans le casting, même si ça a l’air d’être une production fauchée mexicano-espagnole (ce qu’elle est…)

Pour le Professore, c’est la série casse-gueule par excellence. Ici, on est sur les terres du Ludovico, et il a la gâchette facile. À la première incartade, un bon coup d’arquebuse ! Mais en réalité, Hernán coche toutes les cases historiques de cette incroyable et terrible épopée qu’est la conquête du Mexique. Cortes n’est pas présenté comme une brute sanguinaire, les conquistadors ne sont pas venus pour convertir les Aztèques au christianisme, mais pour l’or, et pour rattacher cette province au Roi d’Espagne. Les Aztèques ne sont pas des idiots, ils savent que les Espagnols ont débarqué, et ils font tout pour qu’ils repartent… Si Moctezuma prend un instant Hernàn Cortes pour dieu, celui-ci le détrompe immédiatement. L’empire aztèque va tomber, non par bêtise, mais parce qu’il opprime tous les peuples alentour, et que Cortes, fin stratège, les a rangés de son côté. Tout cela étant fortement documenté dans le chef d’œuvre sur le sujet, La Conquête du Mexique, le témoignage de visu de Bernal Díaz del castillo, d’ailleurs un des personnages de la série.

Ne pas succomber au misérabilisme naïf, ni à une repentance absurde, reprendre cette histoire honnêtement et scrupuleusement, voilà les qualités déjà immenses d’Hernán.

Après, le cinéphile en demande toujours plus… Côté fiction, la série est beaucoup plus faible. Les personnages sont esquissés, mais pas développés. La narration à base de flashbacks, pour aboutir à la Noche Triste, ne sert pas à grand-chose. Et il manque du souffle, du sense of wonder, de l’étrangeté.   

Hernán peine à retranscrire ce choc inédit de civilisation : le monde gréco-judéo-chrétien, monothéiste, percutant de plein fouet les immenses civilisations précolombiennes, polythéistes, tout autant évoluées. La stupéfaction de ces petits Blancs d’Estramadure devant les pyramides colorées « plus grandes que Rome » est décrite abondamment par Díaz del castillo, mais la série n’en fait rien. Une scène est révélatrice de ce manque d’ambition. Dans un flashback, les conquistadors marchent depuis des semaines vers Tenochtitlan, la capitale aztèque. Ils franchissent la dernière montagne : gros plan sur leur émerveillement, puis contrechamp sur la ville : une île au milieu d‘un lac. Le plan est très mal fait, on ne voit rien, c’est un plan fixe. Pourtant, la série a bien reconstitué la ville en 3D, on en voit des bouts à plusieurs reprises. C’est comme si les showrunners n’avaient pas su quoi faire de cette scène, pourtant capitale… Il manque tout simplement à Hernán un artiste habité d’une vision. Le Werner Herzog d’Aguirre, ou le Mel Gibson d’Apocalypto.

Hernán est l’habituelle série historique, avec des hommes debout, en costume et l’épée à la main, qui commentent l’histoire au lieu de la vivre.   




mardi 27 juin 2023


Don’t stop believing
posté par Professor Ludovico dans [ Brèves de bobines -Le Professor a toujours quelque chose à dire... -Séries TV ]

Plutôt que la soupe en boite de Journey, nous choisirons la nôtre, Voilà C’est Fini… Pour la deuxième fois, nous avons fait l’aller-retour Paris-Newark, Newark-Paris, cette fois-ci avec el Professorino. Pour la deuxième fois, nous avons vu les 86 épisodes des Sopranos. Une fois encore, nous avons aimé Tony et Carmella, Meadow et Anthony, Sil et Paulie, Christopher et Bobby, Adriana et le Dr Melfi. Une fois encore, nous avons détesté les gens qui voulaientt du mal à ces êtres pourtant peu recommandables.

On a beau le savoir, mais il est toujours aussi difficile de quitter une série. C’est avouer quelque part qu’on ne reverra plus ces amis de vingt ans. La fin de la série qui secoua l’Amérique, connue pour être exceptionnelle, est évidemment entachée par la bêtise habituelle des networks – ici Prime Vidéo – qui en a coupé l’effet, dès les premières secondes. Si David Chase avait décidé de cette minute spéciale à la fin de sa saga italo-américaine, c’était bien pour nous accompagner dans ce deuil. Tout comme Kubrick avait voulu que les salles respectent ces minutes d’obscurité avant le début de son acid trip 2001. Eternelle obsession des conteurs : bien nous faire entrer dans l’histoire, bien nous en faire sortir.

On imagine les sombres calculs algorithmiques qui préside à cette coupure idiote. Mais peu importe. Nous nous sommes échappés du New Jersey.

Vivants.

Don’t stop believing, donc…




dimanche 25 juin 2023


Severance
posté par Professor Ludovico dans [ Séries TV ]

Severance, c’est l’excellence américaine (artistique et technique) à son apex. Perfection du cadre, de la colorimétrie, du jeu (millimétrique), du scénario (rigoureux) : tout est en place pour le grand show.

Mais ce qui produit souvent des films froids comme la mort, propose là un (des) propos beaucoup plus fort(s) qu’à l’habitude. En décrivant des employés d’un futur proche dans une entreprise pas tout à fait comme les autres, Severance nous parle de nous, et du monde d’aujourd’hui.

Chez Lumon, en effet, on choisit des chiffres et on les dépose avec sa souris dans une sorte de corbeille. Pourquoi ?  « C’est une chose mystérieuse… et passionnante » répond la boss (terrifiante Patricia Arquette), paraphrasant, cent ans après, Joseph Conrad à propos de la White Star Line*. Ce premier propos sur l’absurdité de certaines tâches du monde du travail font résonner une première fibre comique. D’autant que les bureaux de Lumon ressemblent fort aux cubicles d’IBM ou d’ailleurs, et que la doxa locale, issue du fondateur, Kier Eagan, fait l’objet d’un véritable culte. Tout cela ne manque pas de sel, sachant que la série est produite par Apple.

Là où Severance se corse, c’est que ce travail est top secret, au point que les employés s’engagent à subir une severance (dissociation) : une puce insérée dans leur cerveau divise les souvenirs en deux. Le salarié ne se rappelle plus ce qu’il fait au travail quand il est à la maison, ni ce qu’il a fait à la maison quand il est au travail. Deuxième ironie, quand on demande souvent au salarié de ne pas amener ses problèmes personnels au boulot.

Mais au moment où l’on se dit que Dan Erickson, le showrunner, ne va pas nous tenir en haleine pendant une saison, c’est là où la sauce se met à monter, enchainant les enjeux, les surprises, tout aussi inquiétantes que délirantes. Le tout maitrisé de manière impeccable, comme le décor : open space immaculé, couloirs blancs infinis, et soudain surgit le décor surprise, l’accessoire inattendu, le cast  surprenant… Tout cela monte sans arrêt, comme la Planche des Belles Filles sur le Tour de France, nous laissant pantelants à l’arrivée de cette première saison.

Il s’agit maintenant d’enchainer une deuxième, et ça ne sera pas facile…  

* « Une entreprise est un commerce, même si, à la manière dont parlent et se comportent ses représentants, on pourrait bien voir en eux des bienfaiteurs de l’humanité, mystérieusement engagés dans quelque noble et extraordinaire entreprise. », dans son reportage sur le procès du naufrage du Titanic pour The English Review.




vendredi 23 juin 2023


Jeanne du Barry
posté par Professor Ludovico dans [ Les films ]

On dit souvent ici que certains films ont une tête mais pas de cœur, selon la belle formule du Prince d’Avalon. Jeanne du Barry, ce serait plutôt l’inverse : beaucoup de cœur et pas beaucoup de tête. On voit bien que Maïwenn est à fond dans son projet, qu’elle y met des choses éminemment personnelles (le plaisir, les pygmalions) et que, pour cela, elle a voulu incarner elle-même du Barry. C’est souvent une erreur, car rares sont les metteurs en scène qui arrivent à se diriger.

Le film laisse une drôle d’impression : mal foutu, l’incohérence du propos et la caricature pèsent sur le film, qui reste aimable quand même : on a du mal à lui en vouloir…

Maïwenn semble tout simplement ne pas avoir réfléchi à ce qu’elle voulait dire. Selon l’anecdote, elle voulait filmer des improvisations d’acteurs comme à son habitude, puis y a renoncé. Les incohérences abondent : après avoir validé les vertus du libertinage pendant une bonne heure, Maïwenn découvre (sic) le « côté obscur du roi » qui a une autre favorite. Elle plaint à la fin la pauvre plébéienne, guillotinée comme une noble par la Terreur, comme si elle n’avait pas vécu – et profité comme eux – des privilèges l’Ancien Régime.

Incohérences de l’intrigue, ensuite : des personnages disparaissent sans raison (la fille très chrétienne de Louis XV, raccordée sur le fil par une voix off pontifiante), ou agissent sans raison (les autres filles qui complotent ouvertement à la table du Roi, qui vient pourtant de démontrer son pouvoir absolu).

Caricature, enfin :  si ses personnages principaux sont relativement crédibles (Johnny Depp impérial en Louis XV, la bonne idée de caster une star Hollywoodienne qui en impose par sa seule présence, ou Maïwenn en libertine amoureuse, plutôt attachante), les autres personnages sont efféminés, stupides, racistes*.

Reste la désagréable (et habituelle) impression d’une fascination pour les rois et les reines dans un Cendrillon 2.0.

Le film n’est tout simplement pas assez radical dans son propos, façon Marie Antoinette de Sofia Coppola, ou pas assez sérieux, pour loucher du côté de Barry Lyndon, référence évidente de la cinéaste (35mm et éclairage aux bougies).

Dommage car il y a de bons moments dans cette du Barry Lyndon.

*L’histoire réelle de Zamor, jeune enfant noir adoptée par la du Barry s’éloigne énormément du conte de fées de Maiwenn (anecdote copyright el Professorino)